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Egypte-Etats-Unis : De l’idéologie à la realpolitik

Omar Kamil , Mardi, 22 janvier 2013

Une vidéo où le président Morsi insulte les juifs a suscité de fortes réactions outre-Atlantiques. Au point de s’interroger sur un éventuel impact dans les relations diplomatiques
avec Washington. Analyse.

Egypte-Etats-Unis
Le président Morsi parle de propos « sortis de leur contexte ».

Le 3 janvier dernier, le Middle East Media Research Institute a diffusé des images montrant Mohamad Morsi qualifier les juifs de « descendants des singes et des porcs ». Dans ce monologue enregistré en 2010, soit 2 ans avant son élection, Morsi appelle les musulmans à « allaiter leurs enfants et leurs petits-enfants avec la haine de ces sanguinaires et pyromanes ». Enfin, un dernier passage montre l’estime qu’avait Morsi de Barack Obama, désignant le président américain comme « un menteur qui ne respecte pas ses engagements ».

A mesure que les médias diffusaient cette vidéo, la diplomatie américaine critiquait la tenue de tels propos. « Le langage utilisé est profondément injurieux (...) Nous pensons que ces commentaires doivent être retirés et qu’ils doivent l’être de manière ferme », a déclaré la porte-parole du département d’Etat, Victoria Nuland, n’hésitant pas à qualifier le monologue de Mohamad Morsi d’antisémite et d’anti-israélien. « Nous voulons voir le président Morsi dire absolument clairement à son propre peuple et à la communauté internationale qu’il respecte les personnes de toutes les confessions et que ce type de rhétorique n’est ni acceptable, ni productif de la part d’un président dans une Egypte démocratique », a expliqué Mme Nuland, précisant que Washington avait fait part au Caire de sa « préoccupation ». En retour, le président égyptien, Mohamad Morsi, a estimé que ses déclarations contre les juifs et les sionistes datant d’il y a 3 ans avaient été tirées de leur contexte. De fait, il a ignoré les demandes d’excuses de Washington.

La relation égypto-américaine en danger ?

Aux Etats-Unis, la vidéo a forcé les médias à se poser une question : les relations égypto-américaines vontelles pâtir de ces déclarations ? Vu d’Egypte, et loin de toute polémique, force est de constater que la relation entre les deux nations semble solide car de nature purement stratégique. En effet, les Américains ont intérêt à garder de bonnes relations avec le régime islamiste des Frères pour au moins deux raisons. La première est reconnue depuis toujours : les Etats-Unis comptent sur l’Egypte pour garantir la paix entre les pays du Moyen-Orient et Israël.

Deux semaines après l’élection du président Morsi, ce dernier a accueilli la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, laquelle a quitté Le Caire pour Tel-Aviv avec un message clair à l’intention des dirigeants israéliens : le nouveau régime égyptien s’engage à respecter les accords de paix de Camp David et à abandonner leur appel hostile à ces accords et à la présence d’un ambassadeur israélien au Caire.

La deuxième raison est que les Américains ont besoin des Frères pour lutter contre le terrorisme. Tout le monde à Washington réalise que les Frères musulmans constituent la première organisation politique du monde arabo-islamique, ils sont un peu le « grand frère de la famille », écouté par tous les autres.

Parler avec eux c’est préserver des ponts de dialogue indirect avec des factions plus radicalistes comme le Djihad islmaique ou certains groupuscules se revendiquant d’Al-Qaëda. En des termes plus simples, Washington est convaincu que les Frères musulmans sont le seul groupe qui leur permettra de réorganiser, selon sa propre vision, la maison arabo-islamiste.

Pour l’instant, la présidence de Mohamad Morsi semble leur donner raison. La guerre de Gaza est venue confirmer le fait que le nouveau président égyptien est un partenaire fiable : grâce au réseau de sa confrérie, il a réussi pour la première fois à obtenir du Hamas un engagement écrit de cesser à lancer des missiles sur Israël depuis Gaza.

Un intérêt stratégique bilatéral

Si les Frères musulmans s’engagent dans une relation de confiance avec les Etats-Unis, c’est notamment que la confrérie défend ses propres intérêts. Le temps où Mohamad Morsi tenait des propos antisémites est loin. Naguère, pour des raisons idéologiques ou des tactiques politiques, les Frères affichaient leur hostilité à tout ce qui était israélien, juif ou occidental. Mais ce qui importe aujourd’hui, ce sont les nouvelles politiques des Frères qui détiennent le pouvoir. De jour en jour, ces derniers prouvent combien ils sont capables de mettre en pratique le principe de la realpolitik, c’est-à-dire d’adapter leur idéologie première à la réalité diplomatique.

Ce principe s’est notamment manifesté dans l’engagement de sauvegarder les accords de paix, de préserver les liens avec les Etats-Unis et de respecter les engagements internationaux de l’Egypte. Les Frères ont réalisé que les outils politiques qu’ils utilisaient depuis les rangs de l’opposition, comme les déclarations-chocs, ne leur seront plus utiles maintenant qu’ils sont au pouvoir.

D’autant que la confrérie n’est pas aussi hostile aux Etats-Unis qu’on peut le penser. En effet, beaucoup croient que le libéralisme économique à l’occidentale est incompatible avec l’image que l’on garde des Frères : des gens qui soutiennent leurs concitoyens les plus pauvres. Mais il n’en est rien. Leur oppression durant l’ère nassérienne a convaincu les Frères de l’importance d’exceller dans les domaines financiers et économiques parce que finalement ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes dans la réalisation de leurs projets sociaux. Munis du pouvoir politique, les promoteurs de cette stratégie n’ont pas tardé à peser, en tant qu’acteurs puissants, sur la politique étrangère de l’Egypte, notamment dans ses relations avec les Etats-Unis.

Ce constat en poche, on se rend compte qu’une simple vidéo n’est pas en mesure d’inquiéter les relations diplomatiques égypto-américaines. Comme l’a dit Victoria Nuland, Morsi est certes jugé sur ce qu’il « dit », mais aussi sur ce qu’il « fait ». Et pour l’instant, les actes ne suivent pas la parole.

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