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Armée égyptienne: Les dessous d’un rapport

Chérif Albert, Lundi, 15 avril 2013

Le président Mohamad Morsi et le chef de cette institution ont serré les rangs après des fuites concernant un rapport mettant en cause les militaires dans des meurtres et des exactions pendant et après la révolution de janvier 2011.

Armee
(Photo:Reuters)

« Je jure par Dieu que les forces armées n’ont ni tué, ni ordonné de tuer. Elles n’ont ni agi traîtreusement, ni ordonné de traîtrise », a affirmé le ministre de la Défense, le général Abdel-Fattah Al-Sissi, en réponse aux passages publiés par le journal britannique The Guardian, mettant en cause des officiers de l’armée dans des actes de torture, des disparitions et des meurtres de civils au moment et après la révolution.

Le ministre s’exprimait aux côtés du président, suite à une réunion jeudi dernier entre ce dernier et les membres du Conseil suprême des forces armées. Le président Morsi a convoqué cette réunion « pour apaiser la situation et dissiper les tensions qui règnent au sein de l’armée, consécutives à une campagne diffamatoire et aux attaques de la part de certains politiciens », selon l’agence de presse officielle Mena. Le président a également procédé à la promotion de trois généraux de division au grade de général de corps d’armée, dans une manifestation de soutien à l’armée.

Le quotidien britannique The Guardian, ainsi que des journaux égyptiens, ont publié des extraits d’un rapport soumis au président de la République en janvier dernier, mais toujours pas officiellement publié. Ces extraits accusent l’armée de torture et de disparitions forcées pendant les 18 jours de la révolution contre Hosni Moubarak — qui a fait appel à l’armée dans l’espoir de contenir la révolte — et les mois qui ont suivi sa chute.

Un passage publié par The Guardian indique que l’armée a donné l’ordre à des médecins d’opérer sans anesthésie des manifestants blessés lors de rassemblements organisés contre le pouvoir militaire en mai 2012. Un autre témoin a décrit comment des médecins de l’armée et des soldats « ont attaqué les manifestants en les battant violemment et en les insultant ». D’autres extraits du rapport accusaient l’armée de tortures et de disparitions. Des accusations déjà formulées par les opposants et les organisations des droits de l’homme.

Le président Morsi avait formé mi-2012 une commission d’enquête sur les violences commises lors de la révolution et durant les 18 mois de direction militaire. Mais le secret entourant ce document a suscité ces derniers mois des soupçons selon lesquels le pouvoir chercherait à en supprimer les conclusions.

Véracité des fuites

Membre de la commission d’enquête ayant élaboré le rapport en question, Mohsen Al-Bahnassi, reconnaît la véracité de fuites publiées par The Guardian. Il raconte que depuis janvier 2011, des révolutionnaires avaient été enlevés aux postes de contrôle dressés par les forces armées à travers la capitale ainsi qu’aux accès qui y mènent. « Des hommes de main se sont également infiltrés sur la place de Abdel-Moneim Riyad, tout près de Tahrir, sans que les militaires n’interviennent. Beaucoup de cadavres ont fini dans la morgue du quartier de Zeinhom, avec des permis d’enterrement remis par l’armée. Dans leurs témoignages, des manifestants indiquent, en outre, avoir été torturés par des éléments de la police militaire dans l’enceinte du Musée égyptien qui donne sur Tahrir », insiste Al-Bahnassi. « Nous avons demandé au représentant de la justice militaire au sein de la commission les noms des soldats qui étaient postés sur la route Le Caire-Fayoum (où plusieurs incidents de rapt auraient eu lieu), mais il a refusé de nous aider », ajoute-t-il.

Al-Bahnassi pense que pour juger les responsables de ces violations en dehors de la justice militaire, un tribunal spécial devra être formé en vertu d’un décret présidentiel. En effet, la Constitution adoptée en décembre à l’initiative des Frères musulmans stipule que seule l’armée est habilitée à enquêter sur ses propres membres et à les juger. Mais à la différence de Bahnassi, le directeur de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, Hafez Abou-Seada pense « qu’il est trop tard pour parler de tribunaux exceptionnels. Cela aurait dû avoir lieu dès la chute de Moubarak ».

La teneur de ce rapport, sa fuite et les réactions officielles qu’il a suscitées, ne peuvent, en effet, se lire que dans le contexte politique actuel, notamment les relations complexes qu’entretient l’Armée avec le régime islamiste du président Mohamad Morsi.

« Le jeu de Morsi et des Frères est compliqué à lire. Jusqu’à nouvel ordre, la présidence est à l’origine des fuites sur la répression de l’armée. Il s’agit probablement d’un ballon d’essai, testant les réactions de la rue et celles de l’armée », estime le politologue Tewfiq Aclimandos.

Mais c’est une carte de pression sans plus. « Si le président fait la publicité de ce rapport, cela créerait beaucoup de problèmes pour lui. Morsi a plus intérêt à accommoder les acteurs puissants qu’à garder une idéologie bien consistante. Ce n’est pas les idéologies qui font les alliés, mais plutôt les intérêts », pense, pour sa part, le sociologue Joseph Hill, ex-professeur à l’Université américaine du Caire.

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