Le ministre de la Justice a déclaré que le projet de loi unifiée sur la presse et les médias est entaché d'inconstitutionnalité.
Dans une interview accordée il y a quelques jours à la chaîne privée
Sada Al-Balad, le ministre de la Justice, Ahmad Al-Zend, a déclaré que le projet de loi unifiée sur la presse et les médias officiels élaboré par le syndicat des Journalistes est «
entaché d’inconstitutionnalité ». Il a annoncé que le gouvernement présenterait au Parlement sa version de la loi. «
Je ne suis pas contre les journalistes et la liberté d’expression, mais il faut avoir des lois constitutionnelles, ce qui n’est pas le cas du projet de loi en question », a indiqué Al-Zend. Des déclarations qui ravivent le débat sur la loi en question.
En réaction aux propos du ministre, des journalistes et représentants des médias audiovisuels se sont réunis jeudi 25 janvier au syndicat des Journalistes pour étudier les moyens de défendre leur projet de loi. Le président du syndicat des Journalistes, le président du Conseil suprême de la presse et les membres du comité national chargé d’élaborer le projet de loi sur la presse et les médias étaient présents à la réunion ainsi que des présentateurs, des journalistes et des juristes.
Lors de cette réunion, ils ont exprimé leur inquiétude de voir s’immiscer le gouvernement dans la loi. « Les journalistes ne cherchent pas à entrer en conflit avec le gouvernement, mais n’acceptent pas non plus de se voir refuser ce projet de loi. Pendant un an et demi, il a été élaboré minutieusement avec l’expertise d’hommes du métier et de juristes. Aujourd’hui, on se demande pourquoi le gouvernement veut changer la loi », prévient Yéhia Qallache, président du syndicat des Journalistes.
Il a été décidé qu’une délégation de journalistes présenterait le projet de loi sur la presse et les médias au premier ministre, au ministre de la Justice et au ministre des Affaires parlementaires. Cette délégation réclamera au gouvernement de finaliser et de soumettre la mouture finale du projet de loi au parlement le plus vite possible. En outre, la délégation tiendra des réunions avec les députés pour plaider en faveur dudit projet et expliquer qu’il réalise l’équilibre entre les droits de l’Etat et les droits de la société à l’information.
Un conflit latent
Le projet de loi sur la presse et les médias audiovisuels met fin à la mainmise de l’Etat sur les maisons de presse prévue par la Constitution. En vertu de la loi, de nouvelles instances pour la gestion et la supervision des médias doivent voir le jour. Le ministère de l’Information et le Conseil consultatif, les deux instances gouvernementales qui géraient les médias et la presse officielle, ont disparu. La loi sur la presse et les médias a été rédigée par un comité de 50 membres, formé par le syndicat des Journalistes. Elle a ensuite été soumise à un débat au sein du syndicat des Journalistes. Parallèlement, un autre comité avait été formé par l’ancien premier ministre, Ibrahim Mahlab, pour rédiger un loi sur la presse et les médias. Cette situation avait donné lieu à une passe d’arme entre le gouvernement et le syndicat des Journalistes qui se considérait être la seule habilité à rédiger les lois relatives au métier. Pour apaiser la colère des journalistes, le gouvernement avait suspendu les travaux du comité formé sous ses auspices, sans annoncer sa dissolution pour autant. De son côté, le syndicat des Journalistes avait accepté un rôle consultatif de ce comité. Pourtant, au mois d’octobre 2015, ce comité gouvernemental a annoncé avoir achevé son projet de loi et l’a présenté au ministère de la Justice.
A la recherche d’un consensus
Selon Salah Eissa, secrétaire général du Conseil suprême de la presse, seuls les journalistes sont habilités à élaborer les lois ayant trait à la presse. « La manoeuvre en cours du gouvernement risquerait de déboucher sur une crise si le dialogue n’est pas entamé rapidement », prévient Eissa. Il s’étonne des déclarations du ministre de la Justice sur l’inconstitutionnalité du projet élaboré par le syndicat. « Notre projet de loi composé de 7 chapitres et regroupant 174 articles concerne le statut de la presse et des médias officiels, la création des instances chargées de leur gestion ainsi que l’abolition des peines restrictives de la liberté d’expression. Il garantit l’indépendance des médias et la liberté d’expression, principes confirmés par la nouvelle Constitution. Mais depuis sa présentation au mois d’août dernier au Conseil des ministres, le gouvernement tergiverse », insiste Eissa.
Le député et écrivain Youssef Al-Qaïd ne cache pas ses craintes à l’égard de la liberté de la presse. « Les journalistes ne s’opposent pas à la réglementation du métier, mais ils craignent des restrictions sur la liberté de la presse et des médias. Nous avons été très surpris d’apprendre qu’un autre projet que celui du syndicat des Journalistes avait été élaboré. C’est le projet élaboré par le syndicat qui jouit du consensus au sein des journalistes. Il y a parmi les députés 28 élus travaillant dans les médias qui soutiennent notre projet », explique Al-Qaïd.
Inquiétudes partagées par Khaled Al-Balchi, membre du conseil du syndicat, qui rappelle que l’article 77 de la Constitution donne le droit au syndicat de participer aux projets de lois réglementant la profession. « Il est fort paradoxal que le gouvernement rédige des lois concernant la presse écrite et audiovisuelle visant à garantir leur indépendance. Cette affaire alimente des soupçons sur la volonté du gouvernement de conserver implicitement sa mainmise sur les médias », affirme Khaled Al-Balchi, membre du conseil du syndicat. Selon lui, des informations circulent selon lesquelles un projet de loi élaboré en catimini par le gouvernement prévoit que le choix d’au moins la moitié des membres des conseils d’administration des maisons de la presse sera fait par le président de la République. Mais cette appréhension est injustifiée selon l’écrivain Makram Mohamad Ahmad, membre du comité gouvernemental, qui appelle les journalistes à ouvrir un dialogue avec le gouvernement.
« C’est le fond du projet qui compte et non pas l’instance qui l’élabore. Le projet de loi qu’a élaboré le comité Mahlab satisfait la plupart des revendications des journalistes, dont l’annulation des peines de prison dans les délits de publication, l’indépendance des médias et de la presse et la nomination des rédacteurs en chef par les conseils d’administration. Il faudrait former un comité mixte regroupant toutes les parties, y compris le gouvernement, et chercher à rapprocher les points de vue et parvenir à une formule consensuelle », affirme Makram. Pour sa part, Khaled Miri, membre du conseil du syndicat des Journalistes, révèle que Ali Abdel-Al, président du parlement, a rassuré le syndicat que la loi sur la presse et les médias ne sera pas promulguée sans consultation avec le syndicat. Affaire à suivre.
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