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Le nouveau défi des médias

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mercredi, 19 avril 2017

De nouveaux organismes indépendants, régulant les médias audiovisuels et la presse écrite officielle, viennent d'être créés. Ils sont désormais en charge de gérer l'ensemble du paysage médiatique.

Le nouveau défi des médias
Les nouveaux organismes vont permettre aux médias étatiques de se développer au niveau du fond et de la forme. (Photo : Mohamad Abdou)

Cette semaine, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a promulgué un décret présidentiel pour la création de trois organismes qui, en vertu de la Constitution de 2014, géreront et supervise­ront la presse officielle et les médias audiovi­suels. Ces organismes sont le Conseil suprême des médias, l’Organisme national de la presse et l’Organisme national des médias. L’écrivain Makram Mohamad Ahmad, ancien président du syndicat des Journalistes, présidera le Conseil suprême des médias. Le journaliste Karam Gabr sera, lui, à la tête de l’Organisme national de la presse tandis que l’Organisme national des médias sera dirigé par Hussein Zein. Composé de 13 membres, le Conseil suprême des médias est chargé de gérer les deux organismes de la presse et des médias, composés chacun de 13 membres également. Les membres de ces organismes ont été recru­tés parmi les candidats proposés par plusieurs syndicats et instances dont le syndicat des Journalistes, celui des Médias audiovisuels, la faculté de communication et le Conseil d’Etat. Ce système de recrutement renferme donc, de façon indépendante, des professionnels expéri­mentés.

Ces trois nouvelles autorités viennent rempla­cer le ministère de l’Information et le Conseil consultatif, deux organes étatiques qui géraient jusqu’à la révolution de 2011 les médias et la presse et qui ont été abolis en 2012. En décembre dernier, le parlement avait approuvé une loi sur la création de nouveaux organismes gérant les médias audiovisuels et la presse écrite officielle. Cette décision fait suite à l’article 211 de la Constitution de 2014 qui stipule que de nou­velles instances pour la gestion et la supervision des médias et de la presse officielle doivent être créées. La création de ces organismes répond donc à une exigence constitutionnelle. L’article 72 de la Constitution de 2014 stipule que l’Etat s’engage à assurer l’indépendance des organes de presse et des médias dont il est propriétaire, afin d’en garantir la neutralité, d’assurer la liberté d’expression et de donner une chance égale à tous de pouvoir s’adresser au public. En 2015, une loi unifiée sur la presse et les médias a été rédigée par le gouvernement en collabora­tion avec le syndicat des Journalistes. Toutefois, le gouvernement a décidé de diviser le texte en deux projets de loi et de donner la priorité à celle relative à la création des organismes de gestion des médias. Cette loi, approuvée en décembre dernier, concerne uniquement la création de ces organismes. Le projet de loi réglementant les libertés des journalistes et les conditions d’exer­cice du métier n’a pas encore été discuté jusqu’à présent. Selon le gouvernement, il était évident de commencer par la création de ces organismes, surtout après l’expiration du mandat de deux ans du Conseil suprême de la presse, formé en 2013.

Premier pas vers l’indépendance

D’après Makram Mohamad Ahmad, la créa­tion de ces organismes est un premier pas vers l’indépendance de la presse et des médias audio­visuels. En vertu de la nouvelle loi, la gestion administrative et financière des entreprises de presse et des médias officiels a été confiée à des instances indépendantes. « La tâche est ardue et les défis qui attendent les responsables des médias et de la presse écrite sont énormes. Le rôle des nouveaux organismes sera d’établir des critères qui garantissent leur indépendance, et de rédiger une charte de déontologie à respec­ter », explique Makram Mohamad Ahmad, avouant que les médias ont besoin d’une réforme radicale au niveau professionnel et structural.

Le Conseil suprême des médias, qui est un organisme indépendant au niveau administratif et financier, supervisera les deux autres orga­nismes des médias et de la presse. Ce conseil donnera son avis sur les lois et les règlements relatifs à la presse et aux médias, recevra les notifications de création des nouveau journaux ou médias audiovisuels et numériques, et four­nira les licences nécessaires. Il se chargera en outre d’élaborer et de mettre en oeuvre une charte de déontologie pour les médias et la presse et de sanctionner les contrevenants. Des mesures nécessaires pour « assurer la qualité et le professionnalisme du message médiatique présenté au public », rappelle Makram Mohamad Ahmad. Quant au Conseil national de la presse, il est chargé de gérer les entre­prises de presse officielle. Il se chargera de la nomination des PDG et des rédacteurs en chef ainsi que de la supervision des budgets. L’Organisme national des médias gère aujourd’hui l’ensemble des médias officiels. Il a remplacé l’Union de la Radiotélévision (Maspero), qui a géré les médias officiels après la suppression du ministère de l’Information.

Défis de taille

L’indépendance des médias et de la presse officielle, sous la tutelle étatique depuis des décennies, est certes une revendication long­temps réclamée. Aujourd’hui qu’elle se concré­tise, les experts rappellent qu’après de longues années de mauvaise gestion et d’instrumentali­sation des médias, le changement ne va pas être facile et va demander beaucoup d’efforts. L’Etat est en effet propriétaire de 8 groupes de presse comptant plusieurs dizaines de publications. Maspero, la Maison de la Radiotélévision publique, comprend à lui seul environ 43 000 fonctionnaires, comme le rappelle l’expert en médias, Yasser Abdel-Aziz, qui trouve néces­saire d’adopter d’une stratégie globale et gra­duelle. « Ce changement, qui a beaucoup tardé à venir, a laissé les problèmes des médias et de la presse s’accumuler au fil des décennies. Aujourd’hui, les journalistes misent sur ces nou­veaux organismes pour régler les problèmes dont ils souffrent au sein de leurs entreprises. C’est un défi énorme qui nécessite une étude globale et approfondie des stratégies de réforme administrative, financière et professionnelle à adopter », estime Abdel-Aziz. Il ajoute qu’outre la mauvaise gestion, les médias étatiques n’ont pas pu se développer sur le fond et la forme pour pouvoir concurrencer les médias privés. « Cela a créé un fossé professionnel mais financier aussi entre médias officiels et privés. Ces der­niers ont gagné en audimat et ont donc décroché plus de contrats publicitaires. Je pense que c’est à partir de là que la réforme doit commencer », confie-t-il.

Un autre défi très important est celui des entre­prises de presse écrite qui subissent les répercus­sions de la dévaluation de la monnaie ayant doublé le prix de l’impression et du matériel d’imprimerie. « Cette réalité creuse encore plus le fossé entre la presse écrite et la presse numé­rique. D’autant plus que ces entreprises souf­frent de mauvaise gestion et du manque de plans de restructuration. La naissance de ces orga­nismes est donc un pas sur le long chemin des réformes dont la réussite dépendra de la volonté réelle de changer les choses », conclut Abdel-Aziz.

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