Avec des dizaines de sympathisants issus de diverses formations politiques, notamment de gauche, l’Union des syndicats ouvriers indépendants a organisé, mercredi 1er mai, une manifestation devant le Conseil de la choura pour protester contre « les législations hostiles à leurs droits ». Réclamant l’amendement — avec leur participation — des lois du travail et de la production, les manifestants ont hissé des pancartes portant des critiques à l’égard du président Mohamad Morsi et de la confrérie des Frères musulmans dont il est issu.
« Plus de deux ans ont passé depuis la révolution du 25 janvier 2011, on était supposé célébrer les libertés et les droits acquis. Or, la situation n’a pas changé et les ouvriers ont dû descendre dans la rue pour réitérer les mêmes revendications », souligne avec regret Séoud Omar, un activiste syndical des travailleurs de l’Organisme du Canal de Suez.
Les manifestations ouvrières ont débuté quelques heures après la « célébration officielle » qui s’est déroulée le 30 avril au palais présidentiel d’Al-Qobba, où le président de la République a accueilli et a décoré d’anciens syndicalistes, et a prononcé son premier discours dédié aux ouvriers auxquels il a adressé un « message de soutien ».
Les protestations ouvrières, qui ont culminé en 2008 dans la ville de Mahalla, bastion des industries textiles, sont perçues comme les prémices de la révolution ayant amené à la chute du régime de Hosni Moubarak. Aujourd’hui, il semble que le fossé s’élargit de plus en plus entre leurs aspirations et les politiques de son successeur Mohamad Morsi.
Des augmentations salariales correspondant à la hausse des prix, une proportion décente entre les salaires minimum et maximum, une assurance maladie, une protection contre les accidents de travail, la réintégration des ouvriers licenciés, la libre formation des syndicats et des politiques contre le chômage, telles sont — et ont toujours été — les principales revendications des ouvriers.
Vu l’échec du gouvernement à satisfaire le minimum de ces demandes, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a placé l’Egypte sur la liste des pays violant le droit du travail.
D’après Kamal Abbass, fondateur de l’Union (indépendante) des ouvriers d’Egypte, « l’Egypte tente, à travers le ministère de la Main-d’oeuvre, de lever son nom de cette liste, en prétextant que le retard des réformes est dû aux circonstances politiques ». D’après ce dernier, le ministère a appelé les syndicalistes et les leaders du mouvement ouvrier à former un comité pour reformuler leurs demandes, « mais cela a été une pure perte de temps, l’objectif étant de donner l’impression de s’intéresser à nous ».
Un texte sur les libertés syndicales
Abbass raconte que les ouvriers ont déjà participé en mars 2011 à la rédaction d’une loi sur les libertés syndicales. « Dans la foulée de l’enthousiasme qui a suivi la révolution, le ministre de la Main-d’oeuvre, Ahmad Al-Boraï, a soumis le nouveau texte au Conseil militaire qui assurait la transition politique, mais celui-ci a refusé de l’adopter, préférant attendre l’élection d’un Parlement », se souvient-il. « Le nouveau Parlement n’a accordé aucun intérêt à cette loi, pas plus que le ministre actuel de la Main-d’oeuvre, issu du Parti Liberté et justice » des Frères musulmans, ajoute Abbass.
Mais la libre création des syndicats n’est pas l’unique réclamation des ouvriers.
« La cherté de la vie a atteint des proportions telles qu’il devient impossible pour un ouvrier dont le salaire mensuel est inférieur à 1 000 L.E. de joindre les deux bouts », affirme de son côté Séoud Omar. Et d’ajouter : « Jusqu’à présent, le gouvernement ne s’est engagé à rien en ce qui concerne les revendications relatives aux salaires minimum et maximum ».
« Le salaire minimum revendiqué est de 1 500 L.E. par mois, et la proportion voulue est de 1 à 15. Mais le gouvernement, qui adopte les mêmes politiques privilégiant les hommes d’affaires de Moubarak, rechigne à satisfaire de telles demandes. Parce que tout gain obtenu par les ouvriers du secteur public représente une pression sur les patrons du secteur privé », explique Omar.
Le syndicaliste s’arrête sur une autre demande restée insatisfaite, celle qui concerne l’assurance maladie. « Le ministère de la Santé brandit un texte de loi qui prévoit que l’ouvrier assume une partie de la facture, ce qu’on rejette catégoriquement, parce que les ouvriers qui payent déjà leurs cotisations en plus des impôts ont droit à des services », dit-il.
Khaled Ali, candidat malchanceux à l’élection présidentielle de 2012 et avocat spécialiste des procès ouvriers, s’intéresse, lui, au dossier des sociétés de placement d’ouvriers qui assurent au secteur privé une main-d’oeuvre bon marché et sans aucun engagement de sa part. « Bien que la loi 12 de l’année 2013 ait interdit ces sociétés, cela n’a eu aucune influence sur leurs activités. La preuve en est la grève des ouvriers du port de Aïn Al-Sokhna embauchés en sous-traitance par l’entreprise Platinium », souligne Khaled Ali.
Promesses non tenues
Face aux promesses non tenues et les lois non appliquées, les activistes du mouvement ouvrier deviennent de plus en plus sceptiques. C’est ainsi qu’ils ont reçu la dernière promesse en date, celle que leur a donnée le président Morsi lors de son discours mardi dernier devant des ouvriers à Hélouan, dans la banlieue du Caire. Celui-ci a déclaré que le gouvernement n’allait plus privatiser les sociétés publiques (voir interview). « On ne se passera plus de ces travailleurs à partir de maintenant », a dit le président. « Encourager le secteur privé et les investissements privés ne veut pas dire que cela sera une alternative au secteur public qui doit être développé », a ajouté le chef de l’Etat. « Les secteurs public et privé se complètent », a-t-il insisté, en promettant de développer le secteur public en y injectant des investissements et en adoptant une « nouvelle vision ».
Selon Khaled Ali, le problème du chômage est intimement lié au processus de privatisation qui s’est accéléré depuis les années 1990. « Grâce au système de retraite anticipée et alors que le gouvernement a cessé de construire de nouvelles usines, beaucoup d’ouvriers se sont retrouvés dans la rue. Il y a eu des décisions de justice en faveur de la renationalisation de certaines des entreprises privatisées, mais jusqu’à maintenant, les ouvriers licenciés n’ont pas retrouvé leur travail », regrette Ali.
« La promesse de Morsi n’a pas de place dans la réalité. Il a commencé son mandat avec des appels d’offres pour la vente de deux stations de traitement d’eau, à Al-Marg et Madinat Al-Salam au nord du Caire », renchérit Séoud Omar.
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