A quoi ressemblera l’Egypte en 2050 ? On ne le sait pas trop, mais ce qui est sûr, c’est que l’Egypte sera un des pays les plus peuplés au monde. Dans un récent rapport, le Fonds des Nations-Unies pour la population prévoit que l’Egypte comptera 151 millions d’habitants en 2050, contre 93 millions actuellement recensés. Le nombre de naissances a atteint 2,3 millions de personnes en 2016. Alors qu’un quart de la population égyptienne vit en dessous du seuil de pauvreté, le gouvernement cherche à contrôler la natalité, qui a doublé depuis 1984 et qui ne cesse de croître.
Depuis des décennies, la croissance démographique se dresse comme un obstacle au développement. Prenant conscience de cette vérité, l’Etat a conçu, depuis les années 1960, une stratégie de planning familial. Mais les résultats laissent à désirer (voir sous-encadré). Aujourd’hui, alors que le taux de croissance enregistre un chiffre record et que le pays est en pleine crise économique, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a mis en garde, à maintes reprises, contre l’impact d’une croissance démographique trop élevée sur le développement. Il a appelé à rouvrir le dossier et étudier les moyens de faire face à ce défi majeur.
Ainsi, un groupe de ministres et d’experts s’est réuni au mois de mai dernier au forum organisé par le Fonds des Nations-Unies pour la population pour mettre en évidence la « catastrophe » de la croissance démographique incontrôlée en Egypte. Parmi les responsables qui y ont participé figurent Ghada Wali, ministre de la Solidarité sociale, Hala Al-Saïd, ministre de la Planification, et Abou-Bakr Al-Guindi, président de l’Organisme central pour la mobilisation et le recensement (CAPMAS). Selon la ministre de la Planification, la croissance démographique est généralement considérée comme une ressource humaine au cas où elle serait bien exploitée. Ce qui n’est pas le cas en Egypte où elle s’est transformée en un « monstre » qui avale tous les revenus.
La ministre de la Planification se réfère aux chiffres de l’Organisme central pour la mobilisation et le recensement, indiquant que le taux d’inflation a dépassé les 30 % début 2017, alors que le taux de croissance économique est de 3,5 %. « L’Egypte a besoin de doubler sa croissance économique par rapport à sa croissance démographique. Il faut une croissance économique d’au moins 4,6 % pour pouvoir fournir des services et des besoins élémentaires aux citoyens, et de 7,5 % pour leur garantir une vie plus aisée », a estimé la ministre. Par ailleurs, l’un des défis est que la population est majoritairement jeune : selon la ministre, 40 % de la population égyptienne a moins de 16 ans, ce qui implique un lourd fardeau, notamment en matière d’éducation et de santé.
Comprendre les causes
Face à de tels défis, les experts estiment évident de se doter d’une stratégie déterminée apte à réduire le taux de croissance, à mettre en place une stratégie qui prenne en compte les failles des précédentes stratégies de planning familial n’ayant pas abouti aux résultats envisagés. Il faut donc commencer par en déterminer les causes. Maya Morsi, responsable auprès du Conseil national pour les femmes, assure que le phénomène du mariage précoce est un facteur-clé dans la croissance démographique. « Le gouvernement doit durcir les peines à l'égard des familles qui acceptent de marier leurs filles de moins de 18 ans. Il est nécessaire que tous les mariages soient enregistrés. Cela aidera beaucoup à réduire le nombre de mariages précoces, et réduira automatiquement les naissances », a-t-elle déclaré.
Selon les études du Conseil national pour les femmes, dans les zones éloignées et dans le sud de l’Egypte, près de 36 % des mariages se produisent avant l’âge de 18 ans. D’après le CAMPAS, 4 487 jeunes femmes âgées entre 16 et 19 ans étaient déjà veuves en 2016. En outre, selon Maysa Chawqi, directrice du Conseil national de la population, citée par l’agence Reuters, c’est dans le sud du pays notamment que les familles égyptiennes misent sur leur progéniture, nombreuse, comme source de revenus. Mais face au manque d’opportunités dans leur région d’origine, ces jeunes montent à la capitale et viennent grossir les rangs des chercheurs d’emploi. « Dans les zones rurales, et dans le sud en particulier, les familles pauvres considèrent les enfants comme un filet de sécurité », souligne-t-elle.
Et trouver des solutions adéquates
Maysa Chawqi vient d’annoncer le lancement de campagnes de sensibilisation à ce sujet dans les établissements scolaires et universitaires. Un pas salué par Khaled Samir, membre au conseil de l’ordre des Médecins, fort convaincu qu’il faut commencer à travailler au niveau de l’évolution des mentalités et de l’héritage social qui constitue la principale entrave avortant tout plan de planning familial. Il appelle à lancer des campagnes de sensibilisation au niveau des écoles, des universités et des institutions religieuses. « Les hommes de religion ont un rôle important à jouer pour corriger les fausses idées répandues sur la contraception. Nombreuses sont les femmes qui croient encore que la contraception est illicite », explique Samir. Ce dernier pense en outre que l’Etat doit encourager les familles peu nombreuses. « A titre d’exemple, le gouvernement peut donner une pension à l’enfant unique lorsqu’il atteint l’âge de 18 ans. Ce genre d’initiative peut inciter les gens à faire moins d’enfants », propose-t-il.
Autant d’idées qui ne donnent pas forcément des résultats concrets. C’est pourquoi Yasser Omar, vice-président de la commission de la planification et du budget au parlement, trouve plus pragmatique de profiter des ressources humaines dans les divers domaines de développement. « L’exemple de la Chine et de ses 1,3 milliard de personnes est fort inspirant. Le gouvernement doit oeuvrer à investir les ressources, à les rendre productives. C’est ainsi que l’Etat peut transformer la croissance démographique en un avantage et non pas un fardeau comme c’est le cas actuel », souhaite-t-il.
Une rechute due au manque de financement
C’est en 1966, lorsque le nombre d’habitants a atteint 29 millions, que l’Etat a commencé à prêter attention aux conséquences de la croissance démographique sur l’économie et le développement. C’est en cette année que le président Gamal Abdel-Nasser a donné des consignes pour créer le Conseil du planning familial devenu ensuite le Conseil national pour la population. Plus tard, c’est depuis la tenue au Caire, en septembre 1994, de la Conférence internationale de la population organisée par les Nations-Unies que les efforts de l’Etat se sont intensifiés dans ce sens. Le choix de l’Egypte pour tenir cette conférence était symbolique. Parce que l’Egypte avait connu après 1985 une nette baisse de la fécondité due en partie à l’évolution des conditions socioéconomiques, mais aussi à l’application d’un programme national de planning familial mis en place par les pouvoirs publics en 1975. Cette situation avait donné à l’Egypte un statut du « pays phare » particulièrement intéressant aux yeux du Fonds des Nations-Unies pour la population. Le principal produit de cette conférence a été un programme d’action en 113 pages. Ce document détaillé a été une sorte de schéma directeur très complet. L’intérêt accordé depuis 1995 au programme de sensibilisation et de planning familial, que ce soit par le Conseil national pour les femmes, le Conseil national de la population et le ministère de la Santé, avait commencé à avoir des résultats positifs. Le grand essor qu’a connu le programme de planning familial a été notamment dans la période entre 1998-2009, qui a témoigné d’un recul relatif du taux de la croissance démographique grâce à un programme financé par les aides américaines U.S. Agency for International Developpement (USAID). Le résultat de ce programme était satisfaisant, et le taux de croissance démographique a pu atteindre 1,9 % en 2005 par rapport à 2,11 % en 2000. Le programme a réussi à diminuer la fécondité en haussant le taux d’usage des contraceptions à 60,3 % en 2008 par rapport à 47,6 % en 1991. Mais après la fin de ce programme en 2009, la situation s’est dégradée faute de financement. Et le taux de natalité a de nouveau connu une hausse pour atteindre 2,3 %.
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