Un projet de loi sur la lutte contre l’émigration clandestine et le transfert illégal de migrants vient d’être approuvé en première lecture par le parlement. Une première réaction à l’indignation qu’a suscitée le naufrage d’un bateau transportant 450 migrants illégaux au large de la ville de Rachid, le 21 septembre dernier, et où seules 163 personnes ont été sauvées.
Cette loi, achevée en 2015, définit le trafic illégal de migrants comme un crime, et en détaille les peines qui peuvent aller jusqu’à la perpétuité. Composé de 34 articles, le texte prévoit une peine de prison pour toute personne ayant participé à la création ou la gestion d’un groupe participant au trafic de migrants. Des amendes sont également prévues, elles varient entre 50 000 et 200 000 L.E. et seront infligées à toutes les personnes impliquées d’une manière ou d’une autre au trafic de migrants, et pas seulement aux passeurs. Dans le cas de décès de migrants pendant le voyage, les peines vont jusqu’à la à perpétuité. Selon le texte, « l’Etat doit prendre des mesures appropriées pour protéger les droits des migrants clandestins, c’est-à-dire leur droit à la vie, à un traitement humain, à des soins de santé et à une sécurité physique et morale ». De même, la loi considère tous ceux qui ont recours à l’émigration illégale « comme des victimes » ayant des droits, et non comme des accusés.
Le projet de loi annonce également que le Comité national interministériel de coordination pour la lutte contre l’émigration illégale, qui relève du Conseil des ministres, est chargé de coordonner aux niveaux national et international les programmes visant à combattre l’émigration illégale et à fournir des soins et des services aux migrants. Si le projet de loi est validé, la création d’un fonds anti-émigration illégale recevra un budget spécial et aura pour but de fournir une aide financière aux victimes qui ont subi des dommages corporels ou psychologiques.
Des députés divisés
Or, une loi à elle seule ne suffit pas pour lutter contre le phénomène. C’est d’ailleurs ce que certains députés ont affirmé, critiquant ouvertement les choix du gouvernement lors des réunions parlementaires et l’accusant d’être le responsable de la montée du phénomène d’émigration. « Le gouvernement n’a pas fourni de réelles opportunités de travail aux jeunes Egyptiens, qui représentent 61 % de la population, et il n’a pas non plus de plan d’action pour résoudre ce problème dans un futur proche. C’est pour cette raison que les jeunes tentent de fuir par la mer et de se chercher un avenir meilleur », lâche le député indépendant Abdel-Hamid Kamal, qui estime que ni la loi ni les sanctions sévères ne mettront fin au phénomène. Selon lui, la solution est de « résoudre le problème à sa base en proposant des solutions claires et réelles pour pallier le problème du chômage ». Même son de cloche chez le député Haïtham Aboul-Ezz Al-Hairiri, membre de la Coalition 25-30, qui a affirmé que bien qu’il soit d’accord sur la plupart des articles, cette loi ne mettra pas fin au problème. « La loi n’est pas la seule solution pour stopper l’émigration clandestine. Nous avons besoin de booster l’économie afin que le citoyen puisse vivre décemment. Les jeunes ont perdu espoir en leur pays. Il est nécessaire que l’on récupère nos jeunes, qu’on leur redonne envie de croire qu’ils peuvent avoir un avenir ici », s’exclame Al-Hairiri.
Pour sa part, Magdi Al-Agati, ministre des Affaires juridiques et parlementaires, défend, quant à lui, le gouvernement en assurant que « celui-ci ne ménage aucun effort pour faire face aux problèmes de l’émigration illégale. Il y a de nombreux projets de développement industriel menés par le gouvernement pour les jeunes dans de nombreuses provinces. Le gouvernement ne cesse de travailler pour développer les offres d’emploi ». Le député Mohamad Al-Séoudi, président de la coalition Fi Daem Misr, n’est lui, pas d’accord avec ce point de vue. Selon lui, ces petits projets ne suffisent pas. « Où est le gouvernement dans les zones industrielles négligées par les gouverneurs de Haute-Egypte ? » demande Al-Séoudi. « Nous avons un problème majeur dans l’enseignement technique, qui n’est pas reconnu dans les pays étrangers, et que l’on doit rapidement développer, si vraiment le gouvernement veut aider les jeunes dans ces provinces ».
Par ailleurs, certains députés appellent aux sanctions sévères comme une solution. Le député Akmal Qirtam (Parti des conservateurs) a même demandé que des sanctions soient appliquées aux parents de migrants mineurs et aux personnes qui récidivent. « La loi n’est pas complète car elle a omis de stipuler la sanction pour les parents, qui facilitent l’immigration illégale de leurs enfants. Ces parents sont aussi des criminels », assure Qirtam. Une proposition qui a été rejetée par l’ambassadrice Naëla Gabr, présidente du Comité national interministériel égyptien de coordination pour la lutter contre l’émigration clandestine. « Je crois que l’on peut faire face à ce phénomène grâce à de fortes campagnes de sensibilisation qui travailleraient sur les mentalités et les pensées des familles et des jeunes. De plus, les peines doivent être conformes aux conventions internationales des droits de l’Homme que l’Egypte a ratifiées, y compris le protocole de Palerme ».
Gabr, qui a rappelé que l’approbation parlementaire n’est qu’une approbation de première lecture, préfère voir le bon côté des choses. « Cette loi est essentielle parce qu’elle montre comment l’Egypte est engagée dans sa lutte contre l’émigration clandestine. Cela montre que l’Etat assure les droits de leurs citoyens en pénalisant les trafiquants, les gens qui les aident et toutes les parties qui exploitent ces personnes vulnérables. Cette loi est un pas en avant très important », souligne-t-elle. « Le comité national est en train d’annoncer une forte campagne de sensibilisation dans les gouvernorats les plus touchés par ce phénomène. Cette campagne débutera très prochainement et tout le monde travaille pour la réaliser ».
Un phénomène aux causes multiples
Généralement âgés de 18 à 35 ans, les émigrants clandestins sont pour la plupart originaires des gouvernorats les plus pauvres de l’Egypte comme Fayoum, Béni-Soueif, Minya, Assiout, Gharbiya, Charqiya et Qalioubiya. Il s’agit donc d’une migration aux causes économiques. Un phénomène qui a commencé d’abord de manière légale dans les années 1960 à une époque où les pays européens avaient besoin de main-d’oeuvre. Aujourd’hui, la situation a changé et les pays européens ont complètement fermé leurs portes.
L’Egypte, quant à elle, est un point de départ idéal. Sa situation géographique et ses 1 000 kilomètres de côte sur la Méditerranée attirent de nombreux migrants venus de toute l’Afrique qui se mêlent aux Egyptiens pour embarquer sur les bateaux de fortune conduits par des passeurs peu scrupuleux. Un passeur perçoit entre 20 000 et 40 000 L.E. par migrant. Les réseaux de passeurs se propagent dans les provinces côtières telles que Kafr Al-Cheikh, Béheira, Alexandrie, Damiette et la région du lac Manzala. C’est à partir de ces régions qu’ils dirigent les traversées vers l’Italie et la Grèce. Les passeurs adoptent généralement des noms fictifs, et les contacts avec les familles des migrants se font par téléphone. Ils opèrent jusqu’à présent avec une certaine liberté, certains allant jusqu’à diffuser leurs coordonnées, les tarifs ainsi que les dates de traversée sur les réseaux sociaux.
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