Al-Ahram Hebdo : Lorsque la compagnie française mère AXA a décidé d’investir en Egypte, après les études de faisabilité et les études de marché, quels étaient les indicateurs du marché égyptien dans le domaine de l’assurance ?
Hassan El Shabrawish : L’entrée d’AXA sur le marché égyptien s’est inscrite dans une ambition plus large à dimension régionale, l’Egypte étant considérée comme la porte d’entrée vers les marchés africains. D’après le classement 2015 du Fonds Monétaire International (FMI), l’Egypte occupe, en Afrique, la seconde place après le Nigeria avec un PNB de 300 milliards de dollars. C’est un bon indicateur de l’importance du marché égyptien qui compte une population de 92 millions d’habitants avec un taux de pénétration d’assurance de moins de 1 %. (Taux de pénétration = total des primes d’assurance/PNB).
AXA a donc estimé que la demande était là et que de nombreux services liés à l’assurance et adaptés aux besoins de la population pourraient être développés et proposés aux Egyptiens. C’est donc dans cette perspective plus globale qu’AXA a lancé ses activités en Egypte en 2015. Notre stratégie d’entrée sur le marché égyptien a reposé sur deux piliers : la création d’entreprise ex nihilo et la croissance externe.
— Quels étaient vos critères, le retour sur investissement ou bien le taux de pénétration ?
— L’assurance est une activité qui s’inscrit sur du long terme. Lorsque nous étudions l’opportunité d’investir dans un pays, le retour sur investissement n’est pas le critère prioritaire car nous savons bien que le bénéfice ne sera généré qu’après une longue période, ce qui le différencie des autres secteurs comme le Retail (la vente en gros) ou la vente des produits de consommation. Nous tenons donc compte en premier lieu des indicateurs macroéconomiques comme la stabilité à long terme et la croissance démographique.
— Pourquoi le taux de pénétration dans le domaine de l’assurance est-il si bas en Egypte ?
— Je me suis fait la même réflexion lorsque nous avons commencé à étudier ce marché. Et lorsque je posais la question autour de moi, on me répondait par métaphore : « Un restaurant proposant des plats non adaptés à sa clientèle ne peut pas ensuite la blâmer pour faute de goût ». Le plus important pour nous est d’éviter ce genre d’écueil. Il faut que les services que nous offrons soient adaptés au marché et aux besoins des Egyptiens. Il faut que nous soyons suffisamment à l’écoute pour comprendre au mieux leurs besoins et que nous leur offrions des solutions répondant à leurs situations personnelles, familiales ou sociétales. Si nous importons des systèmes tout prêts d’Angleterre ou de France, ils ne fonctionneront pas en Egypte. C’est pourquoi nous avons longuement travaillé pour sonder au mieux les besoins des différentes tranches et catégories de la société égyptienne et savoir ce qui préoccupe la femme égyptienne, les parents et même les enfants. Notre point de départ était de comprendre les besoins puis nous avons cherché à résoudre ces problèmes à travers notre expertise, notre connaissance et les nombreux talents de nos équipes locales.
— Comment avez-vous pu effectuer ces recherches pour arriver à des produits d’assurance ?
— Justement nous n’avons ni produits, ni prescriptions toutes prêtes dans une brochure. Nous proposons des solutions sur mesure, conçues spécifiquement selon les besoins identifiés. Nous avons effectué des recherches pendant des mois à travers des sondages dans les différentes classes de la société égyptienne. Nous les avons interrogées sur leurs besoins, leurs inquiétudes mais aussi sur leurs capacités et priorités de dépenses. Les commentaires que nous avons pu recueillir lors de nos recherches nous ont conduits à traiter prioritairement le dossier des soins de santé. Et je me bats contre l’idée reçue selon laquelle les Egyptiens manqueraient de discernement et de connaissance en matière d’assurance. Au contraire, nos enquêtes ont révélé qu’ils sont très lucides et qu’ils ont une idée très claire de leurs besoins. Mais bien sûr il n’est pas question pour eux d’investir dans un service inadapté à leurs principaux besoins que sont la santé, les médicaments, les services d’hospitalisation, etc.
— Quand vous avez lancé votre assurance médicale, avez-vous commencé à contacter des compagnies spécialisées ou bien l’avez-vous fait par vous-mêmes ?
— Nous avons créé notre assurance médicale de toutes pièces, par nous-mêmes. Grâce au travail de nos équipes, nous avons actuellement 50 000 clients protégés par AXA. C’est une réussite qui va au-delà de ce que nous avions envisagé au départ. Atteindre ce chiffre en seulement quelques mois est une grande satisfaction pour nous. Cela reflète la confiance qu’AXA et ses services ont su insuffler.
— Quel a été votre mécanisme pour réaliser cela ? Avez-vous fondé une holding regroupant toutes ces sociétés ?
— Nous avons créé 4 compagnies en Egypte : la société mère « AXA Egypt Investment » et, sous elle, trois sociétés. Cette organisation nous permet de travailler dans différents secteurs. Nous avons commencé par lancer AXA General Insurance Egypt, ensuite, nous avons acquis CIL, l’acteur #3 d’assurance-vie, épargne et retraite en Egypte, et signé un partenariat de distribution de 10 ans avec la banque CIB ; et enfin AXA Services Egypt qui procure tous les services médicaux que nous présentons aujourd’hui à notre clientèle. Nous nous sommes d’abord adressés aux grandes entreprises qui cherchaient une assurance médicale de confiance et de qualité pour leurs employés.
— Comment faites-vous pour pallier le manque d’infrastructures des hôpitaux d’autant plus que vous servez une clientèle très variée ?
— Nous travaillons avec plus de 2 000 fournisseurs de services médicaux en Egypte : hôpitaux, cliniques, établissements spécialisés et pharmacies qui couvrent les 4 coins de l’Egypte. Nous nous sommes adressés à eux et nous avons spécifié les critères de qualité que nous exigeons. A ma grande surprise, non seulement ils ont accepté mais ils ont fait des progrès considérables. En effet, ces dix dernières années, le secteur de la santé en Egypte a enregistré de nombreux progrès. Pour la première fois, des patients viennent de l’étranger pour obtenir des soins en Egypte. On peut parler de l’émergence d’un phénomène nouveau en Egypte : « le tourisme thérapeutique ». Mais le principal problème concerne la classe moyenne qui juge encore cher de s’adresser au secteur privé pour recevoir des soins médicaux et qui n’est pas non plus satisfaite des services proposés par le secteur public. C’est cette tranche de la société qui a le plus besoin de soutien. Notre mission est d’utiliser la force du réseau d’AXA pour réduire la contribution des patients à leurs soins afin qu’ils puissent avoir accès à des services de qualité appropriés à leurs revenus. Nous proposons également, pour les micro-entreprises, une micro-assurance dans laquelle nous investissons beaucoup. C’est une première en Egypte. Nous avons baptisé cette opération « livre après livre ». Ceci aide à la mise en place de ce qu’on appelle l’« inclusion financière » ; c’est-à-dire que davantage de classes sociales profitent et font partie du système financier, alors qu’elles étaient jusqu’alors exclues de ce système. Celles-ci n’ont ni les moyens ni la capacité de placer de l’argent dans des banques alors que désormais, grâce à cette micro-assurance, elles sont en mesure de le faire. On a réussi à lancer cette opération grâce au soutien d’ONG locales. Elles présentent des crédits aux micro-entreprises et nous les aidons en leur procurant des solutions d’épargne et d’assurance pour garantir que leurs crédits soient versés.
— Après avoir acquis le portefeuille de la compagnie CIL, avez-vous développé un partenariat avec la banque CIB ?
— Lors de l’acquisition de CIL, nous avons signé un accord d’assurance bancaire de 10 ans avec CIB qui est la plus grande banque privée en Egypte connue pour son très grand professionnalisme, ses ambitions et ses grands projets de développement en Egypte et dans la région. Nous sommes très honorés et fiers d’avoir un partenaire de cette qualité. Ils nous ont choisis comme partenaire en Egypte pour procurer des solutions d’assurance à la fois pour leurs employés et pour leur clientèle.
— Quel a été l’impact de la visite du président français, François Hollande, sur vos affaires ?
— Le discours de François Hollande était clair. Il a déclaré qu’il n’était pas satisfait de la sixième place qu’occupe la France dans le classement des investisseurs étrangers en Egypte. Ceci est encourageant pour notre activité car cela montre à quel point les autorités françaises accordent un intérêt au partenariat entre les deux pays. Selon moi, le principal message à retenir est que « c’est le bon moment d’investir en Egypte ». Depuis ce discours à Héliopolis, de nouvelles entreprises françaises ont ouvert leurs portes dans le même bâtiment que nous. C’est un signe très positif.
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