Samedi, la ville de Port-Saïd était paralysée par sa septième journée consécutive de désobéissance civile. Depuis la condamnation à mort de 21 supporters de son club local de football, le club Masri, le 26 janvier dernier pour un massacre qui remonte à l’an dernier, les habitants de la ville se sentent victimes de la justice. Cette même justice qui n’a pas vengé leurs propres martyrs, au nombre de 43, tués par la police dans la foulée de ce verdict.
La journée, qui se finira par un large rassemblement sur la fraîchement nommée « Place des martyrs », a débuté par le blocage de la principale voie d’accès à la ville. Camions, autobus et voitures privées piaffent face au barrage. Certains passagers se décident à traverser à pied. Jusqu’à ce que, au terme d’une négociation d’une heure, l’armée obtienne que les manifestants réouvrent la route.
La ville semble sur le pied de guerre. Les rues sont vides, les taxis sont vides et les magasins clos. Le déploiement des tanks est impressionnant et quadrille toute la ville, en particulier devant les bâtiments officiels et les sociétés gouvernementales, comme celles de l’électricité et de l’eau, où les soldats sont en faction derrière des barricades de sacs de sable.
La police est, en revanche, absente, et les commissariats sont fermés, comme les administrations. Des chansons de la guerre de 1956 filtrent de temps à autre des rares voitures ou des appartements. L’école internationale a couvert son portail de bannières noires en signe de deuil. La cour primaire a suspendu ses travaux.
Les jeunes supporters Ultras du club Masri patrouillent pour vérifier l’état des actions de désobéissance civile et motiver le plus grand nombre de personnes à rejoindre le mouvement. La porte du bâtiment des douanes portuaires a été bloquée ainsi que les postes de douane d’Al-Nasr et d’Al-Rouswa.
Vers midi, les employés du Canal de Suez forment une marche, hérissée des drapeaux bleus du Canal, qui sillonne la ville en clamant sa solidarité avec les revendications des habitants. « Nous ne laisserons pas sacrifier le sang de nos enfants. L’injustice est temporaire, la justice doit parler », entend-on. Ces employés ont déjà prévenu qu’ils intensifieraient leur action si le gouvernement persiste à faire la sourde oreille.
Pourtant, la présidence vient de promettre de consacrer 400 millions de L.E. des revenus du Canal au développement des villes du Canal de Suez, et de refaire de Port-Saïd une zone franche. Mais cela ne suffit pas aux Port-Saïdis.
La zone industrielle entre deux eaux
Au sud de la ville, la zone industrielle est en activité sous condition : les usines privées ont passé un accord avec les manifestants pour se joindre ponctuellement aux grèves, comme elles l’ont fait mardi 19 février.
Témoignant des problèmes rencontrés par sa génération, Mohamad Negm, 30 ans, ouvrier, explique : « Pour se faire embaucher sur le port de l’est ou par la Société du Canal, il faut payer 20 000 L.E. Comment voulez-vous trouver une somme pareille ? ». D’ailleurs, « les employés des sociétés de gaz et du pétrole sont recrutés dans d’autres gouvernorats », précise-t-il.
Mohamad doit continuer de travailler, mais il voulait d’abord avoir l’assentiment des familles des martyrs, parce qu’il est totalement d’accord avec l’appel à la désobéissance civile. « Nous sommes tous d’accord, affirme-t-il, ça fait plus d’un mois que plus de 40 personnes ont été tuées dans des violences, et il n’y a eu ni excuse du président Morsi, ni commission d’enquête ouverte ».
Selon Ahmad, 35 ans, ouvrier, « la vie est déjà tellement difficile. Presque tout le monde est au chômage ici. Ce n’est pas la désobéissance civile qui perturbe la vie des citoyens, c’est l’économie qui s’écroule ».
Le centre assiégé
Sur la rue Mohamad Ali, les manifestants tiennent un sit-in devant le commissariat sous le slogan « Le peuple est au service du peuple ». Ils rédigent et collectent, le plus sérieusement du monde, des procès-verbaux des citoyens contre le président et les Frères musulmans.
« Nous ne sommes pas des voyous comme le dit le régime. Nous sommes des héros de l’histoire de l’Egypte. Nous voulons les droits de nos enfants et les excuses publiques de la présidence, pour restaurer la dignité de Port-Saïd », dit Magdi Al-Khayat, 50 ans, propriétaire de boutique. Arabi, 28 ans, renchérit : « Essam Al-Eriane et sa clique mentent effrontément en déclarant que notre grève est organisée par des voyous payés 100 L.E. par jour ».
Au marché central, quelques propriétaires de magasin rompent la grève, dans un effort désespéré pour gagner quelques livres. Mais vers 3h, des Ultras du club Masri viennent les forcer à la désobéissance civile. Quitte à jeter à terre le contenu du magasin d’un propriétaire récalcitrant. Les dissidents baissent finalement leur rideau sans un mot.
Entre-temps, les marches ont convergé vers la place du gouvernorat de Port-Saïd, re-nommée « Place des martyrs » par les désobéissants. Ils sont quelques centaines en cette fin d’après-midi. Un sit-in est maintenu jour et nuit sur cette place, avec une dizaine de tentes plantées dans le petit jardin du bâtiment du gouvernorat et deux galeries de photos : une pour les morts et une pour les 21 condamnés à mort.
Les femmes sont, pour la première fois depuis le début de la grève, remarquablement nombreuses. Ce sont elles qui lancent sans relâche les slogans hostiles au régime. « La voix des femmes est une révolution », scandent-elles, convaincues que les Frères n’ont aucun respect pour les femmes.
Nadia, 17 ans, montrant la photo d’un condamné à mort qui a tout juste 18 ans, s’insurge : « Nous, nous respectons la justice. S’il y a un seul coupable dans ces condamnés, nous le tuerons de nos propres mains. Mais ce verdict ne cherchait qu’à acheter les Ultras ahlawis ».
La même foule qui a ignoré l’état d’urgence et le couvre-feu instaurés par le président Morsi le mois dernier, semble aujourd’hui d’accord pour continuer sa lutte « quitte à mourir de faim ». Convaincus que le régime ne s’intéressera ni à punir les criminels, ni à rétablir les droits des martyrs, les habitants ont déjà assuré qu’ils boycotteront les législatives.
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