Le conseil des ministres a approuvé le projet de loi sur la presse écrite et les médias audiovisuels. Celui-ci sera révisé par le Conseil d’Etat avant d’être soumis au parlement. Composé de 8 chapitres renfermant 227 articles, le projet vise à adapter le statut de la presse écrite et des médias audiovisuels à la nouvelle Constitution, qui attribue à la presse plus de liberté et d’indépendance. La création des journaux, la propriété et la gestion des entreprises de presse officielles, la presse électronique, la liberté de la presse et les devoirs des journalistes sont autant de points traités dans ce projet de loi. Le projet avait été élaboré par un comité du syndicat des Journalistes, et remanié par un comité gouvernemental.
Le projet prévoit la création de deux organismes indépendants chargés de régir la presse écrite et l’audiovisuel. Le Conseil suprême de la presse (en charge de la presse actuellement) devrait être dissous et remplacé par l’Autorité nationale de la presse, composée de 13 membres. Idem pour l’Union de la radiotélévision qui sera remplacée par l’Autorité nationale des médias formée également de 13 membres.
Enfin, un Conseil suprême des médias, composé de 15 membres, sera chargé de chapeauter les deux instances. En vertu du projet de loi, la mission de ce conseil sera de « garantir la liberté de la presse et des médias audiovisuels », et de « protéger leur indépendance et leur objectivité ». Il établira les critères qui « garantiront le professionnalisme et l’éthique des médias ». Selon l’article 129, le président de la République nomme le président de ce conseil dont les membres seront désignés par plusieurs instances. Ainsi, le parlement nommera 3 membres non députés, le syndicat des Journalistes désignera 3 membres et le syndicat des Médias (qui sera créé en vertu du projet de loi) choisira 3 membres. Le Conseil d’Etat, le Conseil suprême des universités, l’Organisme national des télécommunications, et l’Organisme de lutte contre le monopole nommeront chacun un membre au sein du Conseil suprême des médias.
Les présidents des conseils d’administration des entreprises de presse publiques seront nommés par l’Autorité nationale de la presse conformément à des critères, déterminés par cette même autorité. Quant aux conseils d’administration, ils seront composés de 11 membres conformément à l’article 87, à savoir le PDG, 6 membres élus et 4 membres nommés par l’Autorité nationale de la presse. Quant aux assemblées générales, l’article 83 indique qu’elles seront présidées par les PDG de ces entreprises et chacune regroupera 15 membres élus, dont 5 journalistes, 5 employés de l’administration et 5 ouvriers. 12 autres membres seront nommés par l’Autorité nationale de la presse. Les mandats des conseils d’administration et des assemblées générales sont de 3 ans non renouvelables. Dans la loi actuelle, 60 % de ces conseils étaient nommés et 40 % élus.
Outre la composition des conseils d’administration et des assemblées générales, le projet met l’accent sur l’indépendance de la presse publique qui est, selon les articles 76 et 80, indépendante du pouvoir exécutif et des partis politiques. Ces entreprises bénéficient d’une autonomie financière, et ont le droit de créer des sociétés actionnaires et d’exercer des activités économiques. En ce qui concerne la presse privée et électronique, l’article 42 précise qu’il s’agit de « sociétés actionnaires regroupant des citoyens égyptiens ». Le projet exige un capital de 3 millions de L.E. pour créer un quotidien, un million de L.E. pour un hebdomadaire et 500 000 L.E. pour créer un site électronique. Enfin, c’est le Conseil suprême des médias qui doit octroyer les permis de création des nouveaux journaux et des chaînes de télévision, stations de radio ou sites électroniques.
Le projet interdit dans l’article 3 la censure, la fermeture ou la confiscation des journaux et des médias audiovisuels. Cependant, cette interdiction ne s’applique pas en temps de guerre et de mobilisation générale où une publication peut être confisquée ou fermée sur demande du Parquet général. Cette confiscation peut être contestée devant la justice qui doit émettre un verdict final dans un délai de 24 heures. Par ailleurs, le Conseil suprême des médias est autorisé, en vertu de l’article 4, à interdire la diffusion en Egypte de publications étrangères pour des raisons relatives à la sécurité nationale, l’atteinte aux religions ou l’incitation à la violence. Les médias interdits ont là aussi le droit de contester cette décision devant la justice.
Le projet de loi substitue les peines de prison dans les délits d’opinion par des amendes. Cependant, ces peines ont été maintenues dans trois cas, à savoir l’incitation à la violence et à la discrimination, la diffamation et l’atteinte à la vie privée. La détention provisoire des journalistes pour des raisons relatives à l’exercice de leur métier est interdite en vertu des articles 38, 39 et 40.
Le syndicat satisfait
Le syndicat des Journalistes s’est dit satisfait de la mouture finale du projet qui « répond à une grande partie des aspirations des journalistes ». « La levée de la censure sur la presse et les médias, le libre-échange des informations ainsi que la modification du code pénal qui devra annuler les peines de prison pour délit de publication sont des acquis qui permettent d’établir une relation équilibrée entre la presse et l’Etat », lit-on dans un communiqué du syndicat des Journalistes. Diaa Rachwan, ex-président du syndicat, affiche son soutien à la nouvelle loi. « Les journalistes mais aussi la société sont les grands bénéficiaires de cette loi qui assure la liberté d’expression et le droit de la société à l’information », estime Rachwan.
Sur la même longueur d’onde, Salah Eissa, secrétaire général du Conseil suprême de la presse, qualifie le projet de loi de « positif et conforme à la Constitution ». « L’un des avantages de cette loi, c’est d’avoir confié la gestion administrative et financière des entreprises de presse et des médias officiels à des instances indépendantes. Un pas important sur le chemin de la libération des médias de la tutelle étatique », pense Eissa. Il se félicite aussi de l’annulation des peines de prison dans les délits d’opinion. Toutefois, il rappelle que le code pénal renferme toujours un arsenal d’articles accablants et portant atteinte à la liberté de la presse. « Il existe pas moins de 10 articles dans le code pénal qui permet de condamner un journaliste à de lourdes peines de prison pour délit d’opinion. L’atteinte à la vie privée, à la sécurité nationale, aux fonctionnaires publics sont des accusations souvent adressées aux journalistes. Il faut revoir ces articles et éviter les termes ambigus qui donnent libre cours aux poursuites judiciaires », réclame Eissa.
L’article 7 du projet de loi souligne « l’indépendance des journalistes dans l’exercice de leur fonction » et leur droit de « publier toute information dans le cadre de la loi ». L’article 10 souligne le droit du journaliste à accéder à l’information. Celui-ci a le droit d’assister aux conférences de presse, de faire des interviews avec les citoyens et photographier dans les lieux publics, à l’exception des lieux militaires et stratégiques. Et en vertu de l’article 209, toute personne qui agresse ou porte atteinte au journaliste lors de l’exercice de son métier risque une peine de prison ou une amende de 10 000 à 20 000 L.E. En revanche, la loi oblige le journaliste à respecter la loi et la charte de déontologie en exerçant son métier. L’article 17 accorde une importance plus grande à la charte déontologique et aux sanctions syndicales. Il exige le respect par les journalistes de la charte de déontologie. « Il revient au syndicat des Journalistes d’appliquer des sanctions disciplinaires contre tout journaliste qui enfreindrait la charte de déontologie », souligne le même article.
Des zones d’ombre
Bien que le projet réponde dans l’ensemble aux aspirations des journalistes, des zones d’ombre persistent. Et pour certains, ce projet de loi n’est positif qu’en apparence. Les jeunes journalistes, notamment ceux de la presse électronique, dénoncent les restrictions imposées à cette forme de presse dans le projet de loi. Waël Ali, journaliste travaillant pour un site électronique, conteste par exemple le fait que le projet de loi ne reconnaît pas les journalistes électroniques non membres du syndicat. « Une condition à laquelle ne répondent pas des dizaines, voire des centaines de jeunes journalistes qui travaillent pour des sites électroniques et des journaux privés. Cette catégorie sans cartes de presse représente la majorité des journalistes qui font du terrain », déplore-t-il. En outre, imposer un capital minimum de 500 000 L.E. restreint la possibilité de créer des journaux électroniques.
Béchir Al-Adl, chef du « comité pour l’indépendance de la presse », est lui aussi critique. Il estime que les peines de prison dans les délits d’opinion ont été maintenues de manière camouflée. « Il y a aussi une discrimination flagrante entre journalistes des entreprises de presse officielles qui sont membres du syndicat des Journalistes et ceux des entreprises privées et partisanes dont beaucoup ne sont pas syndiqués », affirme-t-il. Ce projet est loin de concrétiser l’indépendance et la liberté garanties par la Constitution. La loi rend difficile la création des journaux et des sites électroniques. Mahmoud Khalil, expert médiatique, critique lui aussi le projet qui ne garantit pas, selon lui, l’indépendance totale des entreprises de presse et des médias officiels. « La nomination du président du Conseil suprême des médias par l’Etat qui, à son tour, choisit les PGD des entreprises de presse laisse craindre une volonté du gouvernement de garder son hégémonie sur les médias », soupçonne Khalil. En ce qui concerne le droit à l’accès à l’information, Khalil trouve que la loi ne précise pas comment ce droit est garanti. « Avec ce projet de loi, un pas est certes franchi mais il y a encore des choses à faire pour parvenir à l’indépendance totale de la presse », conclut-il.
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