Al-Ahram hebdo : Comment analysez-vous les statistiques sur le taux d’excision des femmes en Egypte ?
Vivianne Fouad : Depuis le lancement du programme national pour la lutte contre l’excision en 2003, le conseil accorde un grand intérêt au suivi des statistiques sur ce sujet. Cela nous permet d’évaluer les effets des campagnes de sensibilisation lancées par le conseil, surtout sur la nouvelle génération, la plus touchée par cette pratique honnie. Les chiffres du ministère de la Santé pour l’année 1995 disaient que le taux de femmes mariées âgées entre 15 et 49 ans ayant subi une excision était de 97 %. Or, les experts ont trouvé que ces chiffres n’étaient pas très révélateurs de l’ampleur du phénomène, car l’âge le plus courant de l’excision varie entre 8 et 12 ans. Les statistiques de 2014 dévoilent que grâce à notre programme, le taux des filles excisées a diminué de 13 % en 5 ans, parmi les filles entre 15 et 17 ans. Le taux d’excision était de 61 % en 2014 contre 74 % en 2008. Un recul record lorsque l’on sait que l’excision des filles est l’une des moeurs les plus enracinées dans la société depuis les pharaons.
— En quoi consiste exactement le programme national de la lutte contre l’excision qu’adopte le conseil ?
— Lancé en 2003, ce programme a débuté avec un budget modeste qui s’est accru récemment grâce à un financement de 3 millions d’euros versés par l’Union européenne. Notre programme se focalise sur la sensibilisation aux dangers que représente la pratique de l’excision, déjà criminalisée par la loi. Les médecins sont les premiers visés par ces campagnes de sensibilisation. Car les chiffres montrent que 80 % des opérations d’excision sont faites par des médecins. Nous avons conclu un accord avec les facultés de médecine pour inclure des chapitres aux programmes universitaires sur les répercussions physiques et psychologiques qu’entraîne l’excision. Mais bien sûr, ces campagnes de sensibilisation s’adressent aussi aux filles elles-mêmes et à leurs familles, surtout en Haute-Egypte, une région qui connaît un taux très élevé d’excision.
— Le conseil coopère-t-il avec des ONG et des médias pour dynamiser ce programme ?
— Oui. Notre but est de répandre au sein de la société la culture des droits des femmes, dont le droit au respect de son corps. La coopération avec les ONG consacrée à ce sujet ainsi qu’avec le ministère de la Santé est évidente. Elle est même nécessaire pour atteindre les objectifs du programme. A titre d’exemple, on a conclu un accord avec certaines ONG pour lancer des campagnes de sensibilisation dans les écoles via l’organisation d’activités artistiques comme les pièces de théâtre, des séminaires, des ateliers de dessin, etc. En outre, on s’est mis d’accord avec le ministère de la Santé pour mettre des affiches de sensibilisation dans les hôpitaux et les cliniques publiques. On envisage aussi de lancer des campagnes médiatiques, mais notre budget ne le permet pas pour le moment. C’est pourquoi on a décidé d’utiliser aussi les réseaux sociaux pour sensibiliser les jeunes générations.
— Et quand ces campagnes de sensibilisation vont-elles commencer ?
— Dès le mois prochain, on lancera une campagne publicitaire, sous le slogan « Arrêtez l’excision des filles », sur les sites électroniques et dans les journaux. Les spots vont renfermer des vidéos, des reportages, des exemples positifs des parents qui ont refusé d’exciser leurs filles. On y détaillera les dangers que présente cette pratique, d’autant plus que cette opération empêche la femme de vivre normalement sa sexualité après le mariage. Nous allons participer aussi dans les talk-shows pour nous exprimer sur ces points. La campagne va aussi étayer que la chasteté n’est pas sauvegardée par l’excision mais par la bonne éducation sociale et religieuse.
— Oui, mais ce genre de campagnes via Internet peut-il être utile dans les régions rurales, notamment en Haute-Egypte ?
— Oui. Même si les classes populaires et rurales, notamment en Haute-Egypte, restent attachées à cette tradition, les jeunes générations sont différentes. Elles sont plus éduquées et plus ouvertes sur la technologie et l’usage d’Internet. Ce qui peut rendre plus facile qu’avant la tâche de convaincre femmes et hommes des inconvénients de l’excision. Le véritable défi qu’on affronte, c’est l’extrémisme religieux dans certaines régions et classes sociales qui croient que l’excision des filles est un devoir religieux. C’est pourquoi il faut insister sur le fait que cette pratique n’a aucun fondement religieux. Et là, c’est le rôle des institutions religieuses de montrer la vérité des choses. C’est un double combat, religieux et social. D’ailleurs, il faut savoir que ce phénomène est pratiqué aussi bien par les musulmans que les coptes.
— Qu’en est-il du côté législatif ? Pourquoi l’interdiction de l’excision par la loi n’a-t-elle pas été suffisante ?
— Le parlement a approuvé deux lois, la première en 2008, complétée par une 2e en 2016 avec des peines plus dures. L’excision est ainsi devenue un crime passible de 7 ans de prison pour le médecin et 3 ans pour les parents, selon la loi de 2016. Celle de 2008 stipulait une peine allant de 3 mois à 2 ans de prison. Selon la loi actuelle aussi, les médecins doivent appeler la police s’ils reçoivent une patiente souffrant de complications dues à l’excision. Avant 2008, nos efforts étaient sous forme de conseils. Mais après la promulgation de la loi, l’excision est devenue un crime. Cela nous aide beaucoup à avoir des résultats positifs avec les médecins.
Lien court: