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Moubarak et les Panama Papers

Chaïmaa Abdel-Hamid, Lundi, 11 avril 2016

L'affaire des Panama Papers n’épargne pas l’Egypte. Le nom de Alaa Moubarak, fils du président déchu Hosni Moubarak, figure sur la liste de la première vague de fuites.

Moubarak et les Panama Papers
Alaa Moubarak détient une société aux Îles vierges britanniques, nommée PanWorld Investments Inc.

Les 11,5 millions de docu­ments financiers provenant du cabinet d’avocat pana­méen Mossack Fonseca, divulgués le 3 avril dernier, n’ont pas fini de faire du bruit. Si la source à l’origine de la fuite de ces documents n’a pas encore été clairement identi­fiée, ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’importante quantité de documents a été confiée gracieusement au quoti­dien allemand Süddeutsche Zeitung, puis partagée avec les médias du monde entier par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Il s’agit des journalistes de 108 groupes de presse de 76 pays qui se sont collés à la rude tâche d’éplucher, de décryp­ter, de vérifier et d’analyser les docu­ments, démontrant les transactions offshore d’actifs cachées appartenant à plus de 140 personnalités politiques, dont douze actuels ou anciens chefs d’Etat, mais aussi à des banques connues internationalement, des mil­liardaires, de grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales. Selon ces documents, toutes ces per­sonnes auraient fait appel au cabinet Mossack Fonseca, situé au Panama et spécialisé dans la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Si l’utilisation de comptes offshore n’a rien d’illégal en soi, les documents détailleraient des montages laissant soupçonner de la fraude fiscale ou du recel de détournement de fonds publics.

L’Egypte n’a pas été épargnée par cette affaire. Le nom de Alaa Moubarak, fils du président déchu Hosni Moubarak, figure sur la liste de la pre­mière vague de fuites. Avec son frère Gamal, ils ont été condamnés à trois ans de prison en 2015 pour avoir gas­pillé des millions de dollars d’argent public pour financer la rénovation de plusieurs palais. Ils ont été libérés en octobre 2015 (voir encadré).

Selon les Panama Papers, Alaa détient une société aux Îles vierges britanniques, nommée PanWorld Investments Inc. gérée par le Crédit Suisse. En 2011, lorsque Hosni Moubarak a quitté le pouvoir, les auto­rités des Îles vierges britanniques ont demandé à Mossack Fonesca de geler les comptes de la société en question, pour se conformer à la loi européenne. En 2013, Mossack Fonesca a dû payer une amende de 37 500 dollars pour ne pas avoir bien vérifié l’identité de Alaa Moubarak, un client considéré « à haut risque », comme le mentionnent les documents. Davantage de détails sur le compte en Suisse liés à la société pour­raient filtrer, mais ce que l’on sait actuellement c’est que le gouvernement suisse a également gelé un compte lié à l’entreprise de Alaa.

En Egypte, il n’y a eu jusqu’à présent aucune réaction officielle. C’est ce qu’affirme l’expert juridique Yasser Abdel-Gawad, directeur du Bureau juridique arabe, qui souligne : « Même si ces documents ne présentent pas de preuves concrètes, il s’agit dans le fond de nouveaux éléments très importants qui peuvent ouvrir de nouvelles investi­gations sur la corruption contre la famille Moubarak. On aurait donc espéré que de nouvelles investigations seraient lancées, mais personne n’a bougé », explique Abdel-Gawad, qui ajoute : « On a l’impression qu’il n’existe pas de réelle volonté politique pour juger les Moubarak dans les affaires de corruption ou même récupé­rer l’argent détourné. La preuve est qu’ils ont seulement été condamnés dans le procès des palais présiden­tiels ».

Un avis que partage le journaliste égyptien Hicham Allam, membre de l’ICIJ, et qui a participé aux investiga­tions et à la préparation des Panama Papers, qui souligne que « les comités chargés de restituer les biens des Moubarak ont fait preuve d’incompé­tence, car ils ont négligé beaucoup de preuves très claires comme notamment cette affaire qui a été révélée », explique le journaliste. Il affirme qu’avec le changement de régimes suc­cessifs en Egypte, depuis la chute de Moubarak, quatre comités différents ont été chargés de cette affaire, ce qui donne au négociateur européen un sen­timent d’instabilité.

Allam souligne aussi que ces révéla­tions sur Alaa Moubarak touchent un grand nombre de personnalités poli­tiques un peu partout dans le monde, mais dans le cas de l’Egypte, elles reflètent à quel point la corruption était bien ancrée et enracinée. « Selon les documents que nous avons découverts, Alaa a eu recours à l’offshore en 1993 et Gamal en 1996. C’est-à-dire qu’ils ont commencé très tôt à blanchir de l’argent, seulement douze ans après l’arrivée de Moubarak au pouvoir », affirme Allam.

« Beaucoup de noms seront révélés »

Outre l’implication de la famille Moubarak, il existe encore, selon le journaliste de l’ICIJ, 21 grandes per­sonnalités égyptiennes impliquées dans cette affaire et qui seront prochaine­ment révélées. Pour Ossama Diab, spé­cialiste des questions de corruption à l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), « il faut voir l’af­faire plus profondément, car les fils de Moubarak ne sont pas les seuls impli­qués dans cette affaire. Beaucoup de noms seront encore révélés ». Et d’ex­pliquer : « Ces documents reflètent l’orientation politique et économique de l’Egypte depuis l’ère de Moubarak, et précisément depuis le milieu des années 1990, date de la création de l’entreprise PanWorld Investments Inc., dirigée par Alaa Moubarak. Cette date coïncide aussi avec la montée en puissance de Gamal Moubarak. Les fils de Moubarak, devenus très rapidement hommes d’affaires, ainsi qu’un grand nombre d’hommes proches du pouvoir appliquaient un programme écono­mique dont les principaux axes étaient basés sur de la privatisation et la libé­ralisation du marché ».

Pendant cette période, l’Egypte était marquée par les conflits d’intérêts et de mariage entre l’argent et le pouvoir. Ces hommes proches de l’Etat n’agis­saient pas en tant qu’hommes poli­tiques, mais en tant qu’hommes d’af­faires. D’ailleurs, ajoute Diab, « Dans l’ère de Moubarak, la grande majorité des ministres étaient de grands inves­tisseurs dans le domaine où ils exer­çaient leurs fonctions. Ainsi, le ministre de la Santé était l’un des plus grands investisseurs dans le domaine médical, le ministre du Transport, Mohamad Mansour, avait la plus grande entre­prise de camions, le ministre du Tourisme, Zoheir Garana, possédait une énorme société de tourisme ».

Aujourd’hui, et surtout avec la situa­tion économique délicate que traverse l’Egypte, il s’agit d’éviter que ces fraudes fiscales ou le recel de détourne­ment de fonds publics ne se répandent. Comme l’explique Diab, l’Egypte a, en effet, promulgué une nouvelle loi après la révolution du 25 janvier 2011 inter­disant les conflits d’intérêt. « Cette loi, effectivement appliquée, présente un grand intérêt dans le cadre de la lutte contre la corruption. Mais celle-ci a besoin d’être élargie, car elle sanc­tionne uniquement le président de la République, le premier ministre et les ministres, en cas de conflits d’intérêt, alors qu’elle devrait inclure tous les employés gouvernementaux », dit-il.

« Cette loi n’est pas suffisante, il faut en promulguer d’autres qui puissent garantir une réelle lutte contre la cor­ruption. Et le plus important n’est pas de promulguer des lois, mais surtout de les appliquer », conclut Abdel-Gawad.

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