Al-Ahram Hebdo : Entre fin février et le 19 mars, des élections ont eu lieu dans 21 universités publiques en plus de celle d’Al-Azhar. Pouvez-vous nous expliquer un peu le système des élections estudiantines ?
Weam Mokhtar : Pour schématiser, les élections estudiantines se déroulent sur 2 niveaux, à l’intérieur des facultés et au niveau de l’université. Dans un premier temps, les étudiants choisissent les membres des unions de leur faculté (comme l’union des activités sociales, culturelles, ou des activités hors cursus, etc.). Les présidents de ces unions choisissent à leur tour le président de l’union de leur université et son adjoint. A ce niveau-là, les élections sont indirectes dans la mesure où les étudiants n’y participent qu’à travers les représentants de chaque faculté. Ce sont les présidents des unions universitaires qui forment le Conseil général des unions estudiantines d’Egypte.
— Quelle analyse faites-vous des résultats de ces élections qui se sont déroulées le mois dernier ?
— Lors du premier vote direct (au niveau des facultés) les étudiants indépendants (apolitiques) et ceux affiliés aux partis laïques ont raflé 65 % des voix, face aux Frères qui ont obtenu entre 25 % et 30 %. Au niveau supérieur, celui des unions universitaires, des tractations ont permis aux Frères de récupérer un peu de terrain. Sur les 44 présidents et présidents adjoints des unions universitaires, les indépendants et les opposants ont obtenu 27 sièges contre 17 pour les Frères.
— Ces résultats étayent-ils les analyses selon lesquelles les Frères musulmans ont perdu de leur popularité ? Qu’en pensez-vous ?
— Toute comparaison est difficile, puisque sous Moubarak, les étudiants islamistes étaient simplement interdits de ces élections. Après, en 2011, les jeunes étaient tous sur les places de la révolution et les élections estudiantines n’ont pas eu lieu.
— Qu’en est-il pour les deux dernières années ?
— L’année 2012 a témoigné d’un bouleversement de la situation. Naguère bannis des élections, les étudiants islamistes ont été les seuls à y participer cette année. Les autres étudiants ont décidé de boycotter en signe de protestation contre la « charte des étudiants » qui plaçait le budget et les activités des unions sous le contrôle de l’université. C’est la première fois que tous les courants politiques et apolitiques participent aux élections.
— La charte des étudiants vient d’être modifiée en 2012. Est-elle satisfaisante dans sa nouvelle forme, en termes de libertés ?
— Après avoir remporté les élections estudiantines de 2012, les étudiants proches des Frères musulmans se sont réunis avec le ministre de l’Enseignement supérieur et ont obtenu certaines modifications. En vertu de la nouvelle charte, le contrôle des activités extracurriculaires a été confié aux unions elles-mêmes. Je trouve cela un peu bizarre que des étudiants surveillent leurs camarades. En plus, les clauses de cette charte adoptent les mêmes tournures vagues qu’on rencontre dans presque toutes les lois, du genre « les activités doivent obéir aux critères universitaires ».
— Mais les étudiants ne semblent pas avoir un problème, puisqu’ils ont décidé de participer aux élections cette année sous cette charte ...
— Je pense qu’ils ont choisi d’y participer car cela est le seul moyen pour changer les choses. Ils ont décidé de ne pas laisser les Frères musulmans arranger les choses de la manière qui leur convient.
— Qu’en est-il du contrôle des services de sécurité qui intervenaient aussi bien dans la nomination des professeurs que dans les activités des étudiants ? La situation a-t-elle changé depuis ?
— Leur présence ne se fait plus tellement sentir. Du temps de Hosni Moubarak, ils poursuivaient les étudiants de tendance islamiste ou ceux affiliés à l’opposition allant jusqu’à leur interdire l’accès au campus ou bloquer leurs résultats d’examens. Aujourd’hui, il y a des rumeurs selon lesquelles les membres des unions estudiantines sont surveillés par les services, notamment pour cerner leurs tendances et leurs activités. Mais rien de tout cela n’est confirmé. Aujourd’hui, les étudiants ne cachent pas leur appartenance politique, leurs manifestations et leurs activités politiques sont un fait accompli. Ce qui n’a pas tellement changé, par contre, c’est le contrôle et la censure imposés à la liberté de la recherche académique. Mais ça c’est une autre histoire.
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