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L’adieu à Zoweil

May Al-Maghrabi, Mardi, 09 août 2016

L'Egypte a rendu un vibrant hommage à Ahmad Zoweil, prix Nobel de chimie, décédé la semaine dernière, lui promettant de réaliser son rêve de construire un campus scientifique et technologique.

L’adieu à Zoweil

Ahmad Zoweil, lauréat 1999 du Prix Nobel de chimie et illustre scientifique égyptien, est décédé mardi 2 août, aux Etats-Unis, des suites d’un cancer de la moelle épinière, diagnostiqué en 2013. Il avait 70 ans. Dimanche, après l’arrivée du corps du défunt, l’Egypte a offert à Zoweil des funé­railles militaires auxquelles ont participé le président Abdel-Fattah Al-Sissi, de hauts responsables et des personnalités publiques et reli­gieuses. Le président a présenté ses condoléances à la famille de Zoweil. La cérémonie était retrans­mise en direct sur toutes les chaînes de télévision égyptiennes.

C’est dans un grand complexe militaire à la cité du 6 Octobre que la cérémonie a eu lieu, le cercueil d’Ahmad Zoweil a été recouvert du drapeau égyptien. Ce cercueil a été porté par un attelage de six chevaux et cavaliers en uniforme rouge d’apparat, précédé par des soldats de chaque corps d’armée. Après l’hommage militaire, le cercueil de l’éminent scientifique a été conduit jusqu’à la Cité des sciences et de la technologie de la capitale, une faculté qu’il avait fondée et qui porte son nom. Une foule importante a assisté à cette deuxième cérémonie. Ahmad Zoweil a été ensuite inhumé dans le caveau familial d’un cimetière du 6 Octobre, une banlieue de l’ouest du Caire.

L’adieu à Zoweil

Les découvertes sur les proces­sus moléculaires fondamentaux de Zoweil, qui a également été conseiller scientifique du prési­dent américain Barack Obama, ont permis, par leurs applications à la chimie, à la biologie et à la pharmacologie, des progrès dans le domaine de la santé humaine. Né en 1947 dans une famille modeste du Delta, Ahmad Hassan Zoweil est le premier Egyptien et Arabe à recevoir un Nobel en sciences. Il effectue ses études secondaires et une partie de ses études supérieures en Egypte, obtenant sa licence, puis un mas­ter en spectroscopie à l’Université d’Alexandrie. Aux Etats-Unis, il prépare son doctorat à l’Universi­té de Pennsylvanie en 1973, avant d’achever son post-doctorat à Berkeley, et acquiert, en 1982, la nationalité américaine. Aux Etats-Unis, Zoweil rejoint le célèbre California Institute of Technology (Caltech) en 1976, où il dirige, depuis 1990, le laboratoire pour des sciences moléculaires et le Centre de recherche multidiscipli­naire.

Le pionnier de la « femtose­conde »

Ses recherches ardues et distin­guées ont fait de Zoweil le pion­nier de la « femtochimie », (la dynamique d’une réaction chimique). Il reçoit le Prix Nobel en 1999 pour avoir réussi à photo­graphier, à l’aide d’un laser extrê­mement rapide, les atomes d’une molécule en train de bouger durant une réaction chimique. Pour ce faire, il avait utilisé une nouvelle unité : la femtoseconde. Son prix Nobel de chimie récom­pensait plus précisément ses études sur les stades transitoires des réactions chimiques par spec­troscopie laser ultrarapide, qui avaient permis d’observer le mou­vement des atomes des molécules au cours des actes élémentaires primordiaux des réactions chimiques. Les études de la réacti­vité chimique élémentaire aux échelles de l’ordre de femtose­condes, que Zoweil a magistrale­ment contribué à mettre au point, constituent maintenant ce que l’on désigne communément par femto­chimie. Il s’agit d’un laser dit femtoseconde, aux impulsions lumineuses très courtes, quelque millionième de milliardième de seconde. Grâce à elles, le cher­cheur a photographié des réac­tions chimiques comme jamais auparavant. Les flashes lumineux très brefs « figent » les molécules. Ses découvertes ont permis d’ou­vrir de nouvelles perspectives en chimie, en biologie et en pharma­cologie pour la mise au point de réactions chimiques et biochi­miques plus performantes et plus sélectives, avec les conséquences que cela implique tant pour la synthèse chimique que pour la santé humaine.

Plus de 100 récompenses

L’adieu à Zoweil

La carrière de Zoweil sera saluée par plus de 100 récom­penses. Des timbres ont même été imprimés en son honneur. L’Egypte lui a offert un doctorat honorifique de l’Université d’Alexandrie et lui a décerné en 1999 sa plus haute distinction : l’Ordre du Grand Collier du Nil. Il était aussi docteur honoré par plu­sieurs universités aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Suisse, en Belgique, en Australie, au Canada et en Italie. Il était également membre de nombreuses acadé­mies internationales. Devenu une célébrité en Egypte et dans le monde arabe, Zoweil fonde plu­sieurs instituts de recherche scien­tifique, dont la Cité de Zoweil pour les sciences et la technologie au Caire (voir sous-encadré).

Un rêve inachevé

Un rêve inachevé

Construire un campus scientifique et technologique en Egypte. Tel était le rêve d’Ahmad Zoweil dès son obtention du Prix Nobel. Car pour lui, c’est par l’édu­cation et la recherche scientifique que l’Egypte peut prendre son élan. C’est fin 1999 que Zoweil propose son projet à l’ancien président Moubarak, qui lui consacre 270 feddans pour la construction de la « Cité de Zoweil pour les sciences et la technologie » à 6 Octobre. En janvier 2000, la pierre angulaire du projet est posée dans un climat d’enthousiasme et d’espoir pour un début de révolution scientifique en Egypte. Mais pour des raisons indéterminées, le projet n’a pas avancé 11 ans durant. Déçu, Zoweil regagne les Etats-Unis, mais lors de la révolution de 2011, il est revenu en Egypte pour relancer son projet qu’il qualifiait de « projet national de renaissance scientifique ». Au début de l’année 2011, suite à des entretiens entre l’ancien premier ministre Ahmad Chafiq et Ahmad Zoweil, ce dernier a obtenu le droit d’exploitation des locaux de l’Université d’Al-Nil pour la réalisation de son projet. Zoweil devient alors premier président de son conseil d’administration. En 2014, le président Abdel-Fattah Al-Sissi consacre 200 feddans pour la construction d’un nouveau siège pour la Cité de Zoweil à la cité du 6 Octobre. Le président confie les travaux de construction à l’administra­tion de l’architecture des forces armées. Mais faute de financement, le projet traîne toujours. Le président Sissi a appelé les Egyptiens à soutenir par des dons le projet de la Cité de Zoweil. Il a précisé que les coûts du projet sont de 4 milliards de L.E. alors que Zoweil n’a pu en collecter que 300 millions. « J’appelle les Egyptiens à contribuer à l’achèvement de ce projet phare en appréciation du rôle des savants et pour un meilleur avenir pour le pays », a dit Al-Sissi.

Timide participation politique

En 2011, Ahmad Zoweil revient des Etats-Unis pour rejoindre la révolution. Il est nommé membre d’un conseil des sages censé définir l’avenir de l’Egypte avec les révolutionnaires. « Je le dis franchement, je n’ai aucune ambition poli­tique. Je ne servirai ma patrie que dans le domaine de la science et je mourrai savant », avait dit Zoweil lors de son retour en 2011. Une distance prise qui ne l’a pas empêché de publier un article au journal américain de New York Times, le 20 mai 2012, sur son soutien et sa vision de la transition démocrate. S’adressant aux Egyptiens, Zoweil appelle à « se focaliser sur la rédaction d’une Constitution instaurant pour un régime démocrate, respectant les droits des citoyens et empê­chant d’abuser du pouvoir quelle que soit sa tête ». A l’époque, on lui prête même l’ambition de se présenter à l’élection présidentielle de 2012, qui sera finalement remportée par l’islamiste Mohamad Morsi. Zoweil avait aussi soute­nu la révolution du 30 juin 2013 contre le règne des Frères musulmans. Selon le politologue Abdel-Moneim Saïd, si certains véhiculaient, à l’époque, le nom de Zoweil comme candidat à la présidentielle, lui-même n’avait ni l’intention, ni l’ambition de la briguer. « A maintes reprises, Zoweil m’a dit que la carrière politique ne lui convenait pas. En tant que scientifique patriotique dévoué, il tentait d’oeuvrer plutôt à la réforme de l’éducation et à la recherche scientifique en Egypte qu’à la politique », révèle Saïd qui était lui-même l’un de ceux qui avaient plaidé pour la candidature de Zoweil à la présidentielle après la révolu­tion de 2011. Ce qui n’a pas empêché diverses forces politiques de s’en prendre violemment au savant, qui finit par prendre ses distances à l’égard des affaires internes égyptiennes. Depuis 2012, les Frères musulmans ont accusé Zoweil de normalisation avec Israël. Des accusations que Zoweil a catégoriquement niées. En 2014, le président Sissi l’appelle au sein du premier conseil scientifique et technique de l’Egypte et confirme le chantier d’un projet lancé en 1999 du cam­pus technologique, la Cité Zoweil pour les sciences et la technologie, qui attend toujours son inauguration officielle.

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