On annonçait ce remaniement depuis déjà presque deux semaines. Il a finalement eut lieu le 6 janvier. Dix nouveaux ministres ont été nommés par le président de la République, dont 7 sont à dominante économique. Transports, Electricité, Développement local, Aviation civile, Approvisionnement et Télécommunications devraient bouger dans les semaines qui viennent.
Le ministère de l’Intérieur voit le départ d’Ahmad Gamaleddine, remplacé par Mohamed Ibrahim, issu de l’administration pénitentaire. Mohamad Ibrahim, un fonctionnaire issu de l’administration pénitentiaire a par ailleurs été nommé à l’Intérieur à la place d’Ahmad Gamaleddine. Le nouveau ministre des Finances, Al-Morsi Al-Sayed Hégazi est un professeur d’économie de l’Université d’Alexandrie. Il remplace Momtaz Al-Saïd.
Hatem Abdel-Latif prend la tête du ministère des Transports pour remplacer Mohamad Rachad Al-Métini qui avait démissionné suite à l’accident de train ayant coûté la vie à plus de 50 enfants en novembre 2012 en Haute-Egypte. Omar Mohamad Salem et Atef Helmi deviennent respectivement ministres d’Etat pour les Affaires légales et parlementaires et ministre des Télécommunications.
Le président Morsi a déclaré à l’issue du remaniement que celui-ci visait à « redresser la situation économique et atténuer la crise politique ». Le remaniement fait suite au référendum sur la Constitution des 15 et 22 décembre. Il intervient également à quelques semaines seulement des élections législatives dans un contexte de grave crise économique.
Depuis quelques semaines l’Egypte souffre d’un recul de sa monnaie face au dollar, ce qui laisse augurer une hausse des prix, notamment sur les denrées alimentaires. Le déficit budgétaire ne cesse de se creuser et les investissements, n’ont toujours pas repris.
« Le but de ce remaniement, entre autres, est de rassurer les Egyptiens et d’apaiser leurs craintes d’où les déclarations du président Morsi », souligne le politologue Gamal Zahrane. Il ajoute que ce n’est pas un hasard si la plupart des ministères concernés sont à caractère économique.
Mais l’économie n’est pas le seul facteur. Des considérations politiques entrent en ligne de compte, notamment pour préparer les élections législatives. Celles-ci devraient théoriquement avoir lieu au mois de février, deux mois après l’adoption de la Constitution.
« Ce gouvernement ne restera pas longtemps. Il démissionnera à l’issue des élections. Sa principale tâche sera de préparer les législatives », avance Gamal Zahrane. Il affirme que les Frères musulmans cherchent à consolider leur pouvoir au sein de ministères clés. « On remarque que les Frères se sont attribués des ministères d’une grande importance en période électorale, comme ceux du Développement local et de l’Approvisionnement. Ces ministères vont s’ajouter aux autres que la Confrérie contrôle déjà comme l’Information, l’Education, l’Enseignement supérieur et la Jeunesse. Les Frères ont perdu une partie de leur popularité au cours des derniers mois. Ils cherchent à se renforcer pour gagner les élections », explique Zahrane.
Mais dans les rangs de l’opposition, le remaniement passe mal. Au sein du Front de Salut National (FSN, principale coalition de l’opposition regroupant notamment, ElBaradei, Amr Moussa et Hamdine Sabahi), on parle d’un remaniement « sans intérêt ».
« C’est un remaniement qui vise seulement à consolider le pouvoir des Frères musulmans », lance un membre du FSN.
Pour Nabil Zaki, du parti du Rassemblement, unioniste progressiste (UPI, gauche), le remaniement « n’intéresse pas l’opposition ». Selon lui, ce remaniement ne sert que les intérêts de la confrérie. « Ce gouvernement est un secrétariat au service du bureau du guide de la confrérie. Sa seule mission est de faire de la propagande pour les Frères avant les élection législatives. Il n’a aucune vision, encore moins de plan concret pour développer l’Egypte ». Pour Zaki, « les dirigeants de la confrérie n’ont visiblement pas d’expérience politique. Ils ont plongé l’Egypte dans le chaos ». Des propos que la confrérie considère comme infondés.
Ahmad Sebeh, du parti de la Liberté et de la Justice (PLJ), défend la légitimité et l’utilité d’un tel changement. Il assure que « l’objectif est de faire sortir l’Egypte de la crise. C’est uniquement dans ce but que les ministres ont été nommés. Théoriquement, le parti qui gagne les élections a le droit de former le gouvernement. Mais PLJ n’a pas voulu monopoliser le pouvoir. Beaucoup de ministres au sein de ce gouvernement sont des technocrates. Il est clair que l’opposition se comporte avec beaucoup de susceptibilité à l’égard de la confrérie ».
L’intérieur, un poste sensible
Dans les rangs de l’opposition, on critique surtout le départ du ministre de l’Intérieur, Ahmad Gamaleddine. Pour certains, il s’agit d’une concession faite aux salafistes. Ces derniers avaient fustigé le ministre de l’Intérieur et appelé à sa destitution pour sa passivité vis-à-vis des manifestants opposés au président Morsi qui ont assiégé le palais de la présidence à Ittihadiya.
Les Frères musulmans l’accusaient aussi d’avoir manqué à son devoir en laissant des assaillants mettre le feu aux bureaux des Frères Musulmans. « Sa destitution est une riposte du régime des Frères à son refus de politiser le ministère de l’Intérieur, comme c’était le cas auparavant. Il a refusé de rendre service au régime et il en a payé le prix », dénonce l’écrivain et ex-député, Moustapha Bakri. Une position partagée par la Coalition des policiers indépendants qui conteste le départ du ministre Ahmad Gamaleddine et menacent désormais de faire grève. Selon eux, il s’agit d’un règlement de compte avec un ministre qui a opté pour l’Etat de droit et a refusé de céder aux pressions des salafistes.
Quoi qu’il en soit, si les Frères musulmans placent davantage leurs hommes à des postes-clés, c’est avant tout dans une logique électorale. Les pénuries d’essence et de gaz, l’inflation, la mauvaise qualité du pain subventionné sont autant de facteurs qui exaspèrent la population au quotidien. Et les Frères ne veulent surtout pas perdre des voix aux législatives.
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