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Le secteur privé bientôt sur les rails ?

Ola Hamdi, Mercredi, 04 octobre 2017

Le gouvernement soumettra au parlement des amendements de loi qui permettront au secteur privé d'investir dans le secteur des chemins de fer, qui dessert 350 millions d'usagers par an. Vu le poids du secteur, un débat houleux est d'ores et déjà engagé.

Le secteur privé bientôt sur les rails ?
Ce secteur vital rend service à 350 millions d'usagers par an. (Photo : Mohamad Abdou)

Le Conseil des ministres a approuvé des amendements de la loi 152 de 1980 régissant l’Organisme national des chemins de fer permettant, pour la première fois, au secteur privé d’investir dans le secteur ferroviaire. Ces amendements devront être soumis prochainement au vote parlementaire.

L’amendement stipule que « l’Organisme national des chemins de fer et d’autres ont le droit de construire, de gérer et de faire fonctionner des réseaux ferroviaires, de les développer et de les entretenir ». Des droits autrefois exclusivement réservés au gouvernement en vertu de la loi en vigueur. Selon le texte élaboré par le ministère des Transports, des entreprises privées seront donc désormais en charge de gestion et du fonctionnement des chemins de fer pour une période de 15 ans. Et à la fin du contrat, tous les services et les installations reviendront à l’Organisme des chemins de fer, en bon état et sans frais.

Selon le ministre des Transports, Hicham Arafat, associer le secteur privé à la gestion et au fonctionnement des chemins de fer est devenu « une nécessité pour pouvoir moderniser le secteur ferroviaire ». Il ajoute : « L’entretien d’un kilomètre de voies ferrées coûte 21 millions de livres alors que l’ensemble des voies ferrées est 9 570 km. Le budget de l’organisme ne permet pas de faire les travaux de rénovation nécessaires. L’organisme souffre d’un énorme déficit dû au fossé entre les revenus et les frais du fonctionnement. Il accuse des pertes annuelles d’environ 2 milliards de L.E. ».

Toujours selon le ministre, dans ce nouveau partenariat, le rôle du gouvernement se limitera à la supervision et au contrôle de la qualité et du tarif des services ferroviaires. « Le gouvernement n’a aucune intention de privatiser ce secteur vital. Il s’agit simplement d’une coopération conditionnée avec le secteur privé », a martelé Arafat.

La question centrale des prix

A peine déclarés, ces amendements ont donné lieu à un débat acharné d’autant plus que ce secteur vital sert environ 350 millions d’usagers par an, dont la majorité appartient aux classes défavorisées et moyennes. Les partisans de ce projet de loi jugent la participation du secteur privé au secteur ferroviaire une nécessité absolue vu la dégradation de l’état des chemins de fer et l’incapacité du gouvernement à assumer, à cause de la crise économique actuelle, les frais de sa modernisation (voir sous-encadré). Saïd Téima, président de la commission des transports au parlement, argumente : « Aujourd’hui, les chemins de fer ont besoin d’une modernisation urgente. Le recours au secteur privé est le seul moyen d’améliorer la qualité des services, d’augmenter les ressources et d’avoir le financement nécessaire pour l’entretien des gares et des trains et l’achat de pièces de rechange. Cette rénovation est aussi indispensable pour assurer la sécurité du transport ferroviaire ».

En ce qui concerne les craintes relatives à la hausse des prix des services des chemins de fer, Téima rassure que, lors de la discussion du projet de loi, la commission proposera d’ajouter un article garantissant le maintien d’une partie des services ferroviaires à bas prix pour les classes pauvres. « On va oeuvrer à parvenir à une formule protégeant le droit du citoyen à obtenir un service à prix convenable, sans toutefois porter préjudice aux investisseurs privés qui vont certes injecter d’énormes fonds pour la réforme et le fonctionnement et ont le droit de réaliser des bénéfices », promet Téima.

Une équation qui semble pour d’autres irréaliste.

Mais d’autres députés, comme Abdel-Moneim Al-Eleimi, membre de la commission législative au parlement, rejettent l’association du secteur privé à ce secteur vital. « Il est logique qu’en investissant dans les chemins de fer, le secteur privé cherche à réaliser des gains. Et pour ce faire, les prix des services ferroviaires qui sont actuellement subventionnés par le gouvernement vont augmenter. De quelle protection sociale parle-t-on donc ? », se demande Al-Eleimi, qui fustige une mauvaise gestion gouvernementale des chemins de cher.

Proposition d’alternatives

Al-Eleimi propose de créer trois secteurs indépendants pour la gestion et le fonctionnement de l’Organisme des chemins de fer : un secteur technique, un secteur financier et un secteur pour le contrôle qui jouiront chacun de pleines prérogatives et d’une totale indépendance. « La décentralisation de la gestion ainsi que la répartition des responsabilités permettront à chaque secteur d’avoir des plans plus concentrés et efficaces pour la réforme et l’exploitation des ressources de l’Organisme des chemins de fer », dit-il.

Sur la même longueur d’onde, le député Mohamad Badrawi fait remarquer que le gouvernement devrait d’abord revoir ses politiques qui ont contribué à la dégradation des chemins de fer. « La bureaucratie, la mauvaise gestion et l’inexploitation des ressources énormes dont dispose l’Organisme des chemins de fer sont des failles parmi d’autres qu’il fallait revoir pour remettre sur les rails le secteur ferroviaire qui, en aucun cas, ne devra pas être cédé au secteur privé », insiste Badrawi. Il propose des solutions aptes à augmenter les revenus de l’Organisme des chemins de fer, et par conséquent, avoir les fonds nécessaires pour la rénovation des voies ferrées, sans recourir au secteur privé. Entre autres, la vente de la ferraille à travers une surenchère publique et pas par ordre direct comme c’était le cas auparavant, l’augmentation du nombre des publicités sur les stations et sur les façades des trains, et l’exploitation des vastes terrains que possède l’organisme s’étendant du Caire à Assouan.

Badrawi propose aussi de conclure un accord avec les différents ministères et institutions gouvernementaux pour proposer des abonnements aux fonctionnaires.

Du côté des cheminots, les problèmes des chemins de fer ne se limitent pas à la modernisation des réseaux. Ainsi, Hossam Aboul-Hamad, conducteur de train, travaillant à l’organisme depuis 12 ans, est pour la participation du secteur privé au fonctionnement des chemins de fer. « On souffre d’un manque de conducteurs, de techniciens et d’ouvriers. Ainsi, je me trouve parfois obligé d’être conducteur et technicien à la fois pour réparer les pannes du train que je conduis. D’autant plus que les salaires sont insuffisants pour payer nos charges. Peut-être que la gestion privée s’avèrera meilleure et nous permettra de travailler dans de meilleures conditions », aspire-t-il.

Un secteur en crise continuelle

Les chemins de fer égyptiens, les deuxièmes plus anciens chemins de fer dans le monde, sont le plus grand réseau existant au Moyen-Orient avec 9 570 km. Cependant, il souffre de problèmes majeurs. Une série de projets a été mise en place pour entretenir et rénover les infrastructures ferroviaires, mais sans résultat. Le budget de l’organisme ne permet pas une modernisation de l’ensemble du réseau ferroviaire. A titre d’exemple, le budget consacré à l’organisme pour l’année 2016/2017 est de 3 milliards de L.E., et ce, alors qu’il doit être au moins de 10 milliards de L.E., afin de pouvoir couvrir les frais de fonctionnement. L’Organisme national des chemins de fer a un énorme déficit financier qui entrave les travaux de maintenance, de rénovation de l’infrastructure et de l’achat de nouvelles locomotives. Selon les conducteurs de trains, les systèmes de GPS et de la sécurité ATC, sont désactivés. En outre, les signaux et les rails sont en mauvais état. Même les ateliers de maintenance ne peuvent pas faire de la maintenance selon les standards, en raison du déficit financier et du manque de pièces de rechange. En outre, les trains de deuxième et troisième classes ne sont pas pris en compte en matière d’entretien. Tous les efforts de l’Organisme des chemins de fer sont dirigés vers les trains de première classe et les trains touristiques. Les trains, qui desservent la Haute-Egypte, sont ceux dont l’état est le plus mauvais. Le budget des salaires est à lui seul de 2,7 milliards de L.E. La défaillance du système manuel d’orientation des trains, actuellement en place, a été la cause de plusieurs accidents ferroviaires. Les années 2015 et 2016 ont témoigné chacune de 37 accidents.

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