La Haute Cour Constitutionnelle (HCC) a jugé, samedi 3 décembre, inconstitutionnel l’article 10 de la loi sur les manifestations, promulguée en 2013. Cet article donne le droit au ministère de l’Intérieur d’annuler une manifestation s’il considère que celle-ci représente «
une menace pour la sécurité, la paix nationale ou si elle peut porter atteinte à l’ordre public ». Le verdict de la HCC ne peut faire l’objet d’aucun recours. Le 17 juin 2014, le Centre égyptien des droits sociaux et économiques, présidé par l’avocat Khaled Ali, et le Centre de soutien à l’Etat de droit avaient déposé un recours dénonçant l’inconstitutionnalité de certains articles de la loi en question.
La HCC a rappelé que la Constitution garantit la liberté d’association et le droit de manifester pacifiquement. La cour a aussi précisé que c’est à la justice de valider ou de rejeter un avis de manifestation et non pas au pouvoir exécutif. Celui-ci a uniquement pour rôle de vérifier si les conditions requises par la loi sont réunies dans l’avis de manifestations.
Ce jugement qui limite les pouvoirs législatifs et exécutifs du gouvernement a été salué par les défenseurs des droits de l’homme. En revanche, la HCC a considéré comme constitutionnels les articles 7, 8 et 19 de la même loi. En vertu de ces articles, le ministère de l’Intérieur doit être informé de toute manifestation. Les articles en question interdisent par ailleurs les manifestations qui portent atteinte à l’ordre public. L’article 7 interdit toute atteinte aux propriétés publiques ou privées, ainsi qu’aux intérêts des citoyens. L’article 8, de loin le plus controversé, oblige les organisateurs des manifestations à informer le ministère de l’Intérieur, 24 heures en amont, du trajet de la manifestation ainsi que du nombre de participants. L’article 19 prévoit une peine de prison allant de 2 à 5 ans ou une amende de 50 000 à 100 000 L.E. pour les personnes reconnues coupables d’avoir enfreint la loi.
Pour Tarek Al-Awadi, avocat, le point positif de ce verdict est que désormais tout le monde peut manifester si la police est informée préalablement. « Dans ce contexte, si le ministère de l’Intérieur veut interdire une manifestation dont il a été informé, il devra intenter une action en justice », précise Al-Awadi. Cette décision de la HCC ne changera pas en revanche le statut des personnes déjà condamnées à des peines de prison. « Tous les manifestants emprisonnés ont été jugés et condamnés en vertu des articles toujours valides », explique Al-Awadi. Pour Salah Fawzi, professeur de droit, le rejet des recours sur les articles 7, 8 et 19 par la HCC est logique. « La HCC n’admet pas les recours relatifs à des articles punitifs. Car l’évaluation des peines revient au pouvoir législatif, c’est-à-dire au parlement », explique-t-il.
Victoire symbolique
Les activistes et les défenseurs des droits de l’homme considèrent ce verdict de la HCC comme une première victoire. D’après eux, cette loi « restrictive » réduit les libertés fondamentales. Plusieurs centaines de manifestants ont été emprisonnés en vertu de la loi. Le Conseil national des droits de l’homme avait présenté au gouvernement 14 recommandations pour amender la loi, notamment la suppression des peines de prison. A la lumière de la dernière décision de la HCC, la loi sur les manifestations devrait être modifiée, d’autant plus que le gouvernement avait promis sa révision. Le premier ministre, Chérif Ismaïl, avait annoncé, en juin dernier, que le gouvernement allait amender cette loi de manière à « assouplir certaines sanctions ». Mohamed Zarée, avocat des droits de l’homme, regrette que le verdict de la HCC soit une victoire incomplète. « Ce verdict est en dessous de nos aspirations. Nous demandons une fois de plus l’assouplissement des restrictions imposées sur le droit à manifester ainsi que l’annulation des peines de prison », assure Zarée, qui espère que ce verdict lance une révision plus générale sur la loi. « La décision de la HCC est l’aboutissement d’un long combat juridique, mais l’affaire ne doit pas s’arrêter là. Il faut reprendre la lutte, afin que le parlement procède à la modification de l’ensemble de la loi conformément aux revendications des forces politiques et des défenseurs des droits de l’homme », estime Zarée. Il rappelle que la loi a été promulguée dans une période de troubles politiques durant laquelle les Frères musulmans commettaient des actes de sabotage contre l’Etat. Aujourd’hui, le contexte politique a changé et la situation est plus stable. « Ces peines de prison sont trop lourdes et envoient une image négative de l’Egypte à l’étranger », soutient Zarée. Pour sa part, le député wafdiste, Mohamad Fouad, révèle que son parti va présenter au parlement un autre projet de loi sur les manifestations. Quant à la députée Suzie Nached, elle appelle à ouvrir un dialogue social sur les modifications proposées afin de parvenir à une formule plus consensuelle.
Des appels non justifiés, selon l’expert en sécurité, Farouk Al-Makrahi, qui regrette la diminution du pouvoir attribué à la police. « La phase critique que traverse le pays, les tentatives de déstabilisation, ainsi que la menace terroriste sont des raisons suffisantes pour que ce soit la police qui décide de la dangerosité d’une manifestation. C’est elle la mieux placée pour juger ça. Mais la justice a parlé et il faut respecter la décision de la HCC », précise Al-Makrahi. Et d’ajouter : « Les lois réglementant les manifestations existent partout dans le monde. Après que la justice eut tranché, le parlement va simplement amender l’article invalidé par la HCC, mais il ne touchera pas au reste du texte », conclut-il.
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