Les coptes sont sous le choc. Ils crient leur colère après deux attentats meurtriers, revendiqués par Daech, commis le 9 avril en pleine célébration du dimanche des Rameaux. Des kamikazes portant des ceintures d’explosifs se sont fait exploser devant deux églises, l’une à Tanta, dans le delta du Nil, l’autre à Alexandrie. Le bilan est lourd : 46 morts et 126 blessés. Il s’agit des attentats les plus meurtriers visant la communauté copte (voir page 4).
Le premier attentat a eu lieu à l’église Saint-Georges de Tanta, au nord du Caire, à 10h du matin faisant 29 morts et 78 blessés. Depuis Tanta, les images diffusées par les chaînes de télévision montrent le sol et les murs blancs de l’église couverts de sang, et les morts et les blessés jonchant le sol (voir reportage page 4). Traumatisés par l’atrocité du crime, des centaines de coptes ont manifesté leur colère devant l’église. « C’est une période de fêtes, la sécurité devrait être renforcée dans les églises », s’écrie un citoyen copte sur la chaîne CBC. Le même jour, le chef de la sécurité de Tanta a été limogé. Plus tard dans la journée, au moins 17 personnes, des civils et des policiers, ont péri et 40 autres ont été blessées dans une nouvelle explosion, cette fois à l’entrée de la Cathédrale Saint-Marc d’Alexandrie. Le pape Tawadros II de l’Eglise copte orthodoxe se trouvait à l’intérieur de la cathédrale et l’a quittée peu de temps avant l’explosion, évitant le pire. Si le bilan de l’église d’Alexandrie a été moins lourd que celui de Tanta, c’est grâce à la vigilance des policiers stationnés devant l’église. Soupçonnant le comportement d’une personne, qui n’était autre que le kamikaze, un lieutenant de police est intervenu le prenant à bras-le-corps à l’entrée de l’église avant de l’en éloigner. Le kamikaze a fait sauter sa ceinture explosive, mais l’explosion a été si forte qu’elle a provoqué l’effondrement d’une maison adjacente. Les victimes de l’attentat d’Alexandrie ont été enterrées ce lundi 10 avril, et celles de Tanta la nuit de dimanche.
Cette recrudescence du terrorisme contre la communauté copte intervient quatre mois après un attentat-suicide spectaculaire contre l’église Saint-Pierre et Saint-Paul, adjacente à la Cathédrale de Abbassiya, qui avait fait 29 morts, en décembre 2016. Ces attentats interviennent aussi avant une visite du pape François prévue les 28 et 29 avril en Egypte.
Qui est derrière ces attentats ?

Nagwa Abdel-Alim Al-Haggar et Emad Al-Rakaybi, les deux policiers tués durant l'attentat d'Alexandrie.
Le groupe terroriste Daech a revendiqué les attentats dans un communiqué, promettant de multiplier les attaques contre les chrétiens. « D’autres attaques viseront les chrétiens. Que les croisés soient avertis ! », annonce Daech, dimanche via son agence de propagande Amaq. Le groupe a aussi révélé les surnoms des auteurs de ces attentats. Il s’agit d’Aboul-Barae Al-Masri, qui a commis l’attentat d’Alexandrie, et d’Abou-Ishaq Al-Masri, responsable de celui de Tanta.
Le ministère de l’Intérieur a annoncé, lundi 10 avril, dans un communiqué, avoir tué 7 sympathisants du groupe Daech qui planifiaient des attaques contre les coptes. « Ces éléments qui partagent l’idéologie de Daech se cachaient dans une région montagneuse de la province d’Assiout, et ils ont été tués après des échanges de tirs avec les forces de sécurité », lit-on dans le communiqué qui ne précise pas la date de cet accrochage. « Les sept suspects tués cherchaient à fabriquer des explosifs en vue de commettre des attaques terroristes », a affirmé le ministère. Des informations qui riment bien avec l’avis de certains analystes estimant que les Frères ont une main dans ces attaques. L’expert sécuritaire Achraf Amin est convaincu que de telles opérations n’auraient pas pu avoir lieu sans une coopération étroite entre Daech, la confrérie des Frères musulmans et les autres groupuscules affiliés aux Frères comme Hasm. « Cette opération de grande échelle porte l’empreinte de Daech. Elle a nécessité une collecte d’informations que seuls les Frères auraient pu faire », estime Amin. Une coopération alarmante et dangereuse, qui nécessite, selon lui, une haute vigilance de la part des services de sécurité.
Quels messages ?
Selon Ahmad Ban, spécialiste des mouvements islamistes, le choix d’un jour férié chrétien est prémédité pour produire un retentissement et faire tomber un grand nombre de victimes. « Acculé en Syrie et en Iraq, et perdant du terrain dans le Sinaï, Daech voulait lancer une attaque d’envergure pour montrer qu’il est encore là », estime l’expert. A rappeler que les forces armées sont engagées dans une opération militaire d’envergure dans la région de Gabal Al-Halal dans le Sinaï, bastion des terroristes qui subissent de gros revers. Dimanche 2 avril, l’armée avait annoncé avoir tué Abou-Anas Al-Ansari, cadre fondateur d’Ansar Beit Al-Maqdès, filière de Daech, lors de raids aériens menés par les forces armées sur les villes de Rafah, Al-Arich et Cheikh Zoweid au nord du Sinaï, le 18 mars. Selon Ban, ces récents attentats portent plusieurs messages à l’intérieur comme à l’extérieur. « En visant les coptes, les terroristes veulent semer la discorde et la terreur entre musulmans et chrétiens. Ils veulent aussi donner du fil à retordre à l’Etat égyptien en guerre ouverte contre le terrorisme. Le message le plus important est adressé à l’étranger qui soutient l’Egypte dans sa guerre contre le terrorisme, notamment la nouvelle Administration américaine du président Donald Trump déterminé à éradiquer Daech et affichant un grand soutien aux efforts de l’Egypte dans sa guerre contre le terrorisme », décrypte-t-il.
Les attentats ont été rigoureusement dénoncés par la communauté internationale. En Egypte, les institutions politiques et religieuses ont fustigé des « actes infâmes qui ne parviendront pas à briser l’unité de la nation ». Les quinze membres du Conseil de sécurité des Nations-Unies ont tous condamné ces attaques qu’ils qualifient de « lâches ». Le président français, François Hollande, affirme que la France est « pleinement solidaire » des Egyptiens. Le président des Etats-Unis, Donald Trump, a condamné l’attentat sur son compte Twitter, se disant « confiant dans la capacité du président à gérer la situation comme il se doit ». Réaction aussi du Vatican où le pape François a adressé ses condoléances à l’Eglise copte. « J’exprime mes profondes condoléances à mon cher frère, Sa Sainteté le pape Tawadros II, à l’Eglise copte et à toute la chère nation égyptienne. Je prie pour les défunts et les blessés », a réagi le pontife.
Mesures fermes
En riposte à ces attentats, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a convoqué, dimanche, en urgence le Conseil national de la sécurité, notamment les ministres de la Défense et de l’Intérieur. Plusieurs décisions importantes ont été prises en vue de sécuriser le pays, dont le retour à l’état d’urgence. « Il y a une série de mesures qui seront prises, en premier lieu un état d’urgence de trois mois », a annoncé le président Sissi, sur un ton ferme, dans une allocution télévisée, diffusée dimanche soir. Le président a précisé que cette mesure a été prise pour « protéger » le pays. De même, sous les ordres du président, des unités de protection relevant de l’armée ont été immédiatement déployées pour aider la police à « sécuriser les infrastructures vitales ». Lors de son discours, le président a présenté ses condoléances à tous les Egyptiens pour les victimes des églises de Tanta et d’Alexandrie, qu’il a qualifiées de « martyrs de la patrie ». « Nous sommes déterminés et capables de vaincre le terrorisme », a dit le président, saluant la détermination du peuple égyptien. Et d’ajouter : « Il faut que les pays qui financent et soutiennent le terrorisme rendent des comptes », a-t-il dit. Il a de même souligné le rôle des institutions religieuses dans le combat idéologique contre le terrorisme. Le président a décidé aussi la création d’un conseil suprême pour la lutte contre le terrorisme. Il sera fondé en vertu d’une loi que le parlement devrait promulguer prochainement. Lors d’une séance extraordinaire tenue lundi au parlement, pour discuter des mesures législatives nécessaires à la lutte contre le terrorisme, Ali Abdel-Aal, président du parlement, a déclaré que cette loi donnerait au conseil les moyens de lutter contre l’extrémisme idéologique en réformant le discours religieux et les programmes scolaires et universitaires. « Le parlement n’attendra plus qu’un ministère ou une instance quelconque renouvelle le discours religieux ou purge les programmes des idées fanatiques. Désormais, c’est le parlement qui assumera la tâche et déterminera les normes du discours religieux et des programmes scolaires », a dit Abdel-Aal lors de cette séance. Le parlement a aussi approuvé, lors de cette séance, des amendements introduits sur le code des procédures pénales et la loi sur les entités terroristes, promulguée en 2015. Ces amendements visent à durcir les peines et à accélérer les procédures de jugement dans les procès liés au terrorisme.
L’état d’urgence est censé être entré en vigueur au moment où l’Hebdo était sous presse, et ce, après avoir été approuvé par le Conseil des ministres et déféré au parlement. Le premier ministre a également fait sa déclaration sur l’instauration de l’état d’urgence. Bahaa Abou-Chouka, président de la commission des lois au parlement, assure qu’en vertu de l’article 154 de la Constitution, le chef de l’Etat a le droit de déclarer l’état d’urgence, mais doit soumettre la question au Parlement dans un délai d’une semaine pour approbation. L’état d’urgence élargit considérablement les pouvoirs de l’exécutif en matière d’arrestation et de contrôle. « Il s’agit d’une nécessité dans les circonstances actuelles pour pouvoir faire face au terrorisme. Il va donner plus de pouvoirs aux services de sécurité. Il était nécessaire d’accorder plus de flexibilité aux services de sécurité leur permettant de surveiller, d’identifier et de poursuivre ces groupes terroristes qui se ramifient en clandestinité », estime le député. Il affirme que l’état d’urgence permettra le maintien en détention pendant 45 jours des éléments terroristes actifs qui sont connus des services de sécurité, mais il n’y a pas de preuves matérielles permettant de les traduire en justice.
Les mesures prises par le pouvoir exécutif et législatif sont jugées nécessaires pour éradiquer le terrorisme. Or, d’autres forces politiques ne souhaitaient pas le retour de l’état d’urgence, imposé en Egypte depuis 1981 et qui n’avait pas été levé qu’après la chute de l’ancien président Hosni Moubarak en février 2011.
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