Fatima Naoot et Islam Al-Béheiri
Les députés de la commission des lois planchent actuellement sur un projet de loi, proposé par le député indépendant Mohamad Zakariya Mohieddine, pour annuler l’article 98 du code pénal qui incrimine les atteintes à la religion. La commission a décidé d’explorer l’avis des institutions religieuses de l’Etat sur l’amendement en question dont Al-Azhar, Dar Al-Iftaa et l’Eglise copte orthodoxe. Mais le ministère de la Justice, comme l’explique Mohieddine, a affirmé que le gouvernement n’accepte pas ce projet de loi : «
Ni Al-Azhar, ni l’Eglise n'ont répondu, mais les déclarations des responsables d’Al-Azhar assurent qu’ils refusent l’annulation de l’article 98 », estime Mohieddine.
L’article 98 a été au centre d’un vif débat ces derniers mois, notamment après la condamnation à la prison du présentateur de télévision Islam Al-Béheiri, en décembre dernier, pour « atteinte à la religion ». Al-Béheiri s’en était pris à certains écrits des 4 imams de l’islam, et mis en doute certains hadiths du prophète Mohamad au cours de son programme sur la chaîne Al-Qahira Wal Nas. La polémique a encore enflé après que l’écrivaine Fatima Naoot eut été condamnée à trois ans de prison début février pour une phrase publiée sur Facebook, critiquant l’abattage des moutons lors du Grand Baïram. En vertu de cette loi aussi, trois adolescents coptes ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Minya en Moyenne-Egypte à cinq ans de prison pour « outrage à l’islam » parce qu’ils ont parodié dans une vidéo une scène de prière. Un quatrième, âgé de 15 ans, a été placé dans un centre de détention.
L’article 98 a été introduit en 1981 durant les tensions religieuses d’Al-Zawiya Al-Hamra et visait à la base à protéger les minorités religieuses. Mais selon les organisations des droits de l’homme, il est utilisé abusivement aujourd’hui.
Selon l’article en question, « toute personne, qui dénigre l’une des religions monothéistes (islam, christianisme et judaïsme) ou l’unité nationale, encourt entre 6 mois et 5 années de prison et une amende minimale de 500 L.E. ».
En vertu de cet article, un citoyen peut engager un procès contre une figure publique s’il estime que cette dernière a porté atteinte à la religion. De même, un citoyen peut engager un procès contre un autre citoyen et enfin, l’Etat peut engager un procès contre un individu comme ce fut le cas avec le présentateur Bassem Youssef sous le régime des Frères musulmans.
Plusieurs procès
Les dernières années ont ainsi témoigné de plusieurs procès pour atteinte à la religion. Selon un rapport de l’Initiative égyptienne pour les droits civiques, les tribunaux auraient condamné 81 citoyens pour insulte à la religion entre 2011 et 2015.
Mohieddine explique qu’il a proposé ce projet en mars dernier et a recueilli la signature de 88 députés. « La députée Amna Nosseir, qui est aussi professeure à l’Université d’Al-Azhar, a proposé un projet de loi homologué trois semaines après mon initiative et a recueilli l’accord de 77 députés. C’est-à-dire que 165 députés ont accepté l’annulation de l’article 98 », ajoute Mohieddine.
Et d’expliquer que l’article 98 s’oppose aux articles 65, 67 et 95 de la Constitution. « L’article 65 de la Constitution stipule que la liberté de pensée et d’opinion est garantie. Toute personne a le droit d’exprimer une opinion oralement, par écrit, ou par l’image et autres moyens d’expression et d’édition. L’article 67 stipule que la liberté de création artistique et littéraire est garantie », affirme Mohieddine. Quant à l’article 95, il stipule que les peines légales doivent être « personnelles ». Sans loi, il n’y a ni crime ni peine et il n’y a pas de peine sans jugement. La peine n’est applicable que pour des actes commis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi.
Mohieddine ajoute que l’article 95 de la Constitution est le plus important. Il assure que l’article 98 est flou. « Que signifie atteinte à la religion ? Ce que certains considèrent comme une atteinte, d’autres ne le considèrent pas comme tel. Par exemple, le premier juge du procès d’Islam Al-Béheiri l’a acquitté, mais le deuxième l’a condamné à la prison. Cet article peut être utilisé par l’Etat pour traquer des opposants », affirme Mohieddine.
Les dignitaires religieux rejettent, eux, toute suppression de l’article 98. Abdel-Moneim Fouad, doyen de la faculté des études islamiques à Al-Azhar, défend l’article 98. « L’article 98 protège la religion qui est un système de valeurs pour la société entière. Attaquer la religion c’est attaquer les gens qui croient à cette religion et les dégrader. Il ne faut pas donner la possibilité à n’importe qui d’exprimer des doutes sur la religion ».
Mais l’écrivain Ibrahim Abdel-Méguid s’oppose avec force à l’article 98 qui est « contraire aux libertés fondamentales ». Selon lui, cet article est utilisé seulement pour « faire du tapage ». « L’article 98 ne sert qu’à engager des procès à sensation qui détournent l’attention des citoyens des questions importantes. Les gens s’intéressent à ce qu’a dit Fatima Naoot sur les moutons, mais ne s’intéressent pas aux problèmes d’éducation, de santé et autres. Cela est vraiment ridicule », conclut Abdel-Méguid.
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