Le sort de milliers de personnes n'aurait pas été pris en compte.
(Photos : Ola Hamdi)
Les habitants de la zone industrielle de Chaq Al-Soaban, située dans la banlieue de Tora, à Hélouan, près du Caire, vivent depuis une semaine dans l’angoisse. Le gouvernement a décidé de démolir les ateliers de granit et de marbre, qui constituent la principale activité économique du quartier, et ce, à cause du manque de sécurité et des bâtiments construits illégalement. Une décision d’urgence qui fait suite à l’effondrement de 6 ateliers la semaine dernière, bâtis en haut d’une colline rocheuse, un endroit qui est donc à haut risque. Cet effondrement a fait trois morts et quatre blessés. Le gouverneur du Caire, Galal Saïd, a affirmé que tous les ateliers construits et non conformes aux normes de la sécurité industrielle seront démolis pour préserver la vie des habitants. Les bulldozers du gouvernorat sont déjà sur le terrain pour exécuter la décision. Mohamad Sanaeddine, directeur du bureau technique du gouverneur du Caire, explique que ces mesures prises par le gouvernorat visent à faire face à l’extension des zones sauvages et à la protection des habitants. «
C’est le fait de construire d’une façon anarchique, sans le moindre respect des normes architecturales, qui a engendré cette catastrophe. Il est temps de soumettre les zones sauvages au contrôle du gouvernement », estime-t-il.
L’effondrement des ateliers n’est qu’un exemple qui se produit à cause des constructions illégales. Pour certains, ces dernières seraient favorisées par l’absence de contrôle du gouvernement. « J’ai perdu mon frère qui avait 28 ans. Il a été victime de la négligence du gouvernement qui ne s’intéresse pas à ces ouvriers qui, pourtant, risquent leur vie dans des métiers dangereux avec pour seul but de gagner leur vie », s’indigne Ahmad Sami Magdi, le frère d’une des victimes de l’effondrement. Il explique que les ouvriers du quartier n’ont ni assurance médicale, ni assurance sociale. « Sans compter le fait qu’on n’a reçu aucune indemnisation pour la mort de mon frère », se plaint-il.
Sameh, l’un des ouvriers qui étaient sur les lieux lors de cet accident, estime que les 6 ateliers en question se seraient écroulés à cause de l’humidité du sol. « L’effondrement a eu lieu durant l’heure du déjeuner, ce qui a limité le nombre des victimes », ajoute Sameh. Pour Amr, un ouvrier de 20 ans qui se trouvait également sur le lieu du sinistre, l’accident est dû à l’absence d’eau potable. « Les propriétaires des ateliers sont obligés de stocker l’eau qu’ils achètent dans des réservoirs souterrains d’une profondeur d’environ 3 mètres. Et c’est ce qui augmente l’humidité souterraine », explique-t-il.
Difficile d’y accéder
Dans cette zone, il n'y a ni ambulances ni pompiers.
(Photos : Ola Hamdi)
S’étalant sur une superficie de 40 000 feddans (soit 16 800 ha), cette zone industrielle est donc démunie de la plupart des services de base, en dépit du fait qu’elle abrite 120 usines disposant d’un permis, 2 000 usines qui n’en ont pas, et environ 35 000 ateliers. D’autant plus qu’il est difficile d’y accéder faute de routes pavées, ce qui constitue un véritable problème pour le transport de marbres et de pierres aux ateliers. Des réservoirs d’eau sont également transportés chaque jour pour fournir aux habitants l’eau potable de leurs besoins. Ce qui constitue un autre grand problème. Sans compter le taux élevé de pollution dû aux autres activités industrielles exercées, comme la production de ciment. Une situation qui nuit aux habitants du quartier, mais surtout aux ouvriers des ateliers, parmi lesquels se trouvent des enfants et des personnes âgées, et qui risquent de graves maladies.
Ces ouvriers sont pour la plupart originaires de la Haute-Egypte, notamment d’Assiout. Ils résident dans de petites chambres modestes près des ateliers. Des visages poussiéreux, des yeux ternes et des vêtements abîmés, leur journée commence à 6h, explique Hossam, jeune homme de 17 ans qui touche 70 L.E. par jour. « Le travail peut atteindre 10 heures par jour, et parfois aller même jusqu’à 20 heures », explique-t-il. En dépit des risques de ce métier, il n’existe pas dans ce quartier d’ambulances, de pompiers ou de commissariat de police. Une situation que connaissent la plupart des zones sauvages.
Mohamad Mortada, un propriétaire d’usine de 50 ans, déplore la décision du gouvernorat du Caire de démolir les usines et les ateliers. Car selon lui, le gouvernement aurait dû faire appel à un comité technique pour déterminer si le sol sur lequel se trouvent ces usines est adéquat ou pas. « Les responsables ont entamé la démolition sans prendre en considération ni le sort des milliers d’ouvriers vivant de ce métier, ni les répercussions économiques qui découlent de la fermeture des centaines d’usines et d’ateliers », regrette Mortada. Il avoue que la plupart de ces derniers n’ont pas obtenu de permis de construire, mais pour lui, c’est le gouvernement qui refuserait de légaliser leur statut. « Nous avons appelé à maintes reprises le gouvernorat et la municipalité du quartier de Tora pour obtenir les permis nécessaires, mais en vain », déplore-t-il.
Cet avis est partagé par Hanafi Ibrahim, propriétaire d’usine, qui critique « les conditions intransigeantes » imposées par le gouvernorat. « Le gouvernorat nous a demandé de payer 1 400 L.E. par m2, et les payer sur 4 ans. Cela signifie qu’il faut payer 12 millions de L.E. pour une usine de 800 m2. Une somme excessive qui n’est pas proportionnelle au revenu et à la productivité de ces usines », lance-t-il, avant d’ajouter : « Est-ce logique que le gouvernement accepte de se réconcilier avec des gens qui se sont emparés des terres agricoles pour y construire des maisons en leur vendant le m2 à 200 L.E. et de nous imposer — nous qui contribuons à l’économie — des sommes aussi excessives ? ».
Pour Hossam Fouda, président du Conseil égyptien pour les droits des travailleurs, il ne faut pas que la démolition soit imposée à tous les ateliers. « Il existe des usines construites il y a 27 ans et qui sont conformes aux normes de sécurité industrielle et de construction qui ne doivent pas être démolies. Il vaut mieux oeuvrer à légaliser leur statut et leur fournir des services sanitaires et sécuritaires au lieu de chasser plus de 60 000 ouvriers qui y travaillent », estime-t-il.
Lien court: