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Halte à la mainmise des terres

May Atta, Mardi, 23 mai 2017

Les autorités ont lancé une vaste campagne aux quatre coins de l'Egypte pour récupérer les terrains usurpés de l'Etat. Sur les 2 millions de feddans détournés, 660 ont déjà pu être repris.

Halte à la mainmise des terres
Le gouvernement recense les superficies usurpées par mainmise, pour pouvoir les récupérer.

Plusieurs centaines de mètres carrés de terrains appartenant à l’Etat mais sous la mainmise de certains usurpateurs ont été récupérés cette semaine dans plusieurs gouvernorats. Il s’agit en fait d’une première étape d’une vaste campagne que l’Etat vient de lancer. C’est à partir du gouvernorat de Qéna en Haute-Egypte que le président Abdel-Fattah Al-Sissi a ordonné, la semaine dernière, la récupération des terrains de l’Etat illégalement acquis et dont les prix sont estimés à des milliards de L.E. Une tâche que le président a confiée aux forces de l’armée et de la police, lesquelles oeuvreront en coordination avec toutes les instances concernées. L’opération devrait être achevée vers la fin mai. « C’est avec toute fermeté que l’Etat va récupérer les terrains de ceux qui s’en sont emparés. Il n’est plus admissible d’usurper des propriétés de l’Etat », avait en effet déclaré le président sur un ton furieux.

En fait, si la campagne vient d’être lancée, le président Sissi accorde depuis 2016 un grand intérêt à ce dossier. A cette époque, le président avait formé un comité national dirigé par l’ancien premier ministre, Ibrahim Mahlab, chargé de recenser les superficies des terrains dérobés et de prendre les mesures nécessaires pour leur récupération. Ce comité regroupe le ministre du Développement local et des représentants du ministère de l’Intérieur, des services de renseignements généraux, de l’Organisme du contrôle administratif et l’Organisme du contrôle financier. Ce comité a été donc chargé de récupérer les terrains par voie juridique et d’étudier les failles favorisant l’expansion de ce phénomène. Mais au bout d’un an de travail, seuls 80 000 feddans ont été récupérés, alors que l’ensemble des terrains de l’Etat usurpés est estimé à 2 millions, selon Ahmad Ayoub, porte-parole du comité.

Cette fois-ci, l’action a été plus rapide : en moins de 48 heures, toutes les instances de l’Etat ont été mobilisées, et les campagnes menées par les autorités dans plusieurs gouvernorats ont permis de récupérer 660 feddans au Caire, 105 feddans à Guiza, 320 feddans sur la route désertique Le Caire-Alexandrie et des centaines d’autres dans plusieurs gouvernorats. Dans le gouvernorat de la mer Rouge, une superficie de 48 feddans détournés par l’ancien ministre du Tourisme a été aussi récupérée. Par ailleurs, au cours de cette campagne, des constructions illégales érigées sur les terrains agricoles ont été détruites.

Deux cas de figure

Halte à la mainmise des terres

Un premier pas qui devrait être suivi d’autres. Pour ce, le premier ministre, Chérif Ismaïl, a tenu, cette semaine, une réunion avec plusieurs ministres et gouverneurs pour se pencher sur les moyens de mettre en place des mesures urgentes pour récupérer les terres illégalement acquises. Il a été décidé lors de cette réunion de former une cellule de crise pour suivre les procédures juridiques et exécutives prises pour accomplir cette tâche. « Le gouvernement recense actuellement les superficies usurpées par mainmise pour pouvoir les récupérer », a déclaré Ismaïl. Le premier ministre a indiqué que la cellule de crise formée a ouvert la porte pour recevoir les demandes des gens qui veulent légaliser leur statut et payer les droits de l’Etat.

A cet égard, Mohamad Abdel-Sattar, ancien président du syndicat des Agriculteurs, affirme que sur la totalité des terrains appartenant à l’Etat et détournés — soit 2 millions de feddans —, seuls 800 000 feddans sont cultivés. Il impute au ministère de l’Agriculture la responsabilité de cette situation. « Pendant de longues années, le ministère a fermé les yeux sur le détournement de terrains destinés à la bonification. Au lieu de les récupérer, il a légalisé le statut des contrevenants, ce qui a encouragé d’autres à s’emparer d’autres terres. Aujourd’hui que cette guerre est lancée, il ne faut pas traiter à pied d’égalité ceux qui ont dépensé des millions de L.E. pour la bonification des terres et peinent à légaliser leur statut à cause des entraves de la bureaucratie et ceux qui se sont emparés de terrains pour les revendre », estime-t-il. A noter que le président Sissi a recommandé de ne pas exproprier les terrains déjà cultivés et de légaliser leur statut.

Double stratégie

C’est surtout à l’époque de l’ancien président Moubarak entre les années 1990 et 2000 que les agresseurs se sont emparés de ces terrains profitant de la corruption de certains responsables et hommes d’affaires. A l’issue de la révolution de 2011, le vide sécuritaire a favorisé l’accroissement de ces agressions sur les terrains de l’Etat. « La corruption du régime de Moubarak a facilité aux hommes d’affaires et aux responsables de posséder des terrains de l’Etat à travers deux moyens : la mainmise tout simplement, ou l’achat à des prix dérisoires. Et ces terrains ont été revendus à des prix bien plus élevés », explique Moustapha Kamel Al-Sayed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Selon lui, ces terrains valent des milliards de L.E., des milliards qui peuvent contribuer à résoudre la crise économique du pays.

Vision partagée par Ahmad Ayoub qui salue la relance de ce dossier en ce moment de crise. « La volonté politique manquait. Ces mesures devaient être prises depuis longtemps », affirme-t-il. Concernant les terres agricoles détournées mais cultivées, il explique que le comité a reçu 17 000 demandes pour une légalisation du statut. « Mises à part les terres cultivées, ceux qui veulent garder les terrains qu’ils ont usurpés doivent payer leur prix », explique Ayoub. Au-delà de cette campagne, ajoute Ayoub, l’Etat doit se doter d’une double stratégie : l’une permettant de récupérer les terrains usurpés, l’autre de remédier aux failles qui ont favorisé auparavant ce phénomène. En outre, l’affaire peut traîner en longueur, certains cas ne peuvent pas être réglés rapidement, car ils sont en justice, et les procès traînent. Pour ces cas, aucune mesure ne peut être prise avant le verdict.

Ahmad Al-Séguini, président de la commission des municipalités au parlement, assure que l’Organisme du développement urbain a contribué à la vente de milliers de feddans à bas prix. « Il faut annuler cet organisme et en créer d’autres qui ont pour but de gérer le dossier des terrains de l’Etat d’une façon qui protège ses droits. Il faut aussi sanctionner tous les responsables qui ont aidé à favoriser ce phénomène. Il faut que le gouvernement publie les statistiques et le nombre de feddans dérobés et la stratégie à travers laquelle l’Etat peut récupérer ces terrains », ajoute-t-il. Quant au député Magdi Malak, il estime que rien ne peut être fait sans l’amendement de la loi 143/1981 concernant les terrains désertiques.

Reste à savoir si la campagne actuelle portera ses fruits. Un bilan devra être dressé. C’est ce qu’a affirmé le président Sissi, mercredi 17 mai, dans une interview accordée aux rédacteurs en chef des journaux gouvernementaux, indiquant qu’une conférence de presse sera tenue fin mai en présence des ministres de la Défense, de l’Intérieur, des gouverneurs et des responsables de la sécurité pour rendre compte des avancées réalisées sur ce dossier. Pour le président, il est inadmissible de laisser les terrains de l’Etat usurpés alors que le pays souffre d’une crise économique qu’endure le peuple. « La récupération des terrains de l’Etat est une affaire qui relève de la sécurité nationale », a conclu Sissi.

Que faire des maisons construites sur des terres agricoles ?

Outre les terres usurpées, les constructions illégales sur les terrains agricoles constituent une autre question épineuse.

Dans le cadre de la campagne en cours, le premier ministre, Chérif Ismaïl, a demandé aux gouverneurs de détruire toutes les constructions illégales sur les terrains agricoles usurpés jusqu’à la fin du mois de mai. « Nous avons réussi à détruire 171 constructions illégales durant la semaine dernière », a déclaré Abdel-Moneim Al-Banna, ministre de l’Agriculture. Outre la question de l’usurpation des terres, cette affaire remet donc sur le tapis la question des constructions illégales. Les Egyptiens n’habitent que 5 % de la superficie du pays. Ils se concentrent dans la vallée du Delta du Nil. Le manque des terrains destinés à la construction a poussé les habitants, surtout les paysans, à dérober des terrains agricoles, et y construire des maisons.

En fait, le gouvernement avait interdit la construction sur des terres agricoles sans pour autant résoudre les problèmes de la croissance démographique. Du coup, des millions de constructions anarchiques ont été érigées sur les terres agricoles. « Au cours de la semaine dernière, les gouverneurs se sont intéressés à détruire des constructions sur les terrains illégalement acquis. Ce n’est pas juste, car il existe des milliers de cas qui ont demandé de légaliser leur situation afin de posséder leurs terrains et les maisons bâties dessus. Beaucoup de gens, qui ont eu recours à la construction de maisons sur des terres agricoles, n’avaient pas d’autres alternatives ». Or, malheureusement, le comité de Mahlab n’a pas étudié les milliers de cas demandant de légaliser leur situation. « Je connais des centaines de cas dans mon gouvernorat, Assouan, qui veulent légaliser leur situation depuis des années et payer leur dû, mais qui n’arrivent toujours pas à le faire », affirme Mohamad Aboul-Séoud, député et membre à la commission d’agriculture. Selon lui, la priorité du gouvernement doit se concentrer sur la récupération des terrains de l’Etat usurpés par la mafia des terrains qui ont 1,5 million de feddans environ et non pas la destruction des maisons des gens qui n’ont pas trouvé d’autres espaces pour habiter.

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