Tanta,
De notre envoyée spéciale —
Il est 10h du matin. La communauté chrétienne de la ville de Tanta (à 100 kilomètres au nord du Caire) célèbre la messe des Rameaux dans la plus grande église de la ville, Mar Guirguis (Saint-Georges), quand une bombe explose, faisant au moins 28 tués et 71 blessés. Pendant les heures qui suivent, c’est l’effervescence autour de l’église et dans les rues adjacentes. Le calme revient peu à peu à Tanta, sauf dans trois endroits : l’église elle-même, la morgue et les hôpitaux qui ont reçu les blessés.
Près de l’église, une foule de fidèles est là, attendant on ne sait quoi. Peut-être l’explication des uns ou des autres sur la réalité des faits. Comment s’est passé cet attentat ? Comment une bombe a-t-elle pu être installée à l’intérieur de l’église ? Comment justifier une telle faille sécuritaire ? Autant de questions qui restent sans réponse. Et qui, en attendant, donnent lieu à une grosse colère, à tel point que la foule a déversé sa rage sur le directeur de la sécurité du gouvernorat de Gharbiya, accablé de coups, alors qu’il était sur place quelques heures après l’attentat.
Bien qu’elle soit interdite de rentrer dans l’église pour permettre aux enquêteurs de faire leur travail, la foule reste là, à l’extérieur. Les témoins se racontant les uns aux autres ce qui s’est passé, cherchant les leurs. Souma William attend devant l’église la moindre information sur son oncle. Après une longue recherche dans les hôpitaux et dans la morgue, elle n’a pas pu trouver son oncle et elle est revenue s’enquérir auprès des responsables de l’église. Aucune trace de lui, sinon son portefeuille trouvé par terre. Souma craint qu’il ne soit l’un de ces cadavres trouvés décapités. « L’explosion a eu lieu vers 10h, alors que des centaines de chrétiens étaient à l’intérieur de l’église. La messe a commencé à 7h et devait se poursuivre jusqu’à 14h. Nous ne savons pas ce qui s’est passé exactement, si une bombe était placée sous le siège de l’évêque ou si c’était un attentat-suicide. Ce qui est sûr, c’est que la sécurité de l’église n’a pas fait son travail ».
Polémique sur les failles sécuritaires
Ce n’est pas l’avis de Sayed, l’un des policiers stationnés devant l’église, qui croit que la sécurité était suffisante. « Les fidèles n’entrent pas de la grande porte. Il existe une petite porte d’accès et tout le monde passe par le portique de sécurité et par le détecteur de métaux. Nous, notre mission finit à l’extérieur. Les responsables de l’église refusent de faire entrer la police à l’intérieur de l’église et donnent la responsabilité d’inspecter les gens aux scouts et guides de l’église, dont l’âge ne dépasse pas parfois les 16 ans », explique-t-il. Hoda Michael, propriétaire d’un magasin qui se situe face à l’église, raconte que le son des portiques de sécurité ne cesse pas. « Il y a des centaines de fidèles qui viennent pour la messe. Il ne leur est pas toujours demandé d’ouvrir leurs sacs, parfois, c’est fait très vite », dit-elle.
Et le débat sur les failles sécuritaires et leurs responsables de s’enflammer. L’un des prêtres qui attend aussi l’ouverture de la porte assure que c’est le rôle des responsables sécuritaires. « Même si on refuse de faire entrer les policiers à l’intérieur de l’enceinte de l’église, ces derniers doivent faire leur travail. Le ministère de l’Intérieur doit refuser et exiger de faire son boulot, même par la force. Il y a une semaine, la police a découvert une bombe devant l’église, et grâce à Dieu, elle n’a pas explosé. Malgré cela, le ministère de l’Intérieur n’a envoyé que deux officiers de plus avant la fête. Et voilà le résultat ».
Douleur et choc
Autres lieux, même scène de choc et de colère. Avec, en plus, la douleur d’avoir perdu un proche. Il s’agit de la morgue où les familles viennent chercher les leurs, morts dans l’attentat, et des hôpitaux qui ont accueilli les blessés.
A l’hôpital universitaire qui a reçu le plus grand nombre des blessés, une autre foule est dispersée çà et là. Ce sont les familles des blessés. Leur état de choc varie en fonction de l’état du blessé. S’il est en soins intensifs ou dans une chambre normale. S’il est grièvement atteint ou non. 15 malades ou blessés, en plus de leurs familles, sont entassés dans une même salle où des gémissements et des cris fusent de toutes parts. Sans compter les membres de la police qui tentent d’interroger les blessés.
Au milieu de la chambre, un diacre âgé d’à peine 16 ans est alité, les vêtements blancs entachés de sang. Il parle avec difficulté, dit attendre son tour pour se faire opérer et faire sortir les éclats de ses mains et ses pieds. On tente de l’interroger un peu plus sur l’incident, mais il n’arrive pas à parler.
A 300 mètres de l’hôpital, une autre foule. Tout de noir vêtue. Seul un sentiment prévaut parmi ces gens en pleurs : le désespoir et la douleur. Ce sont les familles des morts dont les cadavres gisent dans cette morgue. La douleur est d’autant plus forte que les corps sont déchiquetés. Dans cette morgue, seuls 3 corps conservent leur intégralité.
Difficile dans ces conditions de parler aux gens, la foule a littéralement refusé de s’adresser aux journalistes. Seul le prêtre Daniel, l’un des prêtres de l’église Mar Guirguis, raconte son histoire : l’un de ses fils, Bichoy, est mort durant l’attaque. L’autre gît dans l’hôpital dans un état grave, des éclats de bombe dans le cerveau. Une jeune femme à côté de lui pleure en se lamentant sur son mari défunt : « Il m’a dit de le réveiller à 6h pour aller à la messe. Pourquoi tu es parti Chadi ? Et pourquoi tu m’a laissée seule ? ». Cette jeune femme, mariée depuis un an et demi à peine, se retrouve veuve, et sa fille de 5 mois orpheline.
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