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L’article 98 sur la sellette

May Atta, Mardi, 08 mars 2016

Trois adolescents coptes ont été condamnés à des peines de prison pour « outrage à l’islam ». Leur condamnation relance le débat sur l’article 98 du code pénal qui incrimine les atteintes à la religion.

Court

Trois adolescents coptes ont été condamnés par le tribunal correc­tionnel de Minya en Moyenne-Egypte à cinq ans de prison pour « outrage à l’islam » parce qu’ils ont parodié dans une vidéo une scène de prière. Un quatrième, âgé de 15 ans, a été placé dans un centre de détention pour mineurs, pour une durée indéterminée. Leur avocat, Naguib Ghobrial, assure qu’ils voulaient en réalité parodier une décapitation telle qu’elle est pratiquée par le groupe Etat isla­mique. Les quatre adolescents n’ont pas encore été arrêtés, selon leur avocat, qui entend faire appel du jugement. La vidéo avait été filmée en janvier 2015 par un de leurs professeurs, qui a lui-même été condamné à trois ans de prison dans un procès séparé. On peut y voir l’un des adolescents s’age­nouiller et mimer une prière musul­mane, et les autres gesticuler, hilares, autour de lui. L’un d’eux fait ensuite mine, avec le pouce, de décapiter celui qui priait.

La plainte a été déposée par un officier de Béni-Mazar, un village du gouvernorat de Minya, après avoir vu la vidéo. Il a présenté une plainte basée sur l’article 98 du code pénal. Selon l’article en ques­tion, « toute personne, qui dénigre l’une des religions monothéistes (islam, christianisme et judaïsme) ou l’unité nationale, encourt entre 6 mois et 5 années de prison ». Pour Ghobrial, ce genre de procès donne une mauvaise image de l’Egypte au reste du monde : « Toute la presse internationale a parlé de ce procès et dénoncé l’ar­ticle 98. Comment des enfants qui ont à peine 15 ans peuvent être envoyés en prison ? ».

Un article controversé

L’article 98 a été au centre d’un vif débat ces derniers mois, notam­ment après la condamnation à la prison du présentateur de télévi­sion, Islam Al-Béheiri, en décembre dernier pour « atteinte à la reli­gion ». Al-Béheiri s’en était pris à certains écrits des 4 imams de l’is­lam, et mis en doute certains hadiths du prophète Mohamad au cours de son programme de télévi­sion sur la chaîne Al-Qahira Wal-Nas. La polémique a encore enflé après que l’écrivaine Fatima Naoot eut été condamnée à trois ans de prison début février pour une phrase publiée sur Facebook, criti­quant l’abattage des moutons lors du Grand Baïram. La députée copte Mona Mina a présenté au parle­ment un projet de loi pour annuler cet article.

Les dernières années ont témoi­gné de plusieurs procès pour atteinte à la religion. Selon un rap­port de l’Initiative égyptienne pour les droits civiques, les tribunaux auraient condamné 81 citoyens pour insulte à la religion entre 2011 et 2015. Mohamad Nour Farahat, professeur de droit à l’Université de Zagazig, commente : « Cet article du code pénal n’a pas sa place dans notre société car il per­met de punir les gens pour de faux crimes ».

Pourtant, à l’Université d’Al-Azhar, un autre point de vue. Abdel-Moeti Bayoumi, professeur de charia, considère cet article comme très important pour l’équi­libre communautaire, car il protège toutes les religions et non pas seu­lement l’islam. Il rappelle que cet article a « initialement été écrit pour protéger les minorités ».

Un jugement politisé

Rami Kamel, activiste copte, dénonce pourtant le fait que cet article ne soit utilisé qu’à l’encontre des coptes. « Il n’existe pas une seule condamnation pour insulte contre les coptes ou la religion chrétienne malgré le fait que des personnalités salafistes telles que Yasser Borhami, ou islamistes, comme Sélim Al-Awa et Mohamad Emara insultent régulièrement les chrétiens ». Et d’ajouter : « A tra­vers ce genre de procès, l’Etat essaie d’apaiser les musulmans parce que le régime a peur de l’in­fluence des islamistes ». Ce genre de jugement revêt aussi un aspect politique. En effet, l’Etat craint que de tels agissements ne soient exploi­tés par les islamistes pour semer le trouble, surtout en Moyenne et en Haute-Egypte où la religion est une question ultrasensible. Ces verdicts permettent alors à l’Etat d’apaiser les tensions. Et il arrive très souvent qu’ils soient annulés en appel.

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