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Abdallah Al-Sennawi : L’Egypte ne peut pas souffrir un nouvel échec après deux périodes de transition

Hana Afifi, Lundi, 28 décembre 2015

Abdallah Al-Sennawi, analyste politique égyptien, revient sur la performance du gouvernement, à la guerre contre le terrorisme et au rôle régional de l’Egypte. Interview.

Abdallah Al-Sennawi

AL-AHRAM HEBDO : Dans quelle mesure, selon vous, le prochain parlement, récemment élu, assumera-t-il ses fonctions comme appareil législatif et de contrôle ?

Abdallah Al-Sennawi : Il n’y a pas dans le monde entier un parlement qui reflète de façon pertinente l’identité d’une société et ses interactions, mais ce qui est dangereux dans le cas égyptien, c’est qu’après les changements du 30 juin 2013 en particulier, les anomalies ont dépassé les limites tolérées. Premièrement, la loi des élections a été rédigée de façon à exclure certains partis politiques dont ceux du centre-gauche. Les partis qui ont gagné sont soit soutenus par des hommes d’affaires soit par des organismes de sécurité. De plus, pour la première fois dans l’histoire du parlement égyptien, les organismes de sécurité sont devenus le principal acteur dans le choix des membres, en écartant, recommandant, favorisant ou même en formant certaines listes aux dépens d’autres. Bien que tous les partis affichent leur soutien au président Abdel-Fattah Al-Sissi, leurs différends tournent autour de leur part du gâteau. Parfois, il s’agit de mésententes personnelles. Je pense que tout cela est susceptible d’entraver la formation d’une majorité au sein du nouveau parlement.

— Comment évaluez-vous la performance du gouvernement depuis l’arrivée du président Abdel- Fattah Al-Sissi au pouvoir ?
— Je pense que Sissi travaille beaucoup et veut construire, mais il existe un problème au niveau des priorités. Comment peut-on concilier la guerre contre le terrorisme avec le respect des libertés et des droits publics ? Les nécessités de relance économique avec les exigences de la justice sociale et la guerre contre la corruption ? Les aspirations à un rôle régional en Afrique et dans le monde arabe avec les risques évidents des impacts de tels engagements sur une économie déjà en difficulté ? En l’absence d’une classe politique et de conseillers présidentiels, ces questions restent sans réponse. Pour ce qui concerne le président, bien que sa popularité se soit extrêmement corrodée, à cause des politiques actuelles qui nourrissent les inégalités et la frustration sociale, tout en limitant le domaine public, le président a toujours le soutien du peuple qui craint le chaos total. L’Egypte ne peut pas souffrir un nouvel échec après deux périodes de transition. L’opinion publique n’est pas prête à s’embarquer dans une aventure alors que le pays commence à retrouver sa stabilité. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il existe une vraie menace pour le régime actuel.

— Pensez-vous que le dossier des Frères musulmans est clos, ou existe-t-il encore une possibilité de les intégrer dans un dialogue national ?
— Etant donné que les Frères musulmans se sont impliqués dans des actes de violences et de terrorisme et compte tenu des désaccords qui sévissent dans leurs rangs, il est quasiment impossible de parler d’une normalisation avec eux. Les Frères ne veulent pas admettre que leur régime a chuté par une volonté populaire en raison de leurs prises de positions hostiles à la démocratie, à la révolution et à toute opposition. Je pense qu’aucune force politique, à l’exception de certains jeunes de gauche, ne serait prête à compromettre sa crédibilité en s’engageant dans un dialogue avec les Frères. Du côté officiel, la page des Frères musulmans, déclarés comme une organisation terroriste, a été tournée. Cependant, à un niveau individuel, je crois que toute personne qui n’a pas porté les armes devra bénéficier de ses droits politiques en tant que citoyen. Je pense que ceux qui ont quitté la confrérie et veulent s’intégrer à la vie politique doivent avoir cette chance.

Que pensez-vous de la coalition islamique militaire formée par l’Arabie saoudite ?
— La coalition islamique est un projet illusoire. Deux jours après son annonce, même les journaux saoudiens ont cessé d’en parler. La plupart des pays islamiques qui possèdent des armées puissantes comme le Pakistan, la Turquie et l’Indonésie ont refusé d’y participer. L’Egypte a bien accueilli ce projet, mais sans beaucoup d’enthousiasme, car elle réalise bien qu’il ne risque pas de se concrétiser. Il n’y a aucun dénominateur commun entre les pays de ladite coalition, et dont certains n’ont presque pas d’armée. L’Arabie saoudite elle-même — avec tout mon respect — ne dispose pas d’une armée puissante. Ce n’est pas le pays qui peut prétendre diriger une coalition rassemblant des armées comme celles de l’Egypte, de la Turquie, ou du Pakistan.

— Comment se trouve-t-elle dans une même coalition militaire avec la Turquie et le Qatar, deux pays avec lesquels les relations sont loin d’être au beau fixe ?
— Une coalition des acteurs régionaux me semble très peu probable. L’Arabie saoudite et la Turquie, par exemple, pensent que le Front Al-Nosra en Syrie peut faire partie du règlement politique s’il rompt tout lien avec Al-Qaëda. Une approche qui n’est pas partagée par tous les pays de la région. Ainsi, il y a des différences jusque dans la définition même d’une organisation terroriste.

— Est-ce que Riyad est devenue le centre de gravité de la région à la place du Caire ?
— Riyad a un poids politique et une présence dans tous les dossiers régionaux. Elle fait face à l’Iran dans plusieurs conflits. Mais elle ne possède pas les qualités nécessaires pour un leadership au niveau du monde arabe. Tous les pays, qui ont essayé de jouer ce rôle depuis les accords de paix égypto-israéliens en 1979, n’ont pas réussi à assurer la place du Caire. L’Egypte, même si son rôle régional semble en recul, représente le tiers de la nation arabe, sa plus grande puissance militaire et richesse culturelle. En plus de ses atouts historiques et géographiques, qui font défaut à d’autres voisins. Ce qui manque à l’Egypte pour faire valoir sa place c’est une économie forte et une vision stratégique.

— Comment voyez-vous le rapprochement entre Le Caire et Moscou ?
— Pour sortir de l’isolement diplomatique qui lui a été imposé après le 30 juin 2013, l’Egypte s’est ouverte à de nouvelles puissances mondiales que ce soit au niveau politique ou militaire. Mais les relations avec Moscou ne signifient pas une rupture avec Washington, et les échanges avec l’Inde ou la Chine ne sont pas forcément aux dépens de relations avec nos partenaires européens. Je pense que la diversification des sources d’armement et l’ouverture à de nouvelles puissances sont un bon choix stratégique. Car il s’est avéré que mettre tous les oeufs dans le même panier a beaucoup nui à la place régionale de l’Egypte.

— Dans le contexte de la guerre contre le terrorisme, l’Egypte a appelé à plusieurs reprises à une intervention internationale en Libye. Qu’en pensez-vous ?
— L’Egypte souhaite la fin des conflits qui déchirent la Libye, un pays avec lequel elle partage une frontière de 1 200 kilomètres. Après la chute de Kadhafi, 80 % du trafic d’armes en Egypte provient de la Libye. Alors la préoccupation principale de l’Egypte est de sécuriser ses frontières ouest. Sans parler de l’importance stratégique et économique de ce pays arabe. Le projet des Nations- Unies prévoit d’instaurer un gouvernement de consensus national, mais le problème c’est qu’il n’y a pas de vraies garanties que ce gouvernement pourra restaurer la sécurité, désarmer les milices et combattre Daech, le Front Al-Nosra et Ansar Al-Charia. D’où l’inquiétude de l’Egypte .

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