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Eglises : Construire sous un nouveau droit

Ola Hamdi, Jeudi, 08 septembre 2016

Après un vif débat, la nouvelle loi sur la construction des églises a finalement été adoptée par le parlement.

Eglises : Construire sous un nouveau droit
de son passage au parlement, la nouvelle loi sur la construction des églises a soulevé un vif débat.

Après 160 ans d’attente, la loi sur la construction des églises a enfin vu le jour. Le parlement l’a approuvée le 30 août à plus du tiers des voix. La loi est formée de 8 articles qui fixent les conditions et les procédures nécessaires pour la construction des églises. Elle aborde aussi le statut des églises construites avant la promulgation du texte. Le texte remplace une ancienne législation qui remonte à l’époque ottomane et qui incluait des règles très restrictives interdisant la construction des églises à proximité des écoles, des établissements gouvernementaux et des grands axes routiers. Il était question à l’époque de Moubarak de promulguer une nouvelle loi sur les lieux de culte chrétiens, mais celle-ci n’a jamais vu le jour.

Une première version de la loi avait soulevé des protestations de l’E glise copte orthodoxe, car cette version exigeait l’accord du président de la République pour construire une Eglise. Cette ancienne version exigeait aussi dans son article 5 au gouverneur d’obtenir l’approbation du ministère de l’Intérieur avant de décider de la constriction d’une église. Mais suite à une rencontre entre le président Abdel-Fattah Al-Sissi et le pape Tawadros de l’Eglise copte, un consensus a été atteint au sujet des articles controversés. « Cette rencontre a permis de donner un coup de pouce à la loi », affirme anba Paula, responsable des relations publiques auprès de l’Eglise et représentant de l’Eglise à la rédaction du projet de loi. La nouvelle version du projet n’exige que l’accord du gouverneur pour la construction d’une église « en concertation avec les autorités concernées » et non plus le ministère de l’Intérieur, comme dans l’ancien texte. La loi prévoit en outre la création d’un comité ad hoc chargé de s’assurer que toutes les conditions requises par la loi sont remplies. Un délai de quatre mois a été donné pour trancher les demandes présentées, et si ce comité ne donne aucune réponse dans ce délai, cela sera considéré comme une approbation implicite. Par ailleurs, il a été convenu que la construction des églises soit proportionnelle au nombre d’habitants.

Vives réactions

Lors de son passage cette semaine au parlement, la loi dans sa nouvelle version a soulevé un vif débat, notamment les articles 2 et 5. L’article 2 stipule que « la superficie d’une église doit être adaptée au nombre d’habitants chrétiens et prendre en considération la croissance de la population ». Mais lors des débats parlementaires, de nombreux députés se sont élevés contre cette clause. « Cette clause est très vague et va créer des problèmes. La loi n’explique pas quelle superficie pour quelle population. De plus, qui va déterminer la superficie ? Le problème fondamental de cetteeloi est qu’elle n’a pas donné lieu à un véritable débat de société », explique la députée Mona Gaballah, du parti des Egyptiens libres.

En dépit de sa modification, l’article 5 est lui aussi au centre d’une controverse. En vertu de cet article, la construction de nouvelles églises est autorisée par les gouverneurs « avec la coordination des autorités intéressées ». Nombreux sont ceux qui craignent que cette expression vague permette aux forces de sécurité locales de bloquer la construction de nouveaux édifices de culte chrétiens en invoquant des raisons de sécurité locales, surtout dans les zones les plus marquées par des conflits sectaires. Pourtant, le synode (assemblée des évêques) de l’Eglise copte orthodoxe avait donné un avis favorable au projet de loi le 24 août.

Mais les députés coptes ont des objections sur le texte. « Le gouvernement et l’Eglise se sont mis d’accord sur les articles de la loi, et c’est pour cette raison que le président du parlement n’a accordé aucune attention aux objections des députés, notamment les coptes », assure le député Emad Gad. « Il y a une esquive délibérée par le gouvernement. Cette loi comporte des pièges », assure Gad, soutenu par une autre députée copte, Nadia Henri. « C’est une loi qui codifie la discrimination contre les coptes. Et l’argument du gouvernement, qui consiste à dire qu’il ne faut pas modifier la loi car l’Eglise l’a approuvée, ne tient pas. L’Eglise ne représente pas tous les chrétiens, et la loi n’a pas été bien discutée à l’intérieur et à l’extérieur du parlement ». La majorité des députés coptes voulaient supprimer l’article 2, mais la loi a quand même été adoptée.

« L’Eglise porte la plus grande responsabilité de cette situation, car la loi dans sa version présentée au parlement n’était pas satisfaisante pour beaucoup », lâche Henri. Une autre députée copte, Elizabeth Chater, se veut plus mesurée. Selon elle, la loi sera de toutes les manières testée. « La durée de la législature est de cinq ans, et si des défauts apparaissent, la loi peut encore être modifiée », souligne-t-elle. D’autres se félicitent encore de la promulgation de la loi. « Nous attendons cette loi depuis 160 ans », lance la députée du parti des Conservateurs, Evelyne Matta Boutros. « Cette nouvelle législation offre une procédure administrative simplifiée pour construire des lieux de culte chrétiens et permet également de régulariser les églises bâties sans autorisation », dit-elle.

Pleinement satisfaites

Rafiq Guéreiche, directeur du bureau de presse de l’Eglise catholique, pense que la loi est « un grand bond après 160 ans de restrictions ». « La sécurité n’a plus droit de s’ingérer dans la construction et la restauration des églises ». Même son de cloche pour Jamil Halim, représentant de l’Eglise catholique dans la rédaction du projet de loi. Il ajoute que les trois Eglises sont pleinement satisfaites de la version finale de la loi approuvée par le parlement. « Les chrétiens peuvent obtenir des autorisations pour construire des églises en l’espace de cinq mois alors qu’avant, ils devaient attendre des dizaines d’années ». Certaines personnalités coptes pensent que la constitutionnalité de la loi pourrait être contestée, surtout qu’elle a été approuvée par les deux tiers des députés seulement. C’est le cas de l’avocat Naguib Guébraïl, activiste copte des droits de l’homme. « Cette loi est contraire aux articles 53 et 64 de la Constitution, et établit une distinction claire entre les musulmans et les chrétiens en ce qui a trait à la construction des lieux de culte, car l’article 2 lie la zone de construction d’une église au nombre de coptes dans cette région », explique Guébraïl.

Quant à l’écrivain et penseur Gamal Assaad, il trouve que cette loi est « un pas important sur le chemin des droits des coptes ».

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