Depuis le début des travaux de construction du barrage éthiopien de la Renaissance sur le Nil bleu en 2011, achevés aujourd’hui à 50 %, l’Egypte s’inquiète du fait que ce projet réduise sa quote-part dans les eaux du Nil, qui s’élève à 55,5 milliards de m3 par an, dont 47 milliards sont assurés par le Nil bleu. Les Ethiopiens ont toujours affirmé que le barrage est un ouvrage hydro-électrique de 6 000 MW qui ne portera pas atteinte aux pays en aval (Egypte et Soudan), mais ils ont toujours refusé de signer un accord qui garantit à l’Egypte son quota historique dans les eaux du Nil sous prétexte qu’ils ne peuvent pas garantir la quantité des pluies, et par conséquent, des quotas précis. Mais lors de la récente réunion à Khartoum le 29 décembre entre les ministres des Affaires étrangères et les ministres de l’Irrigation et des Ressources hydriques des 3 pays, un accord a enfin été signé. « Cet accord est définitivement un pas en avant », commente l’ambassadeur Chérif Issa, responsable de l’eau du Nil au sein du ministère des Affaires étrangères et membre de la délégation égyptienne aux négociations sur le barrage de la Renaissance.
L’accord en question comprend 4 points principaux. Le premier porte sur le choix des deux cabinets français de consultation qui seront chargés d’effectuer l’étude technique sur l’impact du barrage sur l’Egypte et le Soudan. Le Caire et Khartoum s’étaient accordés avec l’Ethiopie à recourir à deux cabinets de conseil européens, un français et un hollandais, afin d’effectuer une étude sur l’impact du barrage. Et il fut convenu que les trois pays respectent les résultats des études élaborées par les deux bureaux. Or, suite à des divergences entre les deux cabinets de conseil, le cabinet hollandais a annoncé son retrait du projet, mettant ainsi l’Egypte dans une mauvaise passe d’autant que les travaux de construction du barrage se poursuivaient.
« En vertu de l’accord conclu le 29 décembre, il fut décidé de recourir à un cabinet français d’ingénierie, Artelia, qui prendra la place du cabinet hollandais Deltares (qui s’était retiré du projet en septembre 2015). Ce cabinet sera responsable avec BRL (l’autre bureau de consultation) de l’étude sur l’impact technique du barrage et le travail sera réparti entre eux à hauteur de 70 % pour BRL et 30 % pour Artelia », explique Chérif Issa. En fait, Artelia comptait parmi les sept entreprises présélectionnées en octobre 2014 par les trois pays, et avait de surcroît les faveurs du Caire, car cette entreprise était parmi celles qui ont accompli des travaux à Tochka et travaille depuis 2008 sur le barrage et la centrale hydroélectrique d’Assiout. Pour plus d’assurance sur les résultats de l’étude technique, l’Egypte a engagé un autre cabinet de conseil international qui travaillera dans l’ombre et suivra d’une manière périodique les résultats de l’étude. « Le plus important pour nous c’est que l’étude technique soit achevée dans un délai de 9 mois au maximum », assure l’ambassadeur Chérif Issa.
Comité technique
Le deuxième point de l’accord de Khartoum porte sur la formation d’un comité technique pour étudier la demande de l’Egypte de prévoir deux vidanges de fond supplémentaires au sein du barrage (18 au lieu de 16) pour garantir un meilleur flux de l’eau. Le comité en question bénéficiera de l’appui d’un bureau d’ingénierie et rédigera un rapport dans un délai d’un mois.
Le troisième point de l’accord porte sur l’engagement d’Addis-Abeba de recevoir des représentants d’Egypte et du Soudan sur le chantier du barrage à tout moment pour s’assurer du respect des détails techniques. « Quant au quatrième point, qui est le plus important à mon avis, c’est que l’Ethiopie s’est engagée à respecter la clause numéro 5 de l’accord de principe signé en mars 2015 à Khartoum par les présidents des trois pays, et qui insiste sur le fait que le remplissage du lac derrière le barrage ne doit pas intervenir avant les résultats de l’étude technique. Celle-ci doit être achevée dans un délai de 8 mois », souligne l’ambassadeur Chérif Issa.
Il nie ce qui a été dit dans certains médias, à savoir que l’Egypte a cédé au fait accompli et que sa position est faible dans les négociations. « La position de l’Egypte dans les négociations avec l’Ethiopie est plus forte que jamais », insiste l’ambassadeur. Et d’ajouter : « Lorsque le problème du barrage a été soulevé pour la première fois en 2010 et 2011, l’Egypte était prise par les troubles qui ont suivi la révolution du 25 janvier, et sa réaction n’a pas été assez ferme. Mais aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé. Nous avons des cartes de pression importantes et notre position dans les négociations est loin d’être faible. Nous suivons la construction du barrage de très près et il n’y a pas de risques ».
Il donne l’exemple d’une information erronée qui a été véhiculée récemment dans les médias. « On a dit par exemple que l’Ethiopie a détourné les eaux du Nil pour remplir le barrage pendant la présence des négociateurs égyptiens à Khartoum, et que l’Egypte n’a pas réagi. Or, cette information n’est pas exacte. Le Nil n’a pas été détourné, mais il a été ramené à son cours normal.
L’Ethiopie avait détourné le cours du Nil bleu au mois de mai 2013 pour construire la partie gauche du barrage, car les travaux de construction ont commencé par les parties droite et gauche. L’Ethiopie a dû détourner le cours du Nil bleu de manière à faire passer le fleuve entre ces deux parties. Une fois la construction des deux parties terminée, l’Ethiopie a ramené le cours du Nil tel qu’il était avant mai 2013, afin de dessécher la partie située entre les deux ailes, afin de les lier et compléter le corps du barrage », affirme Chérif Ismaïl.
Et d’ajouter encore : « Pour construire la partie centrale du barrage, l’Ethiopie a besoin de 8 à 9 mois, c’est le délai fixé pour l’accomplissement de l’étude technique par les deux cabinets de consultation français. Il n’y a donc pas lieu de dire que l’Egypte est face au fait accompli. Nous ne prenons pas de risque. Et le remplissage du barrage ne peut commencer qu’avec l’accord de l’Egypte ».
Déclarations destinées à l’opinion
Pourtant, dans des déclarations à l’agence de presse Anadolu, le ministre éthiopien de l’Eau, de l’Irrigation et de l’Electricité, Motouma Mekassa, a démenti, le 1er janvier 2016, que son pays soit parvenu à un accord, avec l’Egypte et le Soudan, sur le remplissage du barrage de la Renaissance.
« Le remplissage du barrage fait partie du processus de construction de l’édifice (...) les travaux se poursuivent et ne s’arrêteront pas, et le remplissage se fera dans les délais fixés », avait en outre déclaré le ministre à Radio Fana (proche du gouvernement éthiopien).
« Dire que le remplissage du barrage ne peut avoir lieu qu’avec l’accord de l’Egypte est une information erronée », a affirmé le ministre éthiopien. Mais selon le Dr Alaa Yassine, conseiller du ministre de l’Irrigation, professeur de ressources hydrauliques à l’Université d’Alexandrie et membre du comité technique tripartite, ces déclarations du ministre éthiopien sont destinées à l’opinion publique de son pays. « Il faut comprendre que l’opinion publique en Ethiopie, comme en Egypte, exerce une grande pression sur les négociateurs.
Le ministre a dit que le remplissage se fera dans les délais fixés, mais il n’a pas donné de dates. Il n’a pas dit que le remplissage du barrage ne se fera pas avant les résultats de l’étude technique », commente Yassine. Et d’ajouter : « Si l’Ethiopie commence le remplissage du barrage avant la fin de l’étude technique, ce serait une violation claire de l’accord du 29 décembre. Et dans ce cas, l’Egypte engagera des procédures juridiques contre l’Ethiopie, mais pour le moment, tel n’est pas le cas ».
Le problème du barrage éthiopien de la Renaissance remonte à 2010, quand l’Ethiopie avait annoncé son intention de construire un grand barrage sur les eaux du Nil bleu, afin de produire de l’électricité et d’irriguer de nouveaux terrains agricoles. Le Caire espère pouvoir limiter l’impact du barrage à travers les négociations.
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