La commission de la main-d’oeuvre au parlement étudie actuellement le projet de loi sur le travail élaboré par le gouvernement. Il devra ensuite être discuté lors d’une séance générale au parlement avant le vote. Ce projet de loi doit remplacer la loi unifiée sur le travail numéro 12 promulguée en 2003, en vigueur jusqu’à présent. Selon le ministre de la Main-d’oeuvre, Mohamad Saafan, le but de ce projet de loi est de garantir une formule équilibrée entre les travailleurs et le patronat. «
Plus de 20 millions de travailleurs du secteur privé attendent la promulgation de cette loi. Lors de son élaboration, on a tenu à parvenir à une formule équilibrée entre les travailleurs et le patronat, en déterminant les droits et les devoirs de chacun. Ceci est indispensable pour la réforme économique et la relance de l’industrie », a affirmé le ministre. Composé de 265 articles, ce projet de loi encadre les contrats de travail, le droit à la grève, le licenciement, les congés, les heures de travail et les salaires, et ce, uniquement dans le secteur privé, le secteur public ayant sa propre loi.
Mais il s’agit aussi et surtout de la question des licenciements. Depuis la promulgation de la loi sur le travail 12/2003, le phénomène « des travailleurs licenciés » ne cesse de prendre de l’ampleur. Cette loi comportait des lacunes qui facilitaient le licenciement des travailleurs. Ce qui va à l’encontre de l’article 13 de la nouvelle Constitution, qui interdit le licenciement arbitraire des travailleurs. C’est dans ce contexte que Guébali Al-Maraghi, chef de la commission de la main-d’oeuvre au parlement, fait l’éloge de ce projet de loi qui, selon lui, a remédié à beaucoup de lacunes.
Plusieurs articles critiqués
Parmi les points positifs y figurant, il souligne notamment la sécurité de l’emploi. Il se réfère à l’article 72 en vertu duquel l’employé passe trois mois probatoires au lieu des six mois de la loi actuelle. En outre, la nouvelle loi oblige les patrons à donner des justifications pour tout licenciement. Le projet détermine aussi les types de contrats de travail (à durée déterminée ou indéterminée). Il crée, pour la première fois, des tribunaux spécialisés dans les procès ouvriers visant à accélérer les procédures des procès et trancher les litiges concernant le licenciement et les contrats de travail.
Mais si le ministre de la Main-d’oeuvre et certains députés estiment que ce projet réalise un équilibre entre les travailleurs et les patrons, ses détracteurs ne partagent pas la même vision. Ils critiquent notamment un texte qui s’aligne toujours sur les hommes d’affaires au détriment des travailleurs et qui restreint le droit à la grève. C’est ce qu’estime Fatma Ramadan, syndicaliste et militante ouvrière. Elle donne l’exemple de l’article 12 du projet de loi qui fixe la hausse annuelle des salaires au minimum à 7 %. Un pourcentage qui ne va plus de pair avec le taux d’inflation actuel. « Depuis la dévaluation de la livre en novembre 2016, le taux d’inflation a nettement augmenté. Les hommes d’affaires et les industriels ont triplé leurs marges de profits, alors que le projet de loi n’offre pas aux travailleurs une augmentation de salaire adéquate pour assumer ce taux d’inflation », estime Ramadan. Et d’ajouter : « Le code du travail est censé être une législation sociale qui devrait s’aligner sur la partie la plus faible dans la relation, qui est le travailleur ».
Mais Mohamad Wahballah, vice-président de la Commission de la main-d’oeuvre au parlement, rappelle que le taux de 7 % est un seuil minimum garanti par la loi. « Le Conseil suprême des salaires doit ensuite tenir compte de l’inflation », affirme-t-il.
Par ailleurs, les garanties figurant dans le projet de loi concernant les contrats sont, elles aussi, controversées. Alors que les responsables affirment qu’ils protègent les salariés du licenciement arbitraire, d’autres estiment qu’il n’existe pas assez de garanties. A titre d’exemple, l’article 130 relatif aux contrats de travail octroie au patron le droit de licenciement pour des raisons « légitimes » et « justifiées ». Des termes vagues ouvrant la porte aux licenciements arbitraires, selon Rachad Kamal, président de l’Union des syndicats indépendants de Suez. En effet, selon ce dernier, le projet de loi n’a pas défini ces raisons jugées légitimes. Concernant la création de tribunaux spécialisés, il estime que ce n’est pas suffisant. « Le projet de loi devrait aussi déterminer des délais suite auxquels la justice devra trancher les litiges sur l’annulation des contrats de travail. Il y a des procès de travailleurs licenciés qui traînent devant la justice depuis plus de 5 ans », affirme Kamal.
D’autres articles menacent aussi la « sécurité de l’emploi », selon Kamal. Entre autres, il cite les articles 143 donnant le droit au patron de licencier un ouvrier en cas d’atteinte d’un handicap total, et 146 au cas où il continuerait à s’absenter après avoir achevé la totalité de ses congés annuels et de maladie. « Est-ce logique ou humain de congédier quelqu’un parce qu’il est malade ? », s’interroge Kamal. « Le travailleur licencié n’aura droit qu’à une indemnité équivalant à un mois de son salaire de base sur chaque année de travail. Ce qui est dérisoire », ajoute-t-il. Il réclame d’ailleurs que le projet de loi détermine le taux d’augmentation des salaires et les pensions de retraite proportionnellement au coût de la vie. « Or, les modifications renforcent le pouvoir des patrons au détriment des ouvriers. D’où la nécessité de modifier les textes en vue de restaurer le caractère social à la relation contractuelle et d'assurer la sécurité de l’emploi », affirme-t-il.
Pour sa part, Wahballah souligne que le projet de loi va réduire graduellement sur un an le salaire de l’employé qui tombe malade après avoir achevé la totalité de ses congés annuels et de maladie. Après un an, le travailleur sera licencié, et la loi des assurances sociales lui garantit une pension mensuelle ainsi qu’une pension de retraite. « Nous attendons le projet d’amendement de la loi des assurances sociales qui augmentera les pensions de retraite pour qu’elles aillent de pair avec l’augmentation du coût de la vie », conclut-il.
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