En rentrant au Caire, le président Morsi et sa délégation n’ont ramené que des « promesses » de la part de Moscou d’« étudier » leurs demandes. Celles-ci se résument à un prêt financier et des provisions en blé.
Mais aucune des deux demandes n’a semblé être satisfaite dans l’immédiat. Le gouvernement égyptien s’est contenté d’un compte rendu vague de la visite.
« La Russie et l’Egypte se sont mises d’accord pour renforcer leur coopération énergétique », a annoncé Mohamad Morsi à l’issue d’une rencontre avec son homologue russe Vladimir Poutine à Sotchi, une ville située sur les rives de la mer Noire. Il s’agit de projets dans le domaine du « pétrole et du gaz (...), ainsi que dans l’industrie nucléaire », notamment de la construction de nouvelles centrales nucléaires sur le territoire égyptien, a-t-il précisé.
« La visite du président Morsi en Russie a relancé le dialogue sur les échanges commerciaux entre les deux pays », a affirmé à son tour le ministre du Commerce et de l’Industrie, Hatem Saleh. « Les pourparlers permettront de créer un marché prometteur pour les produits égyptiens », a ajouté le ministre tout en soulignant que les comités techniques bilatéraux étudient actuellement les démarches pratiques. Concernant le prêt, Saleh a reconnu « ne pas avoir atteint de décision là-dessus ».
Pas de promesse
Les ministres égyptiens du Pétrole, de l’Electricité, des Transports et des Affaires étrangères avaient accompagné le président lors de son départ le 19 avril pour discuter avec leurs homologues russes.
De leur côté, les officiels russes se sont gardés de faire des promesses, se contentant d’assurer que les demandes égyptiennes étaient « à l’étude ».
« Nous nous sommes mis d’accord d’accroître graduellement notre coopération en vue de la diversification de nos liens économiques, et de prêter plus d’attention à l’investissement », a déclaré le président Poutine.
Les deux présidents ont évoqué un éventuel octroi d’un prêt au Caire, a déclaré Iouri Ouchakov, un conseiller du président russe. « Cette question a été évoquée et les parties se sont mises d’accord pour que les ministères des Finances russe et égyptien entrent en contact » afin d’en discuter, a-t-il indiqué.
Il s’agit d’un « gros prêt », a ajouté le même responsable, sans toutefois en préciser le montant. Selon une source officielle russe, la somme demandée frise les 2 milliards de dollars.
Concernant l’augmentation des provisions en blé, le ministre russe de l’Agriculture, Nikolai Fyodorov, a indiqué qu’aucun accord n’avait été conclu dans l’immédiat. « Si la récolte russe atteint 95 millions de tonnes cette année, il sera possible de répondre à cette demande », a-t-il précisé.
Pondérer le poids des Etats-Unis
La visite du président Morsi en Russie s’inscrit dans les efforts d’« équilibrer » la politique étrangère du Caire, jugée trop orientée et dépendante des Etats-Unis sous l’ex-président Hosni Moubarak. Mais son échec apparent a donné lieu à une vague de critiques aussi bien de la part des détracteurs du régime islamiste que de spécialistes de relations internationales.
« La Russie est l’un des plus grands producteurs de blé et du gaz naturel et l’Egypte a besoin des deux. Cela dit, la visite de Morsi, contrairement à ce que certains pouvaient imaginer, était une mission difficile », affirme Ahmad Qandil, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
« La Russie voit d’un très mauvais oeil les révolutions dites du Printemps arabe. Ils sont convaincus qu’elles sont l’oeuvre des Etats-Unis, lesquels cherchent à instaurer des régimes islamistes dans les pays du Proche-Orient. Au bout du compte, les islamistes ont aidé les Etats-Unis au Pakistan et en Afghanistan, et leur avènement politique peut renforcer les séparatistes tchétchènes », explique Qandil.
« Ajoutons à cela, la position égyptienne favorable aux révolutionnaires syriens, alors que, pour la Russie, la Syrie de Bachar Al-Assad est d’une grande importance stratégique », poursuit le chercheur.
Absence de vision
« Pour les Russes, cette visite n’aura pas eu un poids important. Elle fait partie de l’absence de vision et de la mauvaise gestion des relations internationales. C’est un indice de plus de la titubation et du pragmatisme flagrant du régime actuel », lance Sayed Abdelaal, président du parti du Rassemblement (gauche).
« Du côté égyptien, il n’y a pas eu un plan stratégique bien étudié pour la promotion des relations bilatérales avec ce pays, alors que de leur côté, les Russes ne se sentent pas bien en traitant avec une confrérie qui leur a posé des ennuis en Afghanistan et en Tchétchénie », estime-t-il.
« Les Frères musulmans ont contribué au djihad aux côtés des Afghans contre l’invasion soviétique dans les années 1979-1989, à travers le leader Abdallah-Azzam. D’origine palestinienne, celui-ci avait adhéré à la branche jordanienne de la confrérie », rappelle Nabil Abdel-Fattah, également du CEPS.
« En plus de l’histoire pas très fameuse de la Russie avec les islamistes, dont les Frères, pratiquement parlant, l’Egypte est très loin de représenter une perspective économique prometteuse. L’absence de sécurité, de l’Etat de droit, de l’indépendance de la justice, signifie qu’aucun prêt ne pourra être remboursé, qu’aucun investissement ne pourra prospérer et que même les touristes n’y seront pas protégés », avance l’intellectuel de gauche, Nabil Zaki. « En aidant Bachar Al-Assad, les Russes veulent en effet éviter à la Syrie un régime islamiste pareil à celui du président Morsi », lance-t-il encore.
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