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Des feux d’artifices aux ablutions

Najet Belhatem, Jeudi, 07 janvier 2016

Les Egyptiens peuvent vivre avec 2 L.E. par jour et sont les plus heureux du monde, le chômage n’existe pas et les hôpitaux sont d’un niveau international. C’est le crû des déclarations farfelues des responsables l’année dernière. Les Egyptiens seraient aussi de sacrés fêtards selon les chiffres. Mais l’austérité pointe à l’horizon.

Le journal Al-Bedaya a publié sur son site en ligne un long article en début de cette nouvelle année sur les déclarations les plus farfelues des hauts responsables et membres du gouvernement. Un bouquet assez rocambolesque que les citoyens égyptiens ont dû subir durant l’an­née précédente. Nous avons, dans la foulée, la phrase culte du ministre de la Planification et de la Réforme administrative, Achraf Al-Arabi : « Les statistiques relatives au bon­heur ont révélé que le peuple égyp­tien est l’un des 10 peuples les plus heureux au monde ». Il avait ajouté, selon Al-Bedaya, que « les Egyptiens ont rendez-vous avec un boom économique suite à la confé­rence économique de Charm Al-Cheikh ». Or, ces déclarations du ministre sont, selon le journal, « en totale contradiction avec les rap­ports internationaux et même égyp­tiens ».

Le ministre de la Jeunesse, Khaled Abdel-Aziz, lui, a fait le buzz avec la phrase : « Il n’y a pas de chô­mage, et le salaire d’un enfant dans une épicerie est de 3 000 L.E. (plus de 300 euros) ». Lors d’un meeting sur l’emploi dans la ville de Mansoura dans le gouvernorat de Daqahliya en mai 2015, il a décla­ré : « Le chiffre de 13 % de chô­mage est faux ».

Le ministre de l’Education, Mahmoud Aboul-Nasr, a déclaré en février dernier : « Nous avons en Egypte des enseignants parmi les meilleurs au monde, et ils peuvent enseigner aux Etats-Unis » !

Le ministre de l’Enseignement supérieur, Sayed Abdel-Khaleq, considère, quant à lui, que « l’Egypte possède des hôpitaux meilleurs que ceux de la Grande-Bretagne ». Le gouverneur du Caire a eu pour sa part l’idée ingénieuse de déclarer, lors d’un entretien à la télévision, que « l’Etat a utilisé les vendeurs ambulants pour casser les sit-in et empêcher les manifesta­tions ».

Un citoyen tout-terrain

Durant l’année précédente, les Egyptiens ont non seulement appris qu’ils étaient, sans le savoir, les plus heureux du monde, mais également qu’ils pouvaient vivre avec seule­ment 2 L.E. par jour. « Le 15 novembre 2015, le ministre de la Justice a déclaré lors d’un pro­gramme à la télévision que le citoyen égyptien est ingénieux et peut supporter des conditions de vie difficiles. S’il a de l’argent, il vit avec 2 000 L.E. par jour. S’il n’en a pas, il se débrouille avec 2 L.E. par jour, et cela ne le touche en rien ».

Le gouverneur de Daqahliya, Hossameddine Imam, s’est attaqué, lors d’un autre programme à la télé­vision, à un citoyen qui se plaignait de coupures d’eau qui duraient plus de 20 jours dans son village en répondant que la plainte est fausse, et que des responsables sont partis sur place, et que ce n’est pas les citoyens qui doivent lui dire com­ment faire son travail. Et quand le présentateur lui a rétorqué qu’il était au service de ces derniers, le gouverneur a rétorqué que « ce ne sont pas les citoyens qui le payent ». Ces mêmes citoyens heureux, ingé­nieux, qui ne souffrent ni du chô­mage, ni du mauvais état des hôpi­taux, ni de la mafia des cours parti­culiers, sont aussi de sacrés fêtards. Selon le journal Al-Tahrir : « Les Egyptiens ont dépensé, selon les chiffres de la Banque centrale durant 8 mois de 2015, plus de 5 milliards de L.E. en feux d’artifices, 2 milliards en tabac à chicha, 2,5 milliards de L.E. en prêt-à-porter, et 119 millions de L.E. en alcool ». C’est le côté plaisir. Le versant aus­térité qui s’annonce apparemment pour bientôt affiche d’autres chiffres. « Selon la Banque cen­trale, la dette intérieure atteint les 279 milliards de L.E. durant l’an­née budgétaire 2014-2015. Alors que le déficit de la balance commer­ciale a atteint 8 % durant l’année budgétaire en cours. Sans oublier que les réserves en devises ont baissé de 50 % depuis 2011. Toujours selon la Banque centrale, les importations de produits non stratégiques ont atteint 4 milliards de dollars durant les 8 premiers mois de 2015 ».

Caviar et recyclage des eaux des mosquées

Même son de cloche du côté du quotidien Al-Wafd qui s’appuie sur les chiffres d’un rapport émanant de l’Union des industries : « Le rapport a demandé de restreindre l’importa­tion des produits non nécessaires dont la facture s’élève à 8 milliards de dollars par an et qui ont des équi­valents sur le marché local. Le rap­port a notamment demandé de stop­per l’importation de crevettes et de caviar dont la facture de l’importa­tion s’élève à 328 millions de dol­lars, de cellulaires (169 millions de dollars) ». Le journal ajoute que la facture de l’importation du Viagra atteint un milliard de L.E. chaque année. « L’importation des produits de luxe qui sont destinés à une cer­taine catégorie de la société pèse sur l’économie au moment où les réserves en devises se réduisent ».

Selon le journal financier Al-Mal, le gouvernement a décidé de prendre le taureau par les cornes en publiant une liste de produits dont les usines productrices à l’étranger et exporta­trices vers l’Egypte doit être inscrite au niveau de l’Organisme général du contrôle sur les exportations et importations ! C’est un peu fou, il est vrai. Mais si on comprend bien, les exportateurs étrangers doivent être enregistrés en Egypte. « La liste comprend des produits qui vont des produits laitiers, des fruits secs, des huiles destinées à la vente au détail, le chocolat, les pâtes, les jus, etc. ». Dans cette liste, il n’y a cependant ni feux d’artifices, ni caviar !

Côté environnement et bonne ges­tion de l’eau, le supplément agricole du quotidien Al-Ahram annonce que l’eau des ablutions pour la prière pourrait être réutilisée à des fins agricoles. « Le président de l’Acadé­mie de la recherche scientifique et technologique, le Dr Mahmoud Saqr, a signé avec l’institution Misr Al-Kheir, l’Organisme des nouvelles villes et le Centre de développement des projets, un protocole de coopé­ration pour le recyclage des eaux grises après traitement dans les nou­velles villes ». Le journal avance que ces eaux de la mosquée Salaheddine à Minya ont déjà été recyclées dans le cadre de ce projet. « Le Dr Sayed Bélal, professeur en microbiologie agricole, a déclaré qu’on peut exploiter les eaux des ablutions dans les mosquées. Durant chaque ablu­tion, le fidèle utilise de 5 à 8 litres d’eau potable multipliée par cinq ablutions par jour, et en supposant que 48 millions de personnes font leurs ablutions, on peut économiser environ 1,2 milliard de litres d’eau par jour. Ce qui équivaut à 1,7 mil­lion de m3 par jour ».

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