Le procureur général Talaat Abdallah a affirmé samedi dernier qu’il allait faire appel d’une décision de justice appelant au retour de son prédécesseur, limogé par le président Mohamad Morsi. Je vais « suivre les procédures légales pour faire appel », a déclaré Abdallah.
Le président Morsi avait démis Abdel-Méguid Mahmoud de ses fonctions en novembre dernier dans une « déclaration constitutionnelle » lui accordant des pouvoirs exceptionnels et l’avait remplacé par Talaat Abdallah. Mais la Cour d’appel du Caire a ordonné le 20 mars l’annulation de ce limogeage et le retour de Abdel-Méguid Mahmoud à son poste. Ce dernier a indiqué qu’il n’avait pas encore décidé de revenir ou non à ses anciennes fonctions, mais qu’il était « heureux de ce jugement, qui souligne l’indépendance de la justice ». La Cour a jugé que la décision de Morsi contrevenait aux lois régissant le pouvoir judiciaire.
Abdel-Méguid Mahmoud avait été nommé du temps du président déchu Hosni Moubarak. Il était accusé par les militants de la révolution de 2011 d’être à l’origine de l’insuffisance des preuves présentées par le Parquet dans les procès des responsables de l’ancien régime. Mais la nomination de Talaat Abdallah, accusé de son appartenance aux Frères musulmans, avait provoqué une levée de boucliers chez les magistrats, qui avaient dénoncé une ingérence de l’exécutif dans les affaires de la justice, et un mécontentement général des « révolutionnaires » qui, eux, dénoncent la « frérisation » de la justice.
La semaine dernière, le procureur Abdallah a ordonné l’arrestation de cinq activistes et blogueurs pour « leur rôle » dans les affrontements devant le QG des Frères musulmans quelques jours plus tôt. Plusieurs journalistes et présentateurs télé ont également eu droit à des mandats d’arrêt pour « falsification d’informations », « incitation aux troubles », « diffamation du président de la République » et « insulte à la religion ».
Illustrant l’animosité générale contre une justice accusée de partialité, le syndicat des Journalistes a décidé qu’il ne reconnaîtrait plus le procureur en place et a appelé ses membres qui font l’objet de mandats d’arrêt à ne pas comparaître.
Dans un communiqué publié jeudi dernier, le syndicat a accusé le procureur nommé par le président Morsi d’étouffer les procès qui concernent les violences contre les journalistes, notamment le meurtre du journaliste Al-Husseini Abou-Deif, ainsi que les agressions contre les sièges des quotidiens Al-Wafd et Al-Watan.
Dans une première réaction à la décision de rétablir l’ex-procureur général, la présidence de la République a indiqué dans un court communiqué qu’elle étudierait les mesures à prendre à la lumière des attendus du verdict qui n’ont pas encore été publiés. Le Parti Liberté et justice dont est issu le président de la République a dit « respecter la décision judiciaire » tout en soulignant sa « contradiction avec la nouvelle Constitution ».
Abdel-Moneim Abdel-Maqsoud, avocat de la confrérie, a anticipé en affirmant qu’il n’était « pas question que ce verdict soit appliqué. La nouvelle Constitution a fixé à 4 ans le mandat du procureur général. Celui-ci a été nommé en fonction d’une déclaration constitutionnelle dont les effets restent en vigueur », mettant en garde contre les « tentatives de politiser la justice ».
Selon la loi, le procureur général ne peut être limogé que par une décision du Conseil suprême de la magistrature, non par décret présidentiel. Or, les implications des déclarations constitutionnelles depuis la chute de Moubarak jusqu’à la ratification de la nouvelle Constitution sont immunisées — en vertu de celle-ci — contre toute action légale. Parmi les décisions que comprend la déclaration de novembre 2012 figurent le limogeage du procureur Abdel-Méguid Mahmoud et la nomination de Talaat Abdallah pour le remplacer.
Le verdict n’est pas contraire à la Constitution
Ce dernier verdict a, en effet, relancé le débat des juristes relativement à son application. L’expert en droit constitutionnel, Ibrahim Darwich, explique, quant à lui, que le verdict de la Cour d’appel n’est pas contraire à la Constitution. Celle-ci « insiste sur la validité des procédures légales antérieures à sa ratification. Ce qui signifie que le limogeage et la nomination du procureur général devront se faire conformément à la loi sur le pouvoir judiciaire en vigueur », indique Darwich.
« Nous sommes face à un obstacle. Le jugement doit être appliqué, mais les décisions découlant de la déclaration constitutionnelle sont protégées » par la Constitution adoptée en décembre dernier, a expliqué l’avocat Khaled Abou-Bakr. « Cette décision fait que nous avons 2 procureurs généraux. La solution serait qu’une cour supérieure comme la Cour constitutionnelle tranche », a-t-il conclu.
Pour sa part, le juriste Chawqi Al-Sayed estime que ce « chaos » est le résultat « de l’incompétence des conseillers juridiques du président ».
Alors que les manifestations se multiplient devant le Palais de la justice appelant au départ du procureur Talaat Abdallah et au « respect de la justice », des magistrats du Parquet général ont menacé d’escalade en cas de tergiversations dans l’application du verdict.
Nommer un autre procureur indépendant
Pour sortir de l’impasse, Essam Al-Eslambolli, membre du conseil de l’ordre des Avocats, propose une issue qui consiste à nommer une tierce personne, neutre, à ce poste. « Il s’agit d’un compromis qui pourra faire éviter la collision entre la justice et les Frères musulmans », dit-il.
Le Club des juges a suggéré sa préférence pour une telle solution. Dans un communiqué, il a indiqué que ses membres ne tiennent pas au retour de Abdel-Méguid Mahmoud, mais à faire respecter l’indépendance de la Justice. « Le Club ne s’oppose pas à la nomination d’un autre procureur général à condition qu’il n’appartienne à aucun courant politique et qu’il soit désigné conformément à la loi du pouvoir judiciaire », a précisé le communiqué.
Tout en saluant le verdict qui, selon lui, « retrace un nouvel avenir pour l’Egypte et sa justice », le président du Club, Ahmad Al-Zend, a esquissé ses expectatives. « Soit les deux parties impliquées s’engagent dans une saga de combats judiciaires, soit le procureur nommé par le président décide de respecter la décision de la Cour et de quitter sa place », estime Al-Zend. Maintenant que le procureur général a décidé de faire appel, l’éventualité d’une « saga judiciaire » semble plus probable.
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