Al-Ahram Hebdo : Pourquoi avez-vous décidé de vous présenter aux élections du syndicat des Journalistes ?
Abdel-Mohsen Salama : Je me suis présenté pour sauver le syndicat et son prestige d’antan et le remettre sur les rails. Les défis que doit affronter le métier aujourd’hui sont de taille et nécessitent de resserrer les rangs des journalistes. Je rappelle que plusieurs journaux, frappés par la crise économique, ont dû fermer leurs portes et que des dizaines de journalistes ont été licenciés. Le syndicat des Journalistes, lui, centré sur ses différends internes, n’a été d’aucune aide à ces journaux en faillite.
— Accusez-vous le conseil du syndicat actuel d’en être responsable et d’être à l’origine de la division entre les journalistes ?
— En quelque sorte, oui. C’est surtout la mauvaise gestion de la crise de l’incident de mai 2016, lorsque le syndicat avait été investi par la police, qui a divisé les journalistes. Moi aussi, j’étais contre le fait que la police intervienne, mais suite à l’incident, le conseil s’est lancé dans un bras de fer avec l’Etat qui n’a rien donné de bon. Les revendications décidées lors de la réunion de l’assemblée générale qui s’ensuivit étaient exagérées, surtout celle qui exigeait des excuses officielles de la part du président de la République. Cette revendication a compliqué la crise et entravé toute négociation. En revanche, en 1995, lors de la crise concernant la loi numéro 95, menaçant l’indépendance et la liberté de la presse, le syndicat des Journalistes avait fait preuve d’unité et avait alors réussi à faire annuler cette loi sans entrer en confrontation avec les institutions de l’Etat. Le syndicat doit apporter des solutions et non pas initier des crises.
— Selon vous, quels sont les principaux défis qu’affronte la presse écrite aujourd’hui ?
— Les principaux défis sont les salaires médiocres de la plupart des journalistes, l’impact de la crise économique sur la presse en général, les conditions précaires dans lesquelles travaillent les journalistes et le non-respect de la déontologie par certains journaux. Or, malheureusement, la situation économique risque de s’aggraver. Avec la dévaluation de la livre égyptienne, les prix du papier, de l’encre et de l’impression ont déjà doublé. Et ça, c’est un défi de taille.
— Quelles sont les solutions proposées dans votre programme électoral pour remédier à ces problèmes ?
— Au niveau des salaires, je ferai de mon mieux pour augmenter les salaires et les primes des journalistes. Mais pour pouvoir augmenter les salaires, il faut réussir en parallèle à augmenter les revenus du syndicat. J’ai plusieurs idées concernant ce point, parmi lesquelles la mise en application réelle de la rétribution de 10 % des recettes publicitaires des entreprises de presse au syndicat. La structure législative régissant la presse écrite nécessite un changement radical. Je m’engage, même si cela devait mettre ma carrière en jeu, à oeuvrer à changer la loi sur le syndicat des Journalistes et ce, dans un délai maximum de 6 mois.
Je pense également faire construire un hôpital pour les journalistes et leurs familles et négocier avec le gouvernement la possibilité de subventionner les outils de la presse comme l’encre, le papier et les coûts d’impression. Toujours dans le but d’améliorer la presse écrite, je tiens à rappeler que le développement des ressources humaines n’est pas moins important que le développement des ressources financières. Au Japon, par exemple, grâce à une modification de la politique des ressources humaines des organes de presse, les ventes des journaux ont atteint les 70 millions d’exemplaires, ce qui représente 75 % de la population. Cet exemple montre combien les formations et le respect de la déontologie du métier sont importants. Il ne s’agit pas ici de grands discours sans fond. Mes paroles sont mesurées et réfléchies, et je suis prêt à rendre des comptes à mes collègues si je ne réalise pas mes promesses.
— Qu’entendez-vous faire pour les journalistes licenciés ?
— Alors que l’une des tâches principales du syndicat consiste à protéger les journalistes, il semble que, dans le cas des journalistes licenciés, nous soyons impuissants. C’est pour cela qu’il faut modifier la loi du syndicat afin qu’il puisse intervenir dans la conclusion des contrats entre les journalistes et les entreprises de presse.
— Comment comptez-vous traiter le cas des journalistes détenus ?
— Je m’engage à défendre coûte que coûte tout journaliste accusé pour délits de publication ou tout autre chef d’accusation concernant ses libertés. Cependant, le syndicat ne doit pas intervenir pour défendre des journalistes impliqués dans des affaires criminelles ou terroristes.
— Quelles sont, d’après vous, vos chances de remporter ces élections ?
— Je n’ai pas d’avis sur la question. Personne ne peut savoir ce qui va se passer. Ce que je sais, c’est que mon seul intérêt, c’est l’avenir du syndicat et de la presse écrite en général.
Yéhia Qallach : Je ne suis pas en opposition avec l’Etat, mais ma priorité est de défendre les libertés et les droits des journalistes
Al-Ahram Hebdo : Pourquoi vous représentez-vous pour un second mandat au poste de président du syndicat des Journalistes ?
Yéhia Qallach : Je me représente pour pouvoir achever le travail que j’ai commencé au cours de mon premier mandat. Ces deux dernières années, j’ai tenté par tous les moyens de relever les défis auxquels le syndicat et les journalistes ont été confrontés. J’ai pu réaliser certaines des revendications des journalistes, mais d’autres sont toujours en cours, surtout celles concernant l’indépendance financière de la presse, sans laquelle nous ne pourrons pas évoluer librement.
— Quel bilan faites-vous de votre premier mandat ?
— Au cours des deux dernières années, le budget du syndicat a été augmenté de 63 millions de L.E. Outre l’aide financière du gouvernement, le syndicat a réussi à collecter, des entreprises de presse, 1 % de leurs revenus publicitaires. Cette augmentation des revenus du syndicat a permis d’augmenter les services offerts aux journalistes et d’augmenter les salaires.
— Quelles sont les grandes lignes de votre programme électoral ?
— Ma priorité était et sera toujours de défendre la liberté de la presse. Je poursuivrai les négociations avec le gouvernement et je ne baisserai pas les bras jusqu’à la promulgation d’une nouvelle législation annulant les peines de prison, assurant le libre-échange d’informations et protégeant les droits des journalistes. Je souhaiterai également modifier la loi du syndicat des Journalistes en vigueur depuis 1970. Nous avons besoin d’une loi qui assure plus d’indépendance financière au syndicat et nous permet d’augmenter nos ressources.
— Qu’en est-il de la formation professionnelle et du statut salarial des journalistes ?
— L’amélioration de la formation professionnelle des jeunes journalistes occupe une place importante sur mon programme électoral. J’envisage la création d’un centre de formation ainsi qu’un centre culturel au sein du syndicat. Pour améliorer le statut salarial des journalistes, je demanderai au gouvernement l’augmentation de la prime des journalistes et m’efforcerai d’augmenter les ressources du syndicat pour pouvoir augmenter les salaires.
— Et en ce qui concerne les journalistes licenciés ?
— Le nombre de journalistes licenciés arbitrairement s’accroît et le syndicat essaie par tous les moyens de faire respecter leurs droits. Récemment, nous avons exigé que le syndicat soit partie prenante dans la constitution des contrats entre le journaliste et l’entreprise de presse. Ainsi, aucun journaliste ne pourra être licencié sans l’accord du syndicat.
— Qu’entendez-vous faire au sujet des journalistes détenus ?
— Ce sujet est un dossier épineux que le syndicat cherche à régler depuis plusieurs mois. Nous avons obtenu une grâce présidentielle pour deux journalistes. Nous avons classé les journalistes détenus en deux catégories : ceux détenus sans chef d’accusation et ceux qui font l’objet d’un procès. Parmi ces derniers, certains sont accusés d’appartenir à la confrérie des Frères musulmans, alors que d’autres sont accusés de délits de presse. Le syndicat défend tous les journalistes incarcérés pour des raisons relatives à leurs droits et libertés. Le seul cas où le syndicat n’intervient pas c’est si un journaliste est impliqué dans une affaire criminelle.
— Après l’incident survenu dans les locaux du syndicat en avril 2016, des journalistes vous accusent d’avoir mis le syndicat dans un face-à-face périlleux avec l’Etat. Qu’en pensez-vous ?
— Tout d’abord, je tiens à préciser que le syndicat ne mène aucun type de bras de fer avec le gouvernement comme le véhiculent certains. L’année dernière, une grande partie des projets ont été acceptés, et le gouvernement nous a octroyé une aide de 45 millions de L.E., destinée à couvrir les retraites, l’assurance-maladie et d’autres aides sociales. Cela prouve bien que l’unique problème que nous ayons eu concernait uniquement le ministère de l’Intérieur. Il est normal que nous ayons réagi de la sorte par rapport aux événements d’avril 2016. C’était un acte inadmissible et une première dans l’histoire du syndicat. Il était de mon devoir de défendre la dignité du syndicat, sa loi, et surtout les droits de ses journalistes.
— Il reste que les journalistes sont eux-mêmes divisés sur votre gestion de cette crise. Pour certains, le conseil a manqué de lucidité ...
— Face à la colère des milliers de jeunes journalistes participant à la réunion de l’assemblée générale tenue le 4 mai, j’étais obligé de me plier à leurs revendications même si je n’étais pas complètement d’accord avec quelques-unes d’entre elles, dont la demande d’excuses du président de la République. Toutefois, j’ai tenu lors de cette crise à passer par un dialogue ouvert avec le gouvernement qui a permis, à terme, de parvenir à des solutions consensuelles. Il n’y a donc pas eu de réelles divisions entre les journalistes vis-à-vis de ma position dans cette affaire. Seule une minorité de journalistes qui pensaient se rapprocher du régime en fermant les yeux sur un tel abus a fait entendre son mécontentement.
— D’après vous, quelles sont vos chances dans cette élection ?
— C’est difficile à dire, cependant, je compte sur le bon sens et la conscience professionnelle des journalistes du syndicat pour faire le meilleur choix pour eux et pour l’avenir de la profession.
Lien court: