Mercredi, 22 janvier 2025
Al-Ahram Hebdo > Egypte >

Minya défraye la chronique

May Atta, Mardi, 31 mai 2016

Le village d'Al-Karm dans le gouvernorat de Minya (sud) a été le théâtre de violences confessionnelles durant lesquelles 7 domiciles de familles coptes ont été incendiés. Retour sur les faits.

Minya défraye la chronique
Selon les habitants, des enfants ont incendié la maison de Soad.

Minya, De notre envoyée spéciale -

Al-Karm, à 300 km au sud du Caire. Rien ne semble indiquer que ce petit village du gouvernorat de Minya a été témoin de violences confessionnelles. Le calme est de mise et aucune présence policière anormale ne retient l’attention. Al-Karm a pourtant été témoin, la semaine dernière, d’un incident confessionnel qui a déchaîné les médias. Tout commence le 20 mai, lorsqu’un groupe de musulmans attaque et incendie 7 maisons chrétiennes, suite à des rumeurs selon lesquelles un homme chrétien aurait noué une liaison amoureuse avec une femme musulmane mariée. Selon l’église du village, les assaillants ont agressé la mère de l’homme en question et l’ont « déshabillée et conspuée dans la rue ».

Samedi, quelques jours après les incidents, le village semblait calme. La maison de Soad Sabet, la femme agressée, porte des traces de brûlure et les fenêtres sont toutes cassées. Trois soldats et trois officiers sont stationnés devant la maison. « Il n’y a personne ici », lance l’un des officiers. En effet, après les incidents, Soad Sabet a quitté son domicile et personne ne sait où elle se trouve. « Elle est à l’église », affirme un homme du quartier. Les voisins de Soad affirment qu’ils ont vu des enfants incinérer la maison, mais personne ne l’a vue être déshabillée ou conspuée. « Ce jour-là, un groupe d’enfants est venu mettre le feu à la maison, mais nous n’avons vu personne déshabiller Soad et la conspuer dans la rue. Peut-être que quelqu’un l’a tirée par la robe et celle-ci a été déchirée », raconte Mahmoud, qui habite la maison située en face de Soad. Ayed Abdel-Messih un autre voisin, chrétien, affirme lui aussi n’avoir rien vu. « Moi non plus, je n’ai rien vu. Je crois qu’il ne faut pas accorder beaucoup d’attention aux rumeurs. Un jour, j’ai acheté un terrain afin de construire une maison et les gens ont dit que je voulais bâtir une église et jusqu’à présent, je n’ai pas pu construire la maison », dit-il.

A l’église du village, Anba Makarios, l’évêque de Minya, insiste sur les faits. Selon lui, Soad a bel et bien été déshabillée et conspuée. « Le fait de déshabiller une femme est une catastrophe. Soad a d’abord reçu des menaces et elle s’est adressée à la police, mais celle-ci n’a rien fait. Lorsque les gens sont venus brûler la maison et attaquer la femme, la police n’est intervenue que deux heures après les faits. Lorsqu’elle est allée à la police pour déposer sa plainte, les policiers ont refusé dans un premier temps, et ils ont ensuite déchiré le procès-verbal avant d’en faire un autre ne refermant pas toute la vérité », affirme Makarios à Al-Ahram Hebdo. Ihab Ramzi, l’avocat de Soad, assure qu’elle a bel et bien été agressée et personne ne l’a protégée. Il dénonce lui aussi le laxisme de la police. « Pourquoi la police n’est-elle pas intervenue lorsque Soad a fait appel à elle ? La police a visiblement eu peur et a cherché à étouffer l’affaire », affirme-t-il.

Les rumeurs circulent

Minya défraye la chronique
Selon les habitants, des enfants ont incendié la maison de Soad.

Tandis qu’une enquête a été ouverte par les autorités, les rumeurs circulent dans le village. Et tout le monde parle de cette relation amoureuse entre Achraf, le fils de Soad, et Nagwa, une femme déjà mariée à un musulman du nom de Nazir. « Ce qui s’est passé est inacceptable pour une famille du Saïd (Haute-Egypte, ndlr). C’est une honte », affirme un membre de la famille de Nazir.

Quoi qu’il en soit, l’incident a longuement défrayé chronique. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a demandé à ce que les auteurs des violences soient identifiés et traduits en justice. Le chef de l’Etat a en outre ordonné que les maisons incendiées soient restaurées aux frais de l’armée. Le Parquet a, lui, ouvert une enquête et 14 personnes ont été arrêtées, mais 5 ont été libérées sous caution cette semaine. Par ailleurs, des membres de la Maison de la famille, une organisation formée d’oulémas d’Al- Azhar et de prêtres de l’Eglise copte orthodoxe se sont rendus à Minya, afin d’aider à résoudre le problème. De même, une délégation officielle s’est rendue dans la ville et s’est entretenue avec le gouverneur.

Les coptes représentent 10 % des 90 millions d’Egyptiens et se plaignent régulièrement de discrimination. Dans la province de Minya, où les heurts sont particulièrement fréquents, les chrétiens représentent plus de 30 % de la population. La plupart de ces incidents sont réglés au cours de séances de réconciliation coutumières, organisées par les autorités. Mais l’Eglise rejette à présent ce genre de solution et exige une application de la loi. « Nous refusons tout genre de sessions coutumières. Si le gouvernement n’applique pas la loi, cela veut dire qu’il n’y aura pas de sanction. La loi doit être d’abord appliquée avant tout accord de réconciliation. Cet incident est unique, et tout le monde refuse ce qui s’est passé. Nous voulons que les personnes impliquées soient traduites en justice », affirme Anba Makarios.

Les séances de réconciliation coutumières sont fréquemment utilisées en Haute-Egypte. Elles consistent à réunir des dignitaires des parties en conflit et d’essayer de les réconcilier en présence de responsables. Mais cette méthode n’a jamais réglé les problèmes. « Il y a toujours eu des problèmes confessionnels en Haute-Egypte et le gouvernement a toujours privilégié ce genre de solution qui ne règle pas les problèmes », estime Rami Kamel, un activiste copte. Il dénonce la faiblesse de l’Etat face aux incidents confessionnels. « On ne trouve ce genre d’incidents qu’en Egypte. Ce genre d’incidents confessionnels sont alimentés par l’intolérance. Où est le renouvellement du discours religieux dont parle l’Etat ? Celui-ci n’a jamais vu le jour sur le terrain. Et en Haute-Egypte, ce sont toujours les traditions et l’ignorance qui dominent », demande-t-il. Mahmoud Qatari, expert sécuritaire, critique aussi les séances de réconciliation coutumières. « L’Eglise a le droit de demander l’application de la loi. Le recours aux séances de réconciliation coutumières débouche souvent sur des injustices, car elles prennent le parti du plus fort. L’Etat doit avoir un rôle plus efficace », conclut-il.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique