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Amr Hachem Rabie : La participation a été plus forte que lors de la première phase

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 24 novembre 2015

Amr Hachem Rabie, vice-président du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram, estime que le mode de scrutin a favorisé l’achat de voix. S’il reconnaît une participation en hausse, il doute de l’efficacité du prochain parlement.

Amr Hachem Rabie
Amr Hachem Rabie

Al-Ahram Hebdo : Quelles différences constatez-vous entre la première et la seconde phase des élections législatives ?

Amr Hachem Rabie : Le taux de participation lors de la seconde phase a été relativement plus important. Mais cette différence dans le taux de participation revient en premier lieu à la réparti­tion géographique des 13 gouvernorats très peuplés de la seconde phase qui couvrent 20 % de la superficie du pays pour un nombre d’ins­crits de plus de 28 millions. Lors de la première phase, il s’agissait de 14 gouvernorats, couvrant 80 % de la surface du pays pour un nombre d’inscrits de 27 millions. Cela explique la pré­sence plus massive des électeurs.

La compétition électorale a aussi été plus remarquable, surtout au Caire, le plus grand gouvernorat, avec 7 millions d’inscrits et 536 candidats qui se disputent 49 sièges. Les gouver­norats du Delta ont aussi témoigné d’une vive bataille électorale entre les caciques du PND dissous de Moubarak, les indépendants et les partis politiques. Cette compétition a favorisé l’émergence en force de l’argent politique, un autre phénomène qui a marqué la seconde phase. Certains candidats dans les circonscriptions chaudes comme Madinet Nasr et Héliopolis ont acheté des voix à 500 L.E. l’une.

— Pourquoi le taux de participation a-t-il été si faible, si on le compare aux précédents scrutins ?

— C’est vrai que le taux de participation reste faible par rapport aux taux qu’avaient enregis­trés d’autres échéances électorales depuis la Révolution de 2011. D’autres facteurs ont contribué à la faiblesse du taux de participation dont l’annulation du vote électronique pour les Egyptiens à l’étranger. Sur plus de 10 millions de citoyens résidant à l’étranger, seuls 30 000 ont voté lors de la première phase et 37 000 à la seconde. 200 000 fonctionnaires supervisant le processus électoral n’ont pas pu voter non plus.

Les médias et les candidats ont cherché à com­bler les failles de la première phase. L’intensification des campagnes de sensibilisation médiatique a contribué à encourager plus d’électeurs à participer. Toutefois, le gros des électeurs réside parmi les plus âgés et les femmes. Les jeunes, qui représentent un peu moins de 60 % du bloc électoral, ont boudé les urnes.

— Comment expliquez-vous cela?

— Plusieurs facteurs le justi­fient. Ces jeunes ont été le fer de lance de la Révolution de 2011 et été aux premiers rangs de celle du 30 Juin. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux se sentent marginalisés et intimidés. A titre d’exemple, citons la nouvelle loi sur les manifestations qui revient sur un des acquis que ces jeunes avaient conquis. C’est normal qu’ils manifestent leur colère par cette inertie politique. Plus décevant encore pour ces jeunes : voir les feloul de l’an­cien régime revenir sur la scène politique. Déprimés par cette ambiance politique, les jeunes ne trouvent aucun candidat qui représente leurs aspirations.

— Cette nouvelle émergence flagrante de l’argent politique, monnaie courante lors des législatives sous Moubarak, ne vous a pas surpris ?

— Pas du tout. Ces élections sont en grande partie dominées par les mêmes lobies des hommes d’affaires, des figures du PND et des réseaux d’intérêts qui cherchent, coûte que coûte, à reconquérir le terrain perdu. Ce recours à l’argent poli­tique a été favorisé par le mode de scrutin consacrant 80 % des sièges aux indépendants au détri­ment des partis. Cet amalgame entre politique et argent a donné lieu à un autre phénomène, plus bizarre, celui de l’achat de candi­dats par les partis politiques.

Certains partis politiques fondés par des hommes d’affaires ont financé les campagnes de certains candidats s’ils adoptaient l’agenda du parti.

— Le parti salafiste Al-Nour a été quasi-absent de la seconde phase. Quelle explication en tirez-vous ?

— Al-Nour a essuyé une lourde défaite lors de la première phase. Il ne s’y attendait pas. Lassé par les campagnes de diffamation, le manque de financement et la division des bases du courant salafiste, le parti Al-Nour, lâché par les forces politiques comme par la rue, a décidé de se reti­rer provisoirement pour pourvoir se réorganiser. Mais cela ne veut pas dire qu’il disparaîtra de la scène politique, l’islam politique aura toujours sa place sur la scène politique.

— Sur quoi se base la compétition entre les listes électorales ?

— Les deux listes les plus présentes lors de la seconde phase étaient Pour l’amour de l’Egypte et la Coalition républicaine. Mais avec 60 sièges obtenus lors de la première phase des élections, Pour l’amour de l’Egypte se pose déjà comme le probable grand vainqueur des législatives. Lors de ces élections, les programmes électoraux ont été les grands absents. Ces listes ont misé princi­palement sur la renommée des personnalités publiques, pas sur des programmes politiques ou sociaux.

— En vertu des résultats annoncés dévoi­lant la composition quasi finale du parlement, quel courant formera la majorité parlemen­taire ?

— Une fois les élections achevées, les coali­tions électorales existantes ne tarderont à se dis­loquer. D’autres coalitions, toujours dominées par des intérêts communs, pourront voir le jour entre certains partis. Une majorité parlementaire se forme à 50 %+1 alors que les listes dans les deux phases des élections ne représentent que 120 sièges sur les 567 du parlement. Mais il restera difficile de former une majorité parle­mentaire cohérente avec un parlement composé de 80 % d’indépendants.

— Avec une telle fragmentation, ce parle­ment sera-t-il à la hauteur des défis qui l’at­tendent ?

— On peut en douter. Et c’est en effet ce qui est le plus inquiétant. Parviendra-t-il a pleine­ment assumer ses fonctions ? Réviser les lois promulguées pendant les périodes de transition et transformer les textes constitutionnels sur les libertés, la justice sociale et les droits des ouvriers sont des tâches lourdes et difficiles. Surtout que le délai de 15 jours accordé au Parlement pour réviser les lois passées lors des périodes de transition est très court. Sans une volonté politique, l’exercice du parlement sera faible.

Pour l’amour de l’Egypte largement en tête

« Pour l’amour de l’Egypte rafle 60 pour cent des voix au Caire et à l’est du Delta » affirme Moustapha Barkri, candidat sur cette liste. En effet, les résultats préliminaires de la seconde phase dévoilent une victoire écrasante de Pour l’amour de l’Egypte qui avait déjà remporté 60 sièges à l’ouest du Delta lors de la première phase, suivie de La Coalition républicaine.

Selon les déclarations de Sameh Seiffel-Yazal, coordinateur de la liste Pour l’amour de l’Egypte, cette liste va remporter les 120 sièges en jeu et il n’y aura pas de second tour. Les résultats des 2 877 candidats indépendants disputant 222 sièges dans 13 gouvernorats révèlent que la majorité des sièges fera l’objet d’un second tour qui aura lieu le 30 novembre à l’étran­ger et le premier décembre en Egypte.

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