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Les syndicats ouvriers ont enfin leur loi

May Atta, Mercredi, 15 mars 2017

La nouvelle loi sur les syndicats ouvriers est actuellement en discussion au parlement. Elle légalise, pour la première fois, la création des syndicats indépendants.

Les syndicats ouvriers ont enfin leur loi
Les ouvriers ont le droit, pour la première fois, de créer des syndicats indépendants.

La commission de la main-d’oeuvre au parlement étudie, actuellement, le projet de loi gouvernemental sur les syndicats ouvriers. Un texte qui devra ensuite être discuté lors d’une séance générale au parlement avant le vote. Qualifié par le gouvernement d’essor important pour le travail syndical, le projet de loi autorise, pour la première fois, la création des syndicats indépendants. Il prévoit l’organisation des élections ouvrières, non tenues depuis 2006, 90 jours après la promulgation de la nouvelle loi.

Les dernières élections ouvrières remontent en effet à 2006, à l’époque de l’ancien président Hosni Moubarak. Suite à plusieurs recours présentés devant les tribunaux, la justice a invalidé le scrutin, mais ces verdicts n’ont jamais été appliqués. Alors que de nouvelles élections devaient avoir lieu en 2011, la révolution du 25 janvier a éclaté. Et depuis cette date, l’affaire traîne.

Composé de 78 articles, le projet de loi détermine les règlements régissant les syndicats ouvriers, les élections de leurs conseils d’administration, leurs mandats et leurs prérogatives, dont le mandat sera de 4 ans. Le projet de loi autorise les ouvriers à former des syndicats indépendants et à y adhérer conformément aux règlements fixés par la nouvelle loi. Toutefois, il interdit la formation de syndicats sur des bases religieuses, politiques ou raciales. En vu de protéger le droit au pluralisme syndical, le texte interdit au patronat d’exercer toutes sortes de pressions morales ou matérielles ou de faire des discriminations entre les ouvriers pour leur adhésion à un syndicat quiconque. Selon le ministre de la Main-d'oeuvre, Mohamad Saafan, dans sa version finale, ce projet de loi a respecté les normes internationales de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). « Il s’agit d’une version modifiée du projet de loi que le ministère avait élaboré en 2015. Les amendements ont pris en considération toutes les remarques formulées par l’OIT en ce qui concerne la liberté syndicale et les droits des ouvriers », s’est félicité le ministre.

Un droit longtemps revendiqué

Jusqu’à présent, c’est la loi 35 de l’année 1976, jugée par certains restrictive, qui encadre les syndicats ouvriers. Sous son ombrelle, les ouvriers ne jouissent d’aucune autre opportunité que de rejoindre l’Union Générale des Syndicats Ouvriers, (UGSO) (organisme proche du gouvernement qui encadre les syndicats ouvriers). Créée en 1957 par le président Gamal Abdel-Nasser, l’UGSO englobe principalement les ouvriers du secteur public, tandis que la masse ouvrière du secteur privé n’appartenait à aucun syndicat. L’UGSO est restée pendant 60 ans le seul organe officiel où tous les syndicats devaient adhérer. Sous le président Sadate, l’union s’est mise à défendre les politiques libérales du gouvernement et à soutenir les patrons contre les intérêts des ouvriers. Moubarak obtient par exemple le soutien de l’union pour sa politique de privatisation.

Des politiques qui lui ont valu des accusations d’alignement du côté du gouvernement au détriment des droits des ouvriers. Et c’est ce qui explique l’apparition plus tard de plusieurs syndicats indépendants créés pour défendre les droits des ouvriers, devenus de plus en plus menacés, depuis l’accélération du processus de privatisation du secteur public entamé au milieu des années 1990 et le licenciement des centaines d’ouvriers.

Le premier syndicat indépendant a été créé en 2009. Depuis la révolution de 2011, le nombre des syndicats indépendants s’est accru. On compte aujourd’hui environ 800 syndicats indépendants et 2 confédérations de syndicats indépendants : la Fédération des syndicats indépendants d’Egypte (EFITU) et le Congrès démocratique égyptien du travail (EDLC). Plusieurs projets de loi visant à légaliser les syndicats indépendants ont été élaborés depuis cette date, que ce soit par des cadres ouvriers ou par le gouvernement, mais aucun d’entre eux n’a vu le jour. (Voir encadré).

C’est dans ce contexte que Guébali Al-Maraghi, président de l’UGSO et président de la commission de la main-d’oeuvre au parlement, juge le projet de loi « d’étape positive » en faveur de la liberté syndicale et du mouvement ouvrier. « Elle garantit une formule équilibrée de travail entre les droits ouvriers et des patrons. Elle autorise à tout ouvrier d’adhérer à la formation syndicale qu’il choisit et interdit le licenciement et la discrimination salariale entre les ouvriers pour leurs activités syndicales », énumère-t-il. Selon lui, cette loi reflète la bonne volonté du gouvernement qui « ne s’oppose pas aux droits des ouvriers et cherche à satisfaire à leurs revendications ».

De la poudre aux yeux

Or, ce n’est pas l’avis de tout le monde. Kamal Abbas, ouvrier militant et coordinateur général de l’ONG le Centre des services syndicaux, estime que le gouvernement a finalisé cette loi juste pour éviter d’être reclassé sur la liste noire de l’OIT et non par soutien à la liberté syndicale : « Il ne s’agit que d’une procédure pour la forme qui manque d’une véritable volonté de frayer la voie aux syndicats indépendants ». Des craintes alimentées chez lui par certains articles de ce projet de la loi, qui « entravent » la fondation des syndicats indépendants tels que le nombre « exagéré de membres » exigé pour leur création.

Méfiance partagée par Ahmad Al-Borei, ancien ministre de la Main-d’oeuvre, qui avait participé en 2011 à l’élaboration d’un autre projet de loi sur la liberté syndicale. « Ce récent projet de loi est loin de satisfaire les revendications ouvrières et ne traduit que la vision du gouvernement à l’encontre de celui de l’année 2011, juge Al-Borei. « Même si ce récent projet de loi reconnaît le droit au pluralisme syndical, les conditions encadrant ce droit sont restrictives ». Il donne l’exemple de l’article 14 qui exige la présence d’au moins 100 ouvriers pour pouvoir créer un syndicat. De même que l’article 16 qui stipule que la fondation d’un syndicat général nécessite la présence de 30 000 ouvriers et une union syndicale générale 300 000 ouvriers. « Il existe des usines où le nombre des ouvriers ne dépasse pas les 50, pourquoi les priver d’avoir un syndicat qui défend leurs droits ? Selon les normes de l’OIT, le nombre permettant la création d’un syndicat est de 20 ouvriers », critique Al-Borei.

Fatma Ramadan, militante ouvrière et cadre syndicale, critique un autre article qui autorise les membres syndicaux qui ont dépassé les 60 ans de briguer les élections syndicales. « Cet article permettra aux membres actuels du conseil d’administration de l’UGSO de dominer une autre fois l’Union des ouvriers », pense Ramadan. Elle se demande pourquoi la nouvelle loi n’a pas légalisé les entités syndicales indépendantes, devenues une réalité sur le terrain, au lieu de leur demander de se conformer à de nouveaux règlements. « La nouvelle loi aurait dû réglementer leur statut et leur octroyer les pouvoirs pour accomplir leur rôle de négociateurs entre les ouvriers et la direction », affirme-t-elle.

Des critiques infondées pour Mohamad Wahballah, membre de la commission de la main-d’oeuvre au parlement, qui souligne que la philosophie de la loi porte sur le respect du droit au pluralisme syndical tout en évitant une fragmentation injustifiée du mouvement syndical. « Est-ce possible qu’on trouve dans une seule usine trois ou quarte syndicats ? Dans ce cas, avec qui le patron pourra-t-il négocier ou conclure un accord ? », explique-t-il. Selon lui, la détermination d’un nombre convenable pour la création d’un syndicat évite la fragmentation du mouvement ouvrier au sein d’un seul établissement et évite une lutte entre différentes organisations. Il trouve aussi illogique de demander à l’UGSO, entité légale oeuvrant depuis 60 ans, de conformer son statut à la nouvelle loi. « Les syndicats indépendants sont des nouvelles formations qui se sont imposées sans fondements juridiques. C’est normal qu’ils soient appelés maintenant à légaliser leurs statuts », réplique-t-il. Il affirme enfin que le projet de loi ne sera pas approuvé avant d’être soumis à un débat social permettant de parvenir à une formule consensuelle.

Une projet qui date de 2011

En mars 2011, l’ancien ministre de la Main-d’oeuvre, Ahmad Al-Borei, participe à l’élaboration d’un projet de loi sur la liberté syndicale, conformément aux normes internationales. Un pas alors salué par l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Cette législation autorisait, pour la première fois depuis les années 1950, le pluralisme syndical et donnait la possibilité aux ouvriers de former leurs propres associations et syndicats dans toutes les entreprises. Le texte interdisait également le licenciement de tout travailleur membre syndical sans verdict juridique. Ce projet de loi a été approuvé par le gouvernement de l’ancien premier ministre, Essam Charaf. Pourtant, il a été suspendu par le Conseil militaire qui a pris en charge la gestion du pays après la révolution, préférant attendre l’élection d’un parlement.

En 2012, le Parti Liberté et justice, bras politique de la confrérie des Frères musulmans, présente au parlement un projet de loi sur les syndicats ouvriers qui ignore toutes les libertés proposées dans la loi suspendue d’Al-Borei. Elle interdit le pluralisme syndical dans les institutions et rend obligatoire l’approbation de l’Etat pour la formation du syndicat. Elle impose que leur financement soit sous contrôle de l’Organisme central des comptes et les considère comme fonds public. Auparavant, les Frères se sont toujours battus pour le contrôle des syndicats et des associations professionnelles.

Au cours de la même année 2012, Mohamad Morsi, président islamiste, destitué après la révolution du 30 juin 2013, promulgue la loi nº98 qui stipulait que la retraite des dirigeants des syndicats doit être fixée à l’âge de 60 ans et qui accordait au ministre de la Main-d’oeuvre le droit de nommer leurs successeurs. Mais la loi n’est finalement pas passée : elle a été considérée comme une ingérence inadmissible dans les affaires de l’Union générale des ouvriers.

Ensuite, plusieurs tentatives ont eu lieu pour donner naissance à cette loi, plusieurs fois modifiée. Il a fallu attendre 4 ans pour que le président Abdel-Fattah Al-Sissi ratifie, en août 2016, les amendements introduits en juin de la même année par le parlement sur la loi nº35 de l’année 1976

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