Tiran et Sanafir, les deux îles situées à l’extrémité du golfe de Aqaba entre le Sinaï et l’Arabie saoudite ne sont plus égyptiennes, mais saoudiennes. C’est ce qu’a déclaré le cabinet ministériel le samedi 9 avril. Selon un communiqué du gouvernement, cette décision est le résultat d’un accord sur la délimitation des frontières maritimes, signé cette semaine entre l’Egypte et l’Arabie saoudite durant la visite du roi Salman, après six ans de négociations. Elle serait également basée sur le décret présidentiel numéro 27 datant de 1990 qui établit les bases de la délimitation de la zone maritime et de la zone économique et dans lequel les deux îles figurent hors des frontières maritimes égyptiennes. Le communiqué affirme que Tiran et Sanafir sont des îles saoudiennes, mais qui étaient sous administration égyptienne depuis 1950. Le roi Abdel-Aziz avait alors demandé, à l’époque, à l’Egypte, de protéger les îles après la première guerre israélo-arabe de 1948. « Il y a une grande différence entre exercer une souveraineté et exercer un rôle administratif. Si ces îles sont saoudiennes et que l’Egypte avait juste un rôle administratif, il n’y a pas de renonciation à la souveraineté de la part de l’Egypte, mais un retour des îles à leurs propriétaires », explique Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. « Ces îles sont stratégiques. D’ailleurs, en 1967, lorsque l’Egypte avait fermé le détroit de Tiran, seule issue pour les navires israéliens, Israël avait utilisé cette fermeture comme prétexte pour déclencher la guerre ». Le problème, selon lui, est que le golfe de Aqaba est très restreint. « Les deux pays ne peuvent pas avoir les 12 miles marins prévus dans le droit international. les délimitations sont donc plus compliquées », poursuit-il.
Egyptiennes ou saoudiennes ?
Mais ces arguments ne font pas l’unanimité. La déclaration du gouvernement a provoqué un véritable tollé et engendré un vif débat sur les réseaux sociaux et les médias. Car pour certains, ces îles sont bel et bien égyptiennes et les céder serait, selon eux, renoncer à une partie de la souveraineté égyptienne. Certains sont même allés jusqu’à accuser le gouvernement de les avoir vendues. Selon eux, la convention de Londres de 1840 considère les îles comme égyptiennes. De même, la délimitation des frontières signée par la Grande-Bretagne et l’Empire ottoman place les îles à l’intérieur des frontières maritimes égyptiennes. Selon ce point de vue, le fait que l’Egypte ait accepté de protéger les îles en 1950, n’est ni une preuve de sa renonciation à la souveraineté envers les îles, ni une reconnaissance des revendications saoudiennes. Et depuis 1950, l’Egypte n’a pas cessé d’exercer sa souveraineté de facto. Selon Mohamad Farahat, professeur de droit constitutionnel à l’université de Zagazig, cette question relève de la souveraineté et donc « il n’appartient ni au gouvernement ni au parlement de prendre une telle décision. Selon l’article 151 de la Constitution, tout ce qui concerne la souveraineté devrait être soumis à un référendum, et s’il est approuvé, il devra être présenté au parlement. Mais il faut d’abord un référendum », estime Farahat. Mais là encore, les opinions divergent sur le statut des îles qui était confus avant 1950. Selon Assem Al-Dessouky, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Hélouan, Tiran et Sanafir étaient rattachées au Royaume du Hijaz, qui a ensuite fait partie de l’Arabie saoudite lors de sa création en 1932, avant de les céder a l’Egypte en 1950. « Il y a aussi des cartes qui datent de 1900, qui placent les îles hors des frontières maritimes égyptiennes », explique Hicham Mourad. Les îles ont été occupées par Israël de 1967 à 1982 et font partie de la zone C, selon les accords de paix égypto-israéliens. « L’Arabie saoudite a fait de nombreuses demandes pour essayer de récupérer les îles », ajoute Mourad. D’ailleurs, le gouvernement a dévoilé, il y a quelques jours, un document envoyé en 1990 par Esmat Abdel-Méguid, alors ministre des Affaires étrangères et son homologue saoudien Saoud Al-Faïçal au sujet des îles. Mais la question qui se pose est : pourquoi l’Egypte a attendu tant d’années pour faire cette reconnaissance ? « Il y a un projet de construction d’un pont entre l’Arabie saoudite et l’Egypte qui exige que les frontières maritimes soient délimitées. De plus, le contexte actuel et le rapprochement entre les deux pays ont permis une telle démarche », répond Mourad.
Egyptiennes ou saoudiennes ? Quelle que soit la souveraineté, c’est le manque de transparence dans cette affaire qui est remis en cause. C’est ce qu’affirme un avocat égyptien de droit international qui a requis l’anonymat. Selon lui, ce débat est « absurde si on n’a pas toutes les informations ». A son avis, le gouvernement doit publier « un livre blanc », avec tous les documents historiques et officiels sur cette question. « Le pourquoi et le comment doivent être expliqués au peuple égyptien. C’est le manque de transparence dans cette affaire qui a soulevé la polémique. D’ailleurs, nous n’avons pas vu l’accord et tant qu’il n’a pas été dévoilé, ce débat n’a pas lieu d’être », conclut-il.
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