Le célèbre humoriste Bassem Youssef a rejoint les rangs des journalistes visés par des plaintes pour insulte au président. Youssef a été libéré dimanche dernier après un interrogatoire d’environ quatre heures et le paiement d’une caution de 15 000 livres égyptiennes. « J’ai été relâché contre une caution de 15 000 livres concernant trois affaires. Il en reste une quatrième pour laquelle la date n’a pas encore été déterminée », a-t-il affirmé sur son compte Twitter.
Samedi dernier, le procureur général avait ordonné l’arrestation de Bassem Youssef, accusé d’offense à l’islam pour s’être « moqué du rituel de la prière ». Il a également été accusé d’insulte envers le président Morsi pour avoir « raillé son image à l’étranger ». Youssef est visé par plusieurs plaintes en raison de son émission satirique Al-Bernameg qui tourne en dérision les figures politiques du pays, en particulier le président Mohamad Morsi et les islamistes. « Je demande que les élections soient prolongées sur les dix prochaines années, comme ça le peuple ne sera plus dans le besoin ! Que ce soit au niveau de la nourriture, des boissons ou encore des appareils électriques et du viagra ! », lance-t-il dans un sketch très remarqué. Le comique explique que son émission a pour objectif de briser certains tabous de la société : « Nous nous moquons de ceux qui utilisent l’argent et la nourriture pour acheter le vote des gens. On se moque des tactiques électorales en général ».
Youssef, dont le programme est inspiré du « Daily Show » américain de Jon Stewart, a continué à se moquer des autorités lors de son arrivée au Parquet.
Le cardiologue a également continué à publier des commentaires drôles sur son compte Twitter durant son interrogatoire. « Les officiers de police et les magistrats du Parquet veulent se faire prendre en photo avec moi. Peut-être est-ce la raison pour laquelle j’ai été convoqué ? », ironise-t-il.
Cette sensible augmentation du nombre de procédures engagées contre des journalistes pose de sérieux doutes sur l’engagement de Morsi à respecter la liberté d’expression. Il s’agissait pourtant d’une revendication-clé du soulèvement populaire qui avait provoqué la chute de l’ancien président Hosni Moubarak en 2011. « Les efforts pathétiques pour étouffer la dissidence et intimider les médias sont les signes révélateurs d’un régime vacillant qui se sent acculé », a ainsi affirmé Mohamed ElBaradei, prix Nobel de la paix devenu l’un des ténors de l’opposition égyptienne.
Qu’est-ce que cela signifie insulter le président ou blasphémer contre les religions ? Y a-t-il des articles relatifs à cela dans la loi ou bien est-ce simplement un moyen de restreindre la liberté d’expression ?
Les lois existent
Adel Amer, professeur de droit à l’Université de Hélouan, indique que ces textes de loi figurent dans le code pénal, mais qu’on y a eu très peu recours jusqu’alors. « Le texte de loi pour insulte du président remonte à l’époque royale. Or, sous le régime républicain, le président est devenu un employé public, ses actions sont donc exposées à la critique », explique-t-il. De même, selon le professeur de droit, l’article 98 stipule que « tous ceux qui insultent la religion pour promouvoir des idées extrémistes, encourager le sectarisme, blasphémer contre une religion divine et nuire à l’unité nationale ou la paix sociale, seront punis ».
Adel Amer indique que la nouvelle Constitution interdit le fait d’insulter les individus et les religions. « Tout individu a le droit de porter plainte contre une personnalité publique ou privée pour insulte à la religion. Cependant, la loi donne au procureur général le pouvoir de décider de l’ouverture de l’enquête. La nouvelle Constitution, mise en place sous l’égide des Frères musulmans, facilitera les poursuites pour ce type d’accusations ».
En effet, 14 personnes ont été inculpées pour blasphème depuis la révolution. Ces inculpations ont été émises contre les producteurs du film anti-islam « L’Innocence des musulmans ». Des célébrités ont également été visées tels le comédien Adel Imam, l’homme d’affaires Naguib Sawirès, le vice-premier ministre Yéhia Al-Gamal, l’écrivain Ahmad Ragab et le caricaturiste Mostafa Hussein. Aucune de ces figures n’a été arrêtée ou emprisonnée.
Une mentalité propre aux Frères
Pour l’avocat Amir Salem, la mentalité des Frères musulmans, basée sur l’obéissance au chef, explique le nombre de ces accusations. « La critique n’a pas sa place dans la mentalité des islamistes, surtout si elle vise leur leader. Ces gens vouent un culte au chef », explique-t-il. Selon lui, le procureur général Talaat Ibrahim, de tendance islamiste, suit la confrérie les yeux fermés : « C’est pour cela qu’il a ordonné des mandats d’arrestation contre des présentateurs ou des journalistes comme s’ils étaient des criminels. Cette mesure est illégale ». Il ajoute que la campagne de poursuites des activistes et des journalistes sous prétexte d’insultes contre le président est un retour en arrière significatif. Plus de 600 plaintes pour insultes contre le président ont été déposées depuis l’avènement de Morsi au pouvoir.
« Ces plaintes sont une sonnette d’alarme pour la liberté d’opinion et d’expression, et il faut y mettre un terme », conclut-il.
Le procès de Bassem Youssef n’est pas isolé. Un autre mandat d’arrêt a été délivré la semaine dernière contre cinq activistes pour incitation à la violence. Elle vise le blogueur Alaa Abdel-Fattah, membre du Courant populaire, Ahmad Doma, Hazem Abdel-Azim du Front national du salut, Ahmad Al-Ghoneimi, membre du parti de la Constitution, et le militant Karim Al-Chaer.
Une enquête va également être ouverte contre quatre autres présentateurs télé : Lamis Al-Hadidi, Amr Adib, Youssef Al-Husseini et le rédacteur en chef Ibrahim Eissa.
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