Avec 2 457 voix, Abdel-Mohsen Salama est le 21e président du syndicat.
(Photo : Al-Ahram)
La scène se répète à chaque élection, suite à l’annonce des résultats définitifs : les concurrents se tenant les mains, les levant haut, crient en une seule voix : «
Vive l’union des journalistes ! ». Une scène visant à montrer que les journalistes sont toujours capables de surmonter leurs différences et de valoriser l’intérêt du syndicat et de l’ensemble des journalistes.
Cette fois-ci, c’est avec 2 457 voix contre 1 890 que Abdel-Mohsen Salama a remporté vendredi 17 mars les élections pour la présidence du syndicat face au président sortant, Yéhia Qallach. Et c’est avec un quorum de 25 % (4 524 journalistes) de l’assemblée générale que les élections biennales du président et du renouvellement partiel du conseil syndical se sont tenues, alors que deux semaines auparavant, ces élections avaient été reportées faute de quorum (50 %+1). Les termes de la loi du syndicat prévoient un mandat de deux ans renouvelables une fois pour le président, alors que les membres du conseil siègent pendant quatre ans.
70 autres journalistes étaient en lice pour les 6 sièges du conseil du syndicat qui compte au total 12 membres. Hussein Al-Zanati, Mohamad Kharaga, Gamal Abdel-Réhim, Amr Badr, Mohamad Saad Abdel-Hafiz et Ayman Abdel-Méguid ont remporté chacun un siège au conseil. « Je servirai tous les journalistes sans discrimination, récupérerai le prestige du syndicat, et fournirai tous les services que j’ai promis à tous les journalistes », a déclaré Abdel-Mohsen Salama, le nouveau président du syndicat après sa victoire. Le programme de Salama a été bien riche et prometteur pour une grande catégorie des journalistes. Les principaux défis de son programme portent sur les salaires médiocres de la plupart des journalistes, l’impact de la crise économique sur la presse en général, les conditions précaires dans lesquelles travaillent les journalistes et le non-respect de la déontologie par certains journaux (voir entretien).
Un syndicat de services
Selon l’expert en médias Yasser Abdel-Aziz, les résultats de ces élections ne constituent pas de surprise. « Les journalistes égyptiens se caractérisent par une tendance pragmatique lors des élections. C’est-à-dire qu’en général, les journalistes ne préfèrent pas être en désaccord avec l’Etat. Raison pour laquelle le chef du syndicat est généralement en bons termes avec le régime. C’était le cas sous Moubarak avec Makram Mohamad Ahmad et Ibrahim Nafie, idem sous les Frères musulmans, avec Mamdouh Al-Wali, et aujourd’hui, avec Salama ». Le spécialiste précise aussi, crise économique oblige, que le vote s’est plutôt concentré sur un « syndicat de services » plutôt qu’un « syndicat politique ». Abdel-Aziz souligne toutefois que cela ne signifie pas l’absence totale d’éléments politiques, mais ceux-ci viennent en seconde position. En revanche, la formation du conseil reste bien variée avec notamment la présence de Amr Badr, figure de l’opposition, ou celle des Nassériens Mohamad Abdel-Hafiz et Gamal Abdel-Réhim.
Contexte délicat
Ces élections ont été considérées par les spécialistes comme étant l’une des plus importantes dans l’histoire du syndicat. En effet, ce scrutin arrive dans un moment très délicat dans le cadre d’une récente division dans les rangs des journalistes. Sous la présidence de Yéhia Qallach, le syndicat des Journalistes était entré en confrontation avec le gouvernement : après une descente de la police contre son siège pour arrêter deux journalistes opposants, le syndicat avait condamné le ministère de l’Intérieur dans une assemblée générale mouvementée. Qallach, ainsi que deux de ses collaborateurs, Gamal Abdel-Réhim et Khaled Al-Balchi, ont été accusés d’avoir abrité deux journalistes recherchés par la justice pour « incitation à manifester ». C’est surtout la mauvaise gestion de cette crise qui a divisé les journalistes. Même si le comportement de la police a été rejeté par la grande majorité des journalistes, nombreux sont ceux qui estimaient que le syndicat ne devait pas se lancer dans un bras de fer avec l’Etat. Pour Abdel-Aziz, « cette division a jeté son ombre sur les résultats des élections. Si certains journalistes estimaient qu’il fallait soutenir le syndicat dans sa lutte pour la défense des libertés et de l’indépendance du syndicat, d’autres considèrent que le syndicat s’est impliqué dans une affaire politique au détriment de l’intérêt des journalistes ». Pour sa part, le journaliste Essam Kamel estime que la lecture de la scène actuelle ne peut pas être restreinte au succès de Salama ou l’éloignement de Qallach et d’Al-Balchi. Il ne s’agit pas d’un vote anti-opposition ou même à caractère politique comme le suggèrent certains, mais c’est un vote libre basé uniquement sur le choix. Ce qui le prouve c’est la présence de Amr Badr et de Gamal Abdel-Réhim, deux figures de l’opposition dans le conseil syndical.
Des défis de taille
Loin de cette polémique, la charge du nouveau bâtonnier n’est sûrement pas facile à gérer. Les défis auxquels s’attendent les journalistes sont assez lourds. Le nouveau bâtonnier s’est engagé à défendre les journalistes accusés pour délits de publication ou tout autre chef d’accusation concernant les libertés à condition qu’ils ne soient pas impliqués dans des affaires criminelles ou terroristes. Premier cas, le procès de Qallach et deux autres membres du syndicat, dont le verdict est attendu le 28 mars. « Je souhaite qu’ils soient acquittés. Si ce n’est pas le cas, plusieurs scénarios sont possibles. Nous ferons tout pour résoudre cette crise. Nous avons une grande confiance dans la direction de l’Etat et de sa sagesse », a déclaré Salama dans une interview sur la chaîne Sada Al-Balad.
Outre cette question, les défis économiques alourdissent le fardeau du nouveau bâtonnier. Déjà, à la veille des élections, et dans le cadre de sa campagne électorale, Salama a déclaré qu’il s’est entretenu avec des responsables de l’Etat et s’est engagé à augmenter les salaires des journalistes de 280 L.E. Mais il restera encore d’autres défis qui menacent la presse écrite, aujourd’hui sous le joug de la dévaluation de la livre égyptienne.
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