Le président de l’ordre des Pharmaciens, Mohie Ebeid, a déposé une plainte en justice la semaine dernière devant la Cour administrative au Conseil d’Etat, afin d’annuler la décision 23 pour l’an 2017. Cette décision prévoit une hausse des prix des médicaments locaux et importés et sera appliquée début février prochain. Elle a été approuvée il y a deux semaines par le ministre de la Santé, Ahmad Emadeddine, sous la demande des firmes pharmaceutiques, suite au flottement de la livre égyptienne en novembre dernier. Sarwat Bassili, patron de la compagnie pharmaceutique Amoun, assure : « L’industrie pharmaceutique repose sur le dollar. Après le flottement, la devise égyptienne a perdu 50 % de sa valeur face au dollar, ce qui entraîne des pertes pour les firmes. Nous ne pouvons pas produire de médicaments qui ne rapportent aucun bénéfice, et avant la décision d’une première augmentation des prix en mai dernier, certains produits n’étaient plus disponibles sur le marché ».
L’Egypte importe 10 % des médicaments de l’étranger. Les plus importants sont l’insuline, les médicaments contre le cancer, les maladies du sang, les maladies neuro-dégénératives et les maladies du système immunitaire. Les 90 % restants sont fabriqués dans les usines pharmaceutiques égyptiennes, mais 95 % des matières premières, même celles requises pour les emballages, sont importées.
Selon Ebeid, la hausse des prix va à l’encontre des intérêts du peuple et favorise ceux des firmes pharmaceutiques. « Malgré le flottement de la livre égyptienne, les firmes pharmaceutiques font toujours des bénéfices. Les frais de production de certains médicaments ne dépassent pas les 10 L.E., mais avec la décision 23, leur prix de vente peut atteindre 100 L.E. Le ministère de la Santé n’a pas étudié le cas de chaque médicament, pourtant, il y en a qui rapportent plus que d’autres. Le ministère a donné la liberté aux firmes de choisir ceux qui seront augmentés, au lieu de déterminer lui-même ceux qui nécessitent une augmentation pour continuer d’être produits », explique-t-il. Ebeid ajoute que l’ordre des Pharmaciens a formé un comité d’experts afin de préparer une étude qui sera présentée à la Cour dans deux semaines. Elle sera constituée d’arguments et de réalités qui reflètent l’injustice de la décision qui a été prise sans étude préalable.
L’augmentation des prix concerne 15 % des médicaments locaux et 20 % de ceux importés, soit 3 000 genres de médicaments sur les 12 000 présents sur le marché. Cette hausse des prix s’applique, entre autres, aux traitements des maladies chroniques (maladies cardiaques, cancer, hypertension, taux élevé de cholestérol et problèmes articulaires), malgré une promesse du ministre de la Santé de ne pas y toucher.
Les mêmes questions se posent donc à nouveau : est-ce que le gouvernement a eu raison d’augmenter les prix des médicaments, alors que les conditions économiques actuelles sont dures pour les citoyens ? Et est-ce que les firmes pharmaceutiques réalisent vraiment des pertes qui justifieraient cette hausse ?
72 % des traitements et des médicaments non assurés
Il faut aussi savoir que seuls 55 % d’Egyptiens profitent d’un système d’assurance médicale, assure Alaa Ghannam, médecin et membre de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels. Il ajoute : « Les services du secteur public de la santé ne participent pas aux besoins des Egyptiens. Ces derniers sont dans l’obligation de payer eux-mêmes leurs traitements et médicaments. Sur un total de 61 milliards de L.E. dépensées pour la santé (traitements et médicaments), 72 % sont payées par les Egyptiens eux-mêmes ». Ces éléments sont révélateurs du rôle minime du gouvernement concernant l’accès à la santé pour l’ensemble des Egyptiens.
Et les firmes pharmaceutiques parviennent à faire des bénéfices intéressants. Sur un total de 130 compagnies présentes en Egypte, seulement 20 dominent le marché. Parmi elles, on compte des groupes pharmaceutiques internationaux comme (Glaxo, Novartis, Sanofi, Pfizer), qui gèrent à eux seuls un tiers du marché et réalisent 50 % des ventes, les autres sont des firmes égyptiennes privées. En Egypte, les compagnies pharmaceutiques internationales ne sont pas dans l’obligation de fournir un compte rendu de leurs bénéfices. Cela dit, concernant les firmes égyptiennes enregistrées en Bourse, les bénéfices sont intéressants, et ce, avant même une première augmentation des prix en mai dernier. Par exemple, au premier trimestre 2016, Eipico a réalisé un bénéfice net de 123 millions de L.E. contre 89 millions de L.E. à la même période en 2015. La compagnie Memphis a, quant à elle, obtenu un bénéfice de 405,660 millions de L.E. de juin 2015 à mars 2016, et ce, malgré un déficit de 11,645 millions de L.E. à la même période en 2014-2015 (chiffres officiels de la Bourse).
Pour certaines compagnies internationales, les chiffres sont également bons, puisque l’Egypte compte parmi les pays les plus peuplés du Proche-Orient et d’Afrique. Le quotidien économique Al-Mal indique, par exemple, que la compagnie internationale Glaxo a enregistré des ventes à hauteur de 2,7 milliards de L.E. en 2016, soit 20 % de plus qu’en 2015. Certaines de ces firmes internationales se sont accordées avec l’Egypte, pour faire face à la dévaluation de la livre égyptienne. C’est le cas de la compagnie américaine Amgen, qui produit des traitements contre le cancer, et la compagnie suisse Roche, qui produit de l’insuline. Selon le pharmacien Hatem Al-Kordi, « cela explique l’importance des bénéfices de ces compagnies en Egypte, surtout pour les maladies largement répandues comme le cancer et le diabète. Elles peuvent, en effet, réaliser de gros bénéfices même sans une augmentation des prix ». Cet accord a été confirmé par Adel Tolba, chef de l’administration de la Compagnie égyptienne pour le commerce des médicaments, concernant la distribution des médicaments des compagnies Amgen et Roche en Egypte.
Quelle solution ?
Alaa Ghannam explique que le choix de médicaments génériques et alternatifs sont la solution la plus efficace pour tous les pays. Selon lui, « le pays doit pouvoir accéder aux médicaments qui renferment la même substance active mais à un prix plus bas. Pour que cette solution soit efficace, il faut vendre des médicaments en affichant seulement le nom de la substance active, ce qui empêcherait les médecins et les compagnies pharmaceutiques de forcer le choix de tels ou tels médicaments ». Le ministère de la Santé utilise les médicaments génériques et alternatifs depuis longtemps, mais Khaled Samir, membre au conseil de l’ordre des Médecins, explique qu’il existe de la fraude au sein du ministère. « Il existe 12 médicaments génériques et alternatifs pour chaque genre, mais il arrive que les compagnies internationales enregistrent de petites firmes dépendant de la branche principale, pour produire plusieurs alternatifs sous des noms différents. Les prix ne varient alors pas beaucoup, et l’ennui c’est que ces pratiques sont favorisées par la corruption au ministère de la Santé ».
On retrouve ces exemples de fraudes dans beaucoup de pays, et ces compagnies enregistrent des bénéfices annuels qui se comptent en plusieurs dizaines de milliards de dollars par an. Seuls les gouvernements peuvent mettre fin à ces pratiques qui se font au détriment des classes les plus pauvres. Ghannam ajoute également que le ministère de la Santé se concentre sur les bénéfices des compagnies privées, alors que les compagnies publiques font face à un grand déficit. Ce dernier est, entre autres, lié au fait que les hôpitaux publics ne payent pas toujours les médicaments fabriqués dans ces firmes. Il ajoute : « Dans les années 1960, l’industrie pharmaceutique égyptienne était forte. Elle couvrait les besoins du peuple et les besoins des pays arabes et africains. Dans les années 1970 et avec la politique de l’Infitah, le régime a ouvert la porte aux firmes internationales qui ont pris la tête du marché des médicaments. Aujourd’hui, la seule solution est de supporter cette industrie et de supporter la recherche et le développement dans le domaine pharmaceutique. De cette façon, les firmes publiques pourront produire la majorité des médicaments et permettre à l’Etat d’obtenir des bénéfices corrects ».
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