Face à une campagne hostile à la presse, les journalistes ont élu un opposant au régime des Frères.
(Photos: Bassam Al-Zoghby)
C’est le candidat Diaa Rashwan, directeur du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, qui a remporté la présidence du syndicat des Journalistes avec 1280 voix contre 1015 voix pour son principal concurrent Abdel-Mohsen Salama, directeur de rédaction du quotidien de la même fondation. « Les journalistes ont voté aujourd’hui pour la liberté et l’indépendance de la presse, pour la défense de leur métier et leur patrie », c’est par ces mots que Rashwan s’est adressé aux membres de l’assemblée générale après l’annonce de sa victoire. Le candidat gagnant a promis de défendre la « dignité et la liberté » de ses collègues face à la « campagne féroce menée par ceux qui cherchent à les museler ».
Quant aux 6 membres élus du conseil du syndicat, ils représentent tous le « courant de l’indépendance » opposé à l’intervention de l’Etat dans les affaires du syndicat et connu pour son hostilité au régime des Frères musulmans.
Il s’agit de Karem Mahmoud, ex-secrétaire général du syndicat, Gamal Abdel-Réhim, rédacteur en chef du quotidien Al-Gomhouriya, limogé de son poste pour ses écrits anti-islamistes, Hicham Younes, journaliste d’Al-Ahram, Khaled Al-Belchi, ex-rédacteur en chef du journal de gauche Al-Badil et actuellement à la tête du journal Al-Bedaya, Oussama Daoud du journal nassérien Al-Arabi et Hanane Fekri, une journaliste copte de l’hebdomadaire proche de l’Eglise Watani.
Les résultats de ces élections sont perçus comme un message fort adressé au régime des Frères musulmans, accusé de vouloir infiltrer les médias officiels et mettre au pas les journalistes indépendants.
Pour Gamal Fahmi, membre réélu du conseil, ces élections sont le début d’un combat crucial. « Aujourd’hui, le syndicat des Journalistes s’est libéré de la poigne des Frères musulmans et de leurs tentatives de le kidnapper. La diversité du conseil élu constitue un facteur de force et d’indépendance. Le nouveau conseil regroupe des journalistes affiliés à des médias officiels et d’autres à des médias privés, leurs appartenances politiques sont aussi diverses, ce qu’ils ont en commun en revanche c’est leur détermination à défendre leur métier », affirme Fahmi.
Depuis l’élection du président Mohamad Morsi il y a près de huit mois, deux journalistes ont été tués sur le terrain, plus de 150 ont été convoqués par le Parquet général pour des délits de publication, dont 25 accusés de diffamation du président de la République. Les agressions corporelles contre les journalistes hostiles aux islamistes se sont multipliées, alors que plusieurs publications ont vu leurs numéros confisqués et leurs locaux assiégés ou incendiés. Sous une nouvelle Constitution qui n’exclut pas la peine de prison pour les délits de publication et qui autorise la fermeture des journaux, les journalistes se sentent sans défense.
A l’annonce des résultats, des centaines de journalistes en liesse ont investi les locaux du syndicat et des slogans hostiles aux Frères musulmans y ont retenti.
A un moment où ils se sentent ciblés, les journalistes comptent beaucoup sur le rôle de leur syndicat. Le mandat du président sortant Mamdouh El Waly, que beaucoup accusent d’être proche des Frères, a été senti comme une période de régression. El Waly a notamment échoué, selon certains, à défendre les droits fondamentaux de liberté d’expression lors de la rédaction de la nouvelle Constitution truffée de clauses liberticides. Ses réactions face aux agressions contre les journalistes qui se multiplient sont également jugées trop molles. C’est ce que pense Oussama Daoud, nouvellement élu au conseil du syndicat. « Bien que les deux candidats disputant le siège de président du syndicat appartiennent à une maison de presse officielle, les journalistes ont élu le candidat considéré anti-Frères. Pour eux, Rashwan est un opposant assez fort pour contrer l’hégémonie que le régime veut imposer et pour les défendre contre les intimidations qu’ils endurent au quotidien », estime Daoud.
Propos ridiculisés
Selon Karem Mahmoud, c’est le poids ré0el des Frères musulmans que ces élections révèlent. « Après les élections des unions estudiantines, celles des journalistes viennent confirmer la tendance et démentir les allégations des Frères qui se vantent d’une base populaire en pleine érosion. Ces résultats prouvent que les Frères sont incapables de remporter des élections basées sur de véritables programmes électoraux et des objectifs réels. Je pense que les prochaines législatives, si elles ne sont pas falsifiées, prouveront aux Frères l’ampleur de la colère populaire contre leurs politiques despotiques », prévoit-il.
Des propos ridiculisés par Hicham Al-Helali, cadre des Frères musulmans. « Comment peut-on parler d’une faillite des Frères musulmans dans des élections qu’ils n’ont pas disputées ? C’est absurde de s’acharner à défigurer les Frères musulmans et de transformer le syndicat en un parti politique », s’insurge Al-Helali, niant avoir soutenu Abdel-Mohsen Salama.
Traditionnellement, la compétition se limitait entre le « candidat de l’Etat » et celui de l’opposition. « Cette fois, la ligne de fracture a été plus subtile, les Frères musulmans n’ont pas voulu investir un candidat, vu l’érosion de leur popularité, ils se sont contentés de soutenir tacitement le concurrent de Rashwan », estime Khaled Al-Belchi. Entre les deux candidats d’Al-Ahram, Rashwan représentait un éditorialiste et un chercheur engagé, tandis que Salama faisait figure de professionnel et de syndicaliste expérimenté.
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