Contrer la pensée extrémiste, réglementer l’émission des fatwas et rappeler que l’islam n’est pas lié au terrorisme, tels étaient les objectifs de la conférence tenue cette semaine, au Caire, sous l’égide de Dar Al-Iftaa. Le grand imam d’Al-Azhar, cheikh Ahmad Al-Tayeb, le mufti de la République, Chawqi Allam, et le secrétaire général de l’Association du monde islamique, Mohamad Abdel-Karim, ont assisté à la séance inaugurale de la Conférence mondiale de la fatwa (avis religieux). « Le terrorisme vise à se proliférer en liant à tort l’islam à la violence. Il faut se méfier de ce complot visant à duper les jeunes générations par de fausses idées qui n’ont aucun rapport avec les principes de l’islam, une religion qui appelle à la tolérance et l’acceptation de l’autre », a mis en garde le grand imam. Pour sa part, le mufti de l’Egypte a appelé à coordonner les efforts des pays musulmans pour s’attaquer aux dérives des fatwas. « Le monde suivait de près les recommandations de cette conférence traitant l’une des questions les plus influentes. Le danger des fatwas appelant à la haine et à la violence menace la paix mondiale », a dit Chawqi Allam.
Trois axes principaux
Les travaux de la conférence ont focalisé sur trois principaux axes : le rôle des fatwas dans la stabilité des sociétés, leur rôle dans la lutte contre la violence ainsi que le rôle de la fatwa en tant qu’outil de développement et de prospérité. Des thèmes cruciaux, alors que la pagaille des fatwas dans les pays musulmans représente un vrai danger et que le terrorisme frappe un peu partout dans le monde.
Concernant la première question, le mufti a passé en revue des mesures prises en Egypte pour mettre terme à la pagaille des fatwas. Dar Al-Iftaa en Egypte a déjà pris plusieurs dispositifs, entre autres l’élaboration d’un projet de loi qui détermine les instances chargées exclusivement d’émettre des fatwas. Il interdit à toute personne non autorisée d’émettre des fatwas et sanctionne les contrevenants par des peines de prison et des amendes. Cheikh Ibrahim Negm, conseiller du mufti d’Egypte, explique que ce genre de mesures vise à barrer la route à tous ceux qui instrumentalisent les fatwas pour véhiculer des messages de haine et de violence. « Cette pagaille de fatwas menace la stabilité et la sécurité du monde entier. D’autant plus qu’elle nuit à l’image de l’islam et donne raison à l’islamophobie de s’accroître. On n’hésitera pas de fermer les chaînes satellites diffusant des fatwas extrémistes ou dénuées de fondement », prévient Negm. Il ajoute que Dar Al-Iftaa accorde un intérêt particulier à la réforme du discours religieux pour aller de pair avec les nouvelles données de l’époque et pour contrarier l’extrémisme. Ainsi, il a été publié un magazine en langue anglaise intitulé Al-Amana qui traite les fatwas erronées et les dément par des textes religieux incontestables. De même, lors de la conférence, il a été décidé d’en créer une version française. En outre, une première encyclopédie sur la pensée « takfiriste » a été publiée en langue anglaise. Elle répond aux faux avis religieux rejetant l’Autre et justifiant son assassinat.
La conférence a aussi évoqué la problématique des minorités musulmanes marginalisées, voire persécutées. Ce qui les rend des cibles plus faciles pour les extrémistes. A cet égard, il a été recommandé de dépêcher régulièrement des oulémas d’Al-Azhar et d’autres institutions religieuses modérées du monde musulman à ces pays. Objectifs : corriger les fausses interprétations des textes religieux et aussi étudier les problèmes de ces minorités et leur fournir les soutiens nécessaires.
Combat sur la toile
Le rôle d’Internet dans la diffusion des avis religieux extrémistes ou erronés a été aussi l’un des axes importants discutés lors de la conférence. Sur ce sujet, les participants ont cité l’exemple d’un site baptisé « cheikh Google », largement suivi par les internautes et qui diffuse quotidiennement des milliers de fatwas erronées. Un phénomène inquiétant pour les instances religieuses musulmanes, surtout que les auteurs des fatwas émises sur le site ne sont pas des spécialistes, et leurs orientations sont douteuses.
Il s’agit là d’une question importante puisque, selon les statistiques des Nations-Unies, 85 % des jeunes ont recours à Internet pour chercher des fatwas religieuses. Et que les sites les plus visités sont ceux des mouvements extrémistes. Mohamad Al-Machari, président du Conseil musulman européen, tire la sonnette d’alarme : il affirme que Daech gère environ 90 000 sites électroniques diffusés dans une dizaine de langues. « C’est effrayant de savoir qu’à travers ces sites, le groupe a réussi à recruter 12 000 djihadistes, de jeunes hommes et de jeunes filles, dont des musulmans résidant à l’étranger. Des réalités qui impliquent aux autorités religieuses à travers le monde musulman d’oeuvrer à contrarier ce genre de fatwas appelant à la violence et à la mort sous le nom de l’islam », souligne Al-Machari.
Pour sa part, Mohamad Mahmoud Habib, membre de l’équipe électronique à Dar Al-Iftaa, indique que 17 sites ont été créés. « Via ces sites, les spécialistes en matière de fiqh (la jurisprudence islamique) et d’interprétation du Coran présentent aux visiteurs les fatwas correctes et modérées. Parallèlement, on se penche à recenser les fatwas erronées ou fanatiques publiées sur Internet pour les contrer », explique Habib.
Les recommandations faites à la fin de la conférence ont mis en relief la nécessité d’élaborer une charte de déontologie pour les pays musulmans interdisant aux médias la diffusion des fatwas par des non-spécialistes. Il a été aussi recommandé de parvenir à un cadre juridique commun qui réglemente les instances chargées d’émettre les fatwas. Il a été aussi décidé de créer un centre pour la formation des spécialistes chargés d’émettre des fatwas.
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