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L’Egypte sort avec les honneurs

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 17 octobre 2017

Auteure d'une bonne prestation, la candidate égyptienne, Mouchira Khattab, a été toutefois éliminée de la course à l'Unesco. Analyse.

L’Egypte sort avec les honneurs

Elle n’a pas baissé les bras jusqu’au bout de sa compétition pour le poste de directeur général de l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, les sciences et la culture (Unesco). La candidate égyptienne, l’ambassadrice Mouchira Khattab, était arrivée exæquo jeudi soir avec la candidate française Audrey Azoulay, avec 18 voix chacune, avant d’être éliminée vendredi avec 25 voix pour l’Egypte, contre 31 pour la France, lors d’un scrutin spécialement organisé pour les départager. Au premier tour, Khattab avait récolté 11 voix, 12 au deuxième et 13 au troisième tour. Jusqu’aux dernières minutes, la diplomatie égyptienne n’a pas économisé d’efforts pour obtenir le soutien des Etats membres du Conseil exécutif de l’Unesco à Mouchira Khattab. L’Egypte a ensuite officiellement apporté son soutien à la candidate française Azoulay qui a remporté le dernier tour des élections, écartant ainsi le candidat qatari Hamad bin Abdoulaziz Al-Kawari. Le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a appelé à ouvrir une enquête sur les irrégularités qui ont entaché le vote. « L’Egypte ne remet pas en cause les résultats des élections, mais informe juste l’organisation de la présence de certaines irrégularités qui ont marqué le vote », a clarifié Choukri dans un communiqué publié en commentant les résultats. Le chef de la diplomatie a salué Khattab pour son exercice distingué et un combat qu’elle a mené « avec toute honnêteté ».

Les dessous du vote

Au lobbying occidental qui domine souvent les élections de l’Unesco est venu, cette fois-ci, s’ajouter les accusations de lobbying financier exercé par le Qatar, accusé d’avoir acheté le vote de certains Etats membres du Conseil exécutif de l’Unesco. Selon le politologue Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, plusieurs facteurs classiques se sont associés et ont contribué à la défaite de la candidate égyptienne qui avait de très bonnes chances d’accéder au poste. Mourad met l’accent sur la division des pays arabes qui ont présenté plusieurs candidats au lieu de s’unifier autour d’un seul candidat. « Cela fragmente les voix et se termine souvent par la défaite de tous les candidats arabes. Les pays arabes concurrençaient avec quatre candidats représentant l’Egypte, le Liban, l’Iraq et enfin le Qatar. Lors de ces dernières élections, si au moins les trois pays, à savoir l’Egypte, le Liban et l’Iraq, étaient arrivés tôt à un consensus pour le choix d’un seul représentant arabe, les résultats auraient sans aucun doute été différents », souligne Mourad, appelant à tirer des leçons de cette expérience. L’hégémonie occidentale sur l’Unesco qui n’a jamais permis à aucun candidat arabe d’accéder à ce poste est une autre raison qui explique la défaite de l’Egypte dans ce combat. Sur ce sujet, le politologue met en relief les pressions américanoisraéliennes qui ont été exercées durant ces élections. Sans attendre le résultat de l’élection, Washington et Tel-Aviv ont voulu exprimer leur exaspération face à une organisation qu’ils accusent d’antisémitisme.

Depuis l’admission en 2011 de la Palestine au sein de l’Unesco, le paiement des cotisations d’Israël et des Etats-Unis a été interrompu. Des montants qui représentent près du quart du budget de l’agence. « Vu que les résultats se rapprochaient vers leur fin avec la France, l’Egypte et le Qatar comme finalistes, Washington et Tel-Aviv craignaient la victoire de l’un de ces deux Etats arabes qui, dans ce cas, représenterait une pression sur Israël. Ils ont donc annoncé leur retrait de l’Unesco sous l’étiquette de l’antisémitisme. Une position qui a affecté les chances de la candidate égyptienne et aussi du candidat qatari », décrypte Mourad. Un scénario qui ressemble à celui des élections de 2009 qu’a perdues l’ancien ministre de la Culture, Farouq Hosni. A l’époque, les pays européens s’étaient tous légués contre l’Egyptien Farouq Hosni, qui avait échoué alors qu’il avait obtenu 22 voix depuis le premier tour. Des lobbys pro-israéliens avaient détruit sa candidature en l’accusant d’antisémitisme, permettant ainsi la victoire de la Bulgare Irina Bokova. L’émergence d’un candidat qatari à un moment où les tensions égypto-qatari sont à leur comble a bouleversé les comptes de l’Egypte qui comptait sur les voix des pays africains. A rappeler qu’en juin dernier, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l’Egypte ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar en l’accusant de soutenir des groupes extrémistes. Ces quatre pays arabes lui ont même imposé un embargo. Selon Mourad, cette rivalité s’est reflétée tout au long de la compétition, dans les coulisses aussi bien que dans les médias des deux pays. « Chacun des deux candidats visait à tout prix à faire échouer l’autre, ce qui a poussé le Qatar dès le départ à recourir à des irrégularités, allant jusqu’à acheter les voix ». Utilisant l’arme illégale de l’argent politique, il a usé de la crise financière grave que traverse l’institution depuis plusieurs années. « Face à ses concurrents dont les pays reposent sur une histoire culturelle, éducative et scientifique, le candidat qatari ne disposait que de la carte de l’argent. C’est pourquoi il a concentré tous ses efforts à l’emploi de cette carte pour amadouer l’organisation et gagner les voix de certains pays africains, profitant de leurs conditions économiques difficiles », affirme Mourad.

Sur cette affaire, le député Tareq Al-Kholi, membre de la commission des affaires étrangères au parlement, ne trouve pas aussi logique que le candidat qatari, dont le pays n’a aucun héritage historique ou culturel, arrive au dernier tour des élections. « Sans les pots-de-vin qu’a versés le Qatar à certains pays, surtout africains, il était impossible que son candidat qatari gagne ce nombre de voix. Et là réside l’importance du mémorandum qu’a envoyé le ministère des Affaires étrangères à l’Unesco, réclamant l’ouverture d’une enquête sur cette affaire. Cela permettra de dévoiler le vrai visage de ce pays qui n’a aucune éthique », dénonce Al-Kholi. Il blâme aussi certaines ONG égyptiennes qui ont travaillé à défigurer Mouchira Khattab, ce qui a contribué à affaiblir ses chances malgré son programme électoral riche, réaliste et important. « C’était honteux de voir certaines ONG égyptiennes envoyer une lettre à l’Unesco, appelant ses membres à ne pas voter pour elle, sous prétexte qu’elle faisait partie du régime de l’ancien président Moubarak ou qu’elle est âgée de 70 ans », fustige-t-il, surtout qu’il n’y voit pas des points de faiblesse. « Cela ne minimise en aucun cas le poids et l’histoire de Khattab, mais ce comportement a pavé le chemin aux adversaires de l’Egypte pour s’en prendre à Khattab », déplore Al-Kholi. « Face à de telles circonstances qui ont entouré la compétition pour la présidence de l’Unesco, l’Egypte, qui a mené un combat électoral honnête, est sortie gagnante avec le respect du monde entier, même si elle n’a pas remporté le siège », conclut le député.

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