La grande majorité des députés est contre la suppression de l'article de l'outrage aux religions.
(Photo : Mohamad Abdou)
La commission des lois a refusé la proposition de la députée Amna Nosseir, professeur à l’Université d’Al-Azhar, d’annuler l’article 98 du code pénal relatif à l’outrage des religions. 20 députés ont refusé cette annulation et 3 l’ont acceptée tandis qu’un député s’est abstenu de voter. Selon l’article en question, toute personne qui dénigre l’une des religions monothéistes (islam, christianisme et judaïsme) ou l’unité nationale encourt entre 6 mois et 5 années de prison ainsi qu'une amende de 500 L.E. au minimum.
En vertu de cet article, un citoyen peut engager un procès contre une personnalité publique s’il estime que cette dernière a porté atteinte à la religion. De même, un citoyen peut engager un procès contre un autre citoyen pour les mêmes raisons et enfin, l’Etat peut engager un procès contre un individu comme ce fut le cas avec le présentateur Bassem Youssef sous le régime des Frères musulmans.
Amna Nosseir a expliqué que cette loi est « contre la nature des choses qui veut que les gens soient différents les uns des autres ». Et d’ajouter : « Le Bon Dieu a créé l’être humain libre. L’article 98 protège-t-il l’islam ou le prophète Mohamad des insultes ? Bien sûr que non. Il faut ouvrir un débat avec les gens qui ne comprennent pas la religion au lieu de les emprisonner », affirme-t-elle.
L’article 98 a été au centre d’un vif débat ces derniers mois, notamment après la condamnation à la prison du présentateur de télévision, Islam Al-Béheiri, en décembre dernier pour « atteinte à la religion ». Al-Béheiri s’en était pris à certains écrits des 4 imams de l’islam, et mis en doute certains hadiths du prophète Mohamad au cours de son programme de télévision sur la chaîne Al-Qahéra Wal-Nas. La polémique a encore enflé après que l’écrivaine Fatima Naoot eut été condamnée à trois ans de prison début février, pour une phrase publiée sur Facebook critiquant l’abattage des moutons lors du Grand Baïram.
Contradictions ?
Mohamad Nour Farahat, professeur de droit à l’Université de Zagazig et expert de droit constitutionnel, assure : « L’article 98 est contre les articles 67 et 71 de la Constitution. C’est un article flou ». L’article 67 garantit la liberté de la création artistique et littéraire. L’Etat doit promouvoir les arts et la littérature, soutenir les créateurs et protéger leurs créations, fournissant les moyens d’encouragement nécessaires à cette fin. Quant à l’article 71, il stipule qu’il est interdit de censurer, confisquer, suspendre ou fermer de quelque manière que ce soit les journaux et les médias égyptiens. Une censure limitée peut exister à titre exceptionnel en temps de guerre ou de mobilisation générale. Aucune peine de prison ne peut être imposée pour des délits commis par la presse.
Mais ce n’est pas que cette contradiction qui est relevée. L’écrivain et l’intellectuel Ibrahim Abdel-Méguid explique : « Cet article peut être utilisé pour accuser des intellectuels, des écrivains et des journalistes innocents et aussi pour contrôler la vie politique et intellectuelle afin de limiter la liberté et ne pas donner la chance aux gens de penser et de critiquer. Il donne aussi la chance aux hommes de religion de dominer les citoyens et de créer un courant qui sanctionne la liberté d’opinion. Le Bon Dieu a donné le droit aux gens de comprendre le Coran, chacun de son point de vue. Pourquoi l’Etat veut-il priver les citoyens du droit de penser et de critiquer ? ».
Les dernières années ont témoigné de plusieurs procès pour atteinte à la religion. Selon un rapport de l’Initiative égyptienne pour les droits civiques, les tribunaux auraient condamné 81 citoyens pour insulte à la religion entre 2011 et 2015.
Les coptes indignés
Omar Hamrouch, secrétaire général de la commission des affaires religieuses au parlement, a un autre point de vue. « Nous avons envoyé plusieurs fois à Dar Al-Iftaa afin de donner son avis sur l’annulation de l’article 98, mais personne n’a répondu. Je crois que l’annulation de cet article est une étape très dangereuse. L’article 98 n’est pas contre la créativité artistique et littéraire, mais c’est une garantie pour la tranquillité et la stabilité de la société pour ne pas donner la chance à quiconque d’insulter les croyances des autres ».
Gamal Chérif, député et membre de la commission des lois, ajoute que l’article 98 est une « protection pour les musulmans et les chrétiens contre la discrimination ». Beaucoup de coptes trouvent que cet article ne réalise pas l’égalité entre les musulmans et les chrétiens. Rami Kamel, activiste copte, dénonce le fait que cet article ne soit utilisé qu’à l’encontre des coptes. « Il n’existe pas une seule condamnation pour insulte aux coptes ou à la religion chrétienne en dépit du fait que des personnalités salafistes telles que Yasser Borhami, ou islamistes comme Sélim Al-Awa et Mohamad Emara insultent régulièrement les chrétiens ».
L’article 98 permet parfois à l’Etat de procéder à des rééquilibrages politiques. Celui-ci a été utilisé pour condamner trois adolescents coptes, en mars dernier, à cinq ans de prison pour « outrage à l’islam » parce qu’ils ont parodié dans une vidéo une scène de prière. L’Etat craint que de tels agissements ne soient exploités par les islamistes pour semer le trouble, surtout en Moyenne et en Haute-Egypte où la religion est une question ultrasensible. Ces verdicts permettent alors à l’Etat d’apaiser les tensions. Et il arrive très souvent qu’ils soient annulés en appel.
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