Pas facile de faire le tri
La circonscription de Madinet Nasr se distingue par son grand nombre de candidats, de quoi créer la confusion des électeurs.
Avec 61 candidats, la circonscription de Madinet Nasr est l’une des plus importantes au Caire. Au premier jour des élections, le quartier a changé de visage. Des centaines de banderoles et d’affiches couvrent les façades des bâtiments et s’accrochent aux arbres, alors que dans les bureaux de vote, c’est le calme qui règne. Du moins dans un premier temps. Un peu plus tard, une file d’attente commence à se former devant le bureau de vote de l’école Abass Al-Aqqad Al-Tagribiya, rue Tahsin Farghali. Déjà on peut constater une affluence relativement plus importante que celle de la première phase des élections. Mayssa, 45 ans, comptable dans une banque, est venue de bonne heure « choisir les députés qui la représenteront au parlement ». Mais une fois sur place elle réalise qu’elle ne connaît ni les candidats ni leurs programmes. « A vrai dire les candidats sont très nombreux. Je n’en connais que deux alors qu’il me faut choisir trois », dit-elle, perplexe. Mais si elle ne sait pas ce qu’elle veut, elle semble très bien savoir ce dont elle ne veut pas. Tout en se renseignant sur les candidats, elle exclut d’emblée les candidats islamistes tout comme les anciennes figures de l’ère Moubarak. Yousriya, une femme dans la trentaine lui vient en aide pour lui proposer un candidat auquel elle fait confiance.
Mayssa n’est pas la seule à ne pas connaître les candidats. Comme elle, beaucoup d’électeurs arrivent au bureau de vote sans savoir pour qui ils vont voter. « Il y a des milliers de candidats et de partis politiques. Nous ne savons plus comment se situer », reconnaît Moustapha Ebeid, 66 ans, venu accompagné de son fils Amir et de son petit-fils Tamer, lequel est « en âge de voter ». Une discussion s’engage entre les représentants de trois générations. « Il fallait établir quelques restrictions pour réduire le nombre de candidats », affirme Moustapha. Son petit-fils, Tamer, étudiant à l’Université d’Al-Azhar, objecte. « Chaque citoyen a le droit de se présenter et c’est aux électeurs de chercher et choisir. C’est ça la démocratie que nous avons voulu établir après la révolution du 25 janvier ». Dans un autre bureau de vote à l’Université ouvrière, rue Al-Nasr, c’est un peu la pagaille. Les voitures et les délégués des candidats bloquent totalement la rue. « Tous les Egyptiens doivent participer au vote, surtout les femmes. Il ne faut pas que nous soyons négatives », prêche Amina, qui a insisté à venir voter malgré son handicap. Et d’ajouter : « Sûrement, il y a parmi tous ces candidats des gens convenables, honnêtes, et capables de nous représenter au parlement ».
Beaucoup d’argent pour peu d’engouement Mohamad Moustapha
A Port-Saïd, les langues se délient pour dénoncer les pots-de-vin électoraux.
(Photos : Mohamad Moustapha)
Dimanche 22 Novembre, il est 9h du matin. Des policiers et des soldats sont postés en grand nombre devant les bureaux de vote de Port-Saïd qui s’apprêtent à accueillir les électeurs. Déterminés à ne laisser aucune faille sécuritaire, ils procèdent à des fouilles systématiques des votants. Malgré les permis, les journalistes doivent avoir la double approbation de l’officier et du magistrat avant d’entrer au bureau de vote. Le gouvernorat de Port-Saïd, troisième plus grande ville après Le Caire et Alexandrie, comprend 213 bureaux de vote répartis sur trois circonscriptions. 95 candidats se disputent les 4 sièges de ce gouvernorat. Ils seront choisis par quelque 470 000 électeurs inscrits sur les listes électorales. Dans la circonscription de Port-Fouad, 31 candidats se disputent un seul siège. Dans une école préparatoire convertie en bureau de vote, seuls 10 électeurs ont signé présent une heure après le début du vote, comme l’assure le magistrat en charge. Il s’agit notamment de femmes âgées, dont Haja Fatma, 70 ans.
Celle-ci se réjouit de la présence d’une chaise roulante qu’elle a utilisée pour entrer. « Vive l’armée. Vive Sissi », scande-t-elle en sortant du bureau. Salma, une jeune femme de 20 ans, est arrivée à midi. Même si elle ne trouve pas parmi les candidats celui ou celle qui devra la représenter. « Je suis contre le boycott. Il faut participer et choisir le meilleur sinon le moins mauvais », dit-elle. Quant à Sayéda, 50 ans, sa joie s’est dissipée lorsqu’on lui fait apprendre que sa voix ne sera pas prise en compte parce qu’elle a voté pour 3 candidats, alors qu’elle devait choisir un seul. « Personne ne m’a dit combien de personnes je dois choisir. Dommage, je suis venue pour rien », regrette-t-elle. Dans un autre bureau de vote, près du centre commercial, Khaled, 20 ans, affiche son désintérêt. « Je ne trouve aucune raison pour participer à ces élections son enjeu », dit-il. Une position que Mona, dont les trois fils sont au chômage, peut bien comprendre. « Les jeunes sont déprimés. Les candidats achètent la voix à 500 L.E. Après deux révolutions, rien n’a changé. Le chômage, la corruption, la détérioration des services … », constate Mona. Communément appelés le « phénomène de l’argent politique », ces pots-de-vin électoraux ont servi d’excuse pour le parti salafiste Al-Nour lequel, à Port-Saïd comme ailleurs, passe inaperçu. « Le budget de notre campagne n’a pas dépassé les 15 000 L.E., alors que les autres candidats ont investi des millions. Sans parler de la campagne médiatique qui a visé à diaboliser notre parti », se justifie Tareq Abdallah, un membre d’Al-Nour.
Mais les boycotteurs ne sont pas tous des jeunes. Haj Mohamad, 70 ans, propriétaire d’un café à Port-Fouad, refuse d’aller voter. « J’ai fait la guerre de 1973 et j’aime beaucoup mon pays, mais ces candidats ne cherchent à servir que leurs propres intérêts. Aucun d’eux n’a évoqué le chômage, les prix, la crise de logements ... », assure-t-il. A l’école primaire d’Al-Taïmouriya, bureau de vote pour les hommes, la participation est toujours faible. Il est 13h, seules 50 personnes sur les 2 200 inscrites ont voté. « Je n’ai jamais raté une élection depuis que j’étais étudiant. Même si les candidats ne sont pas bien, j’espère que certains d’entre eux travailleront pour le bien du pays », dit Abdel-Qader Atta, 65 ans. Placés soigneusement devant les bureaux de vote et diffusant des chants patriotiques et populaires à longueur de journée, les hautparleurs peinent à égayer une atmosphère plutôt morose. Dans un bureau de vote à la circonscription Al-Zohour, un candidat indépendant, Abdel- Samie Halawa, serre les mains des votants. « La période de la campagne électorale était trop courte. Là, j’essaye un peu de me rattraper en me présentant à ceux qui ne me connaissent pas », dit Halawa qui avait remporté un siège aux élections législatives de 2012. « J’ai fait le tour de la plupart des bureaux. Il est déjà 17h, et la participation est assez faible, c’est inquiétant ».
Le retour des caciques
A Bahgour, dans le gouvernorat de Ménoufiya, les figures de l'ère Moubarak font leur come-back.
(Photos : Hachem Aboul-Amayem)
En parcourant les rues, c’est difficile de s’apercevoir qu’il s’agit d’une journée électorale. C’est juste la présence des banderoles qui l’annonce. Au gouvernorat de Ménoufiya dans le nord du Delta, 225 candidats, dont 9 femmes, disputent 20 sièges. Beaucoup se présentent pour la première fois et sont quasiment inconnus pour les électeurs. Les partis les plus présents à Ménoufiya sont : l’Avenir de la patrie, les Egyptiens libres, Al-Wafd et le parti salafiste Al-Nour. En plus des sièges individuels, 3 listes sont en lice : Pour l’Amour de l’Egypte, Al-Nour et la Coalition républicaine.
Les 403 000 électeurs de ce gouvernorat sont répartis sur 9 circonscriptions, mais devant les urnes, on n’en voit que quelques dizaines. A Ménoufiya, le taux de participation au seul premier jour a atteint 23 %, selon les estimations officielles. Une participation nettement supérieure à la moyenne, digne de ce gouvernorat, lequel a offert à l’Egypte deux présidents, Moubarak et Sadate, ainsi que d’autres figures politiques dont le magnat du fer Ahmad Ezz, qui fut pour longtemps le stratège économique de Moubarak.
En fait, les anciens du Parti National Démocrate (PND) de l’ancien président Hosni Moubarak, officiellement dissous, sont très présents. Des dizaines d’ex-PND disputent les élections sous l’étiquette « indépendants » ou sur les listes de partis, comme les Egyptiens libres et Al-Wafd. Dans la circonscription de Bahgour, c’est Moataz Al-Chazli qui semble favori, rien que parce qu’il est le fils de Kamal Al-Chazli, cacique incontournable du PND qui s’est emparé du siège de cette circonscription pour plus de 20 ans. Mais si le candidat arbore la photo de son père à côté de la sienne sur ses multiples banderoles, sa confiance semble déplacée dans un village où les habitants se disent lassés des figures du PND. « Assez de ces figures usées. Je ne vote pas pour le fils d’Al-Chazli. Croit-il que notre village fait partie de son héritage ? Maintenant, on souhaite avoir des députés qui nous représentent réellement », s’exclame Ahmad, un jeune villageois vêtu de jean et de T-shirt.
Son copain Sami, étudiant à l’université, essaye, lui, de comprendre : « Alors que les habitants fustigent le fils à papa, ils n’ont pas de problème à voter pour d’autres anciens du PND. Quelle logique ? », se demande-t-il.
Mahmoud Abdel-Alim Mansour est l’un de ces « anciens du régime » restés populaires à Bahgour. Il s’agit d’un grand homme d’affaires et ancien député PND. Il figure sur la liste du nouveau parti, l’Avenir de la patrie, avec beaucoup d’autres ex-PND.
Quant au parti salafiste Al-Nour, désormais seule formation islamiste tolérée, il semble en perte de vitesse après une performance très faible (seulement 8 sièges) à la première phase. Ses rares banderoles se perdent parmi les dizaines d’autres partis et candidats. « Nous ne sommes pas naïfs pour élire encore les islamistes. Frères, salafistes, ils sont tous pareils, il nous suffit l’année passée sous les Frères musulmans. On continue à payer jusqu’à maintenant », s’exprime Abdel-Hamid Mahmoud, qui s’apprêtait à voter. Selon lui, les salafistes savent bien qu’ils n’ont plus de popularité. La preuve en est qu’ils n’ont organisé que très peu de conférences électorales où ils ont été critiqués par la plupart des habitants.
Absentéisme des jeunes
Bien que largement méconnus de la population, beaucoup de candidats ne semblent pas s’en soucier. « La plupart des candidats distribuent de l’argent aux électeurs, des billets de 100 et de 200, et cela n’a pas l’air de déranger. Ici, les habitants votent pour celui qui les aide », reconnaît Mohamad Fathi, un paysan de 40 ans.
A Bahgour, comme ailleurs, les grands absents sont les moins de 50 ans. Ils sont là, dans les parages, près des bureaux de vote, des bureaux qu’ils ne foulent pas. Farouq Loutfi, jeune propriétaire d’un magasin, affirme que le peu d’électeurs devant le bureau de vote tout près « sont venus parce qu’ils ont reçu de l’argent des candidats ou parce qu’ils sont proches de ces derniers ». Il refuse de participer à des élections qui « ne représentent que les intérêts des candidats opportunistes ». Le jour où il trouvera des candidats prêts à servir leur pays, il ira voter.
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