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Amr Ramadan : Les Egyptiens n’acceptent plus que leur pays soit traité avec dénigrement

Loula Lahham, Mardi, 23 août 2016

Diplomate actif, l'ambassadeur Amr Ramadan, chef de la délégation permanente de l’Egypte au bureau des Nations-Unies à Genève, apporte des réponses argumentées aux critiques faites à l’Egypte sur la scène internationale. Entretien exclusif.

Amr Ramadan : Les Egyptiens n’acceptent plus que leur pays soit traité avec dénigrement
Amr Ramadan
Genève,
De notre correspondante –

Al-Ahram Hebdo : Pourquoi remarquons-nous ces derniers temps une activité particulière et une voix qui monte des diplomates égyptiens à Genève ?

L’ambassadeur Amr Ramadan : Nous désirons transmettre une image réelle au public égyptien de ce qui se passe aux Nations-Unies à Genève. Que cela soit au niveau de la discussion autour de certains sujets ou celui des positions prises par l’Egypte par rapport à d’autres. Quand nous parlons à la presse, c’est toujours afin de transmettre plus de transparence.

— Le public a besoin de voir que les réunions des divers comités des Nations-Unies, à Genève ou ailleurs, ne se terminent pas par des condamnations ou sanctions qui mènent nulle part. Qu’en est-il des pourparlers à l’intérieur du Comité des droits de l’homme et des accusations violentes faites à l’Egypte dans ce domaine ? Que fait le chef de la délégation égyptienne permanente face à cela ?

— La majorité des pays, et je ne parle pas uniquement des pays arabes, ont une situation dans le domaine des droits de l’homme qui n’est pas meilleure que celle de l’Egypte. Personne ne les critique ou même les évoque dans un questionnement quelconque. Pourquoi ? Si l’objectif est de parler de la situation alarmante des droits de l’homme dans le monde, nous aurons à l’évoquer dans le plus grand pays comme dans le plus petit. D’égal à égal. D’une manière générale, tous les pays commettent des violations dans le domaine des droits de l’homme. Certaines de ces violations sont systématiques, alors que d’autres sont individuelles. Et normalement, les gouvernements n’effectuent pas ce genre de pratiques. Sur un baromètre objectif, nous sommes dans une situation meilleure que beaucoup d’autres pays, et malgré cela, nous représentons un centre d’intérêt pour beaucoup. Ce qui me pousse à dire que cela a sûrement un volet politique.

— Pourquoi pensez-vous que l’Egypte puisse être visée ?

— Demandons-nous d’abord quel rôle assume l’Egypte dans la région du Moyen-Orient. Qu’adviendrait-il si l’Egypte tombait comme ses voisins ? Quelles sont les parties qui planifieraient un avenir sur mesure pour la région ? Qui voudrait imposer le chaos créatif ? Dans tous les cas et personnellement, je ne crois pas à la théorie du complot. Mais il existe une série d’événements qui, une fois analysés, nous mèneront à une conclusion bien définie. Chacun pourra même avoir sa propre conclusion. Mais toutes montreront que l’Egypte est réellement visée. Regardez ce qui s’est passé au syndicat des Journalistes en Egypte récemment, le meurtre de Giulio Regini et les décisions de la Cour pénale de transférer les documents de plusieurs dizaines de personnes au mufti pour avis religieux sur la peine de mort ...

— Où est-elle, cette théorie du complot, dans ce dernier cas ?

— La cour n’a pas émis de peine de mort. Elle a agi à la lumière des documents qui étaient en sa possession. Sur les écrans d’informations aux Nations-Unies, le public pouvait lire « Exécution de centaines d’opposants en Egypte ». Or, ce juge a été transféré vers une mission administrative, les accusés n’ont pas subi de peine de mort, ils sont passés ensuite par les cours d’appel et de cassation. Et les peines de mort n’ont pas été appliquées. Cette histoire remonte à deux ans et jusqu’à maintenant, l’Egypte ne fait que subir des ajouts dans chaque session du Comité des droits de l’homme. Rien ne lui a été retranché. Il y a des gens qui ne veulent pas voir la réalité. Le même scénario se répète pour les événements de Rabea Al-Adawiya en août 2013 au Caire. Ici à Genève, nous répondons avec force à toutes ces accusations.

— L’Egypte fait face à beaucoup de critiques et les réponses sont rapides comme des flèches de la part de sa mission permanente à Genève. Comme si le ministère des Affaires étrangères commençait à sortir ses griffes pour arrêter les critiques. Nous ne sommes pas habitués à ce genre de réponses diplomatiques fermes ...

— Ce style n’est pas nouveau pour la diplomatie égyptienne. Le ministère des Affaires étrangères nous a donné ces directives il y a un bon moment. Quand le ministre Sameh Choukri était chef de la délégation permanente à Genève en 2006, il était beaucoup plus dur que cela. Or, à cette période la couverture médiatique n’était pas suffisante. Je pourrai même avouer qu’il n’y avait pas d’intérêt médiatique dès le départ … Les réponses restaient prisonnières des portes closes. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, et il y a un vrai intérêt à suivre ce qui se dit.

— Comment cela a-t-il lieu ?

— La majorité des réunions et rencontres sont retransmises en direct dans les médias. Nous avons le droit de dire notre version des choses. Nous ne nions pas que nous subissons de fortes critiques, et que parfois, les initiatives que nous présentons ne sont pas prises en considération ou n’ont pas été acceptées. Le public a le droit d’être informé de cela. Nous voulons juste transmettre la réalité telle qu’elle se présente. J’avoue que nos réponses sont plus fortes qu’auparavant. Et laissez-moi vous dire que si la révolution du 25 janvier revendiquait le pain, la liberté et la dignité, nous travaillons ici pour la dignité de l’Egyptien hors de son pays. La dignité à l’étranger est primordiale.

— Expliquez-vous un peu ...

— Les Egyptiens n’acceptent plus que leur pays soit traité avec dénigrement. Ils veulent voir une Egypte courageuse qui n’a pas peur d’exprimer ses points de vue librement et sans contraintes parce qu’il y a ici quelqu’un qui lui finance un projet, un autre qui lui donne un subside financier, ou même un troisième avec qui elle entreprend des relations stratégiques. C’est une politique naturelle pour un Etat pivot comme l’Egypte. La mission permanente est une composante du ministère des Affaires étrangères et ce dernier est une composante de l’Egypte. Nous travaillons en coordination totale avec les responsables égyptiens et nous ne nous engageons pas dans des aventures qui ne seraient pas étudiées à l’avance. Ressentir la force dans nos réactions revient essentiellement à notre recours aux médias. Il faut aussi souligner que parfois, les médias exagèrent un petit peu … En fin de compte, nous réagissons parce que nous avons le droit de le faire, sans toutefois nous créer des adversaires.

— Quel rôle assume l’Egypte au sein du Comité des droits de l’homme ?

— Les comités et les commissions des Nations-Unies se forment par rotation. Cette année, l’Egypte représente l’Afrique dans la commission consultative des droits de l’homme composée de 5 ambassadeurs. Cette commission est responsable d’élire les éventuels candidats aux postes exécutifs, tels les rapporteurs spéciaux, les enquêteurs, les membres des comités indépendants chargés de faire des investigations dans certaines situations alarmantes ou de partir dans des missions à l’étranger. Assumer ces tâches nous prend beaucoup de temps.

— A part le Comité des droits de l’homme, quelles sont les autres missions de la délégation ?

— L’Egypte nous a transférés ici pour porter haut son nom et pour négocier en son nom diverses questions. Il nous incombe de transmettre aux responsables égyptiens les tendances des discussions qui se tiennent à Genève, et il nous incombe aussi de développer les opportunités de l’économie et du commerce égyptiens. La délégation permanente a représenté l’Egypte à la Conférence internationale du désarmement, au Comité des droits de l’homme et à l’Organisation mondiale du commerce. Ce sont nos trois axes principaux d’activités. Par ailleurs, la délégation permanente représente l’Egypte dans 26 organisations internationales présentes à Genève.

— L’Egypte a-t-elle un rôle dans l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ?

— Le classement de l’Egypte dans ce domaine est assez avancé. Elle devance beaucoup de pays arabes et africains. Nous nous intéressons particulièrement à investir la propriété intellectuelle dans le développement durable. Nous protégeons la propriété intellectuelle de certaines productions et incitons à produire mieux et à meilleur marché.

— En fin de compte, toutes vos missions sont d’ordre politique et/ou économique ...

— Cela n’est pas tout à fait juste. La mission a tenu des activités culturelles et artistiques. Nous avons participé à un défilé de mode du continent africain avec des produits des bédouins du Sinaï. Nous avons accueilli la troupe Réda de danse folklorique et nous participons régulièrement à des cercles de dialogue des civilisations. Mon épouse, à son tour, participe à des activités socioculturelles en tant que présidente du groupement des épouses des ambassadeurs africains. Chaque membre de la délégation permanente assume sa responsabilité. Beaucoup d’entre nous commencent le travail à 6h du matin. Nous travaillons les week-ends et les jours fériés. Pourquoi ? Parce qu’en tant qu’Egyptiens, notre valeur est grande, plus que ce que les gens ressentent. Notre mission est non seulement de regagner la place de l’Egypte sur la scène internationale, mais aussi d’aller de l’avant.

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