Le comité des 50 comptait des activistes de divers courants politiques.
(Photos : AP)
Depuis plusieurs mois déjà, des voix s’élèvent appelant à un amendement de la Constitution de 2014 pour «
prolonger la durée du mandat présidentiel » et «
élargir les pouvoirs du président ». La semaine dernière, plusieurs députés élus à l’issue de la première phase des législatives ont évoqué la question. «
Un mandat de 4 ans ne suffit pas dans un pays comme l’Egypte en quête de stabilité. Cela peut être convenable dans un pays stable et qui possède un héritage démocratique comme les Etats-Unis », a déclaré Chadi Aboul-Ela, député de Haute-Egypte. Lui et d’autres députés proposent d’établir la durée du mandat du président à 5 ou 6 ans au lieu de 4, et d’étendre les pouvoirs du chef de l’Etat de manière à lui permettre d’engager les forces armées à l’étranger sur simple notification du parlement (Ndlr : l’actuelle Constitution exige une majorité de deux tiers du parlement pour engager l’armée), de choisir et de révoquer les membres du gouvernement sans tenir compte de l’avis du parlement, et de promulguer unilatéralement les lois relatives à la sécurité nationale. Pour initier de tels amendements, une majorité des deux tiers du parlement est requise en vertu de l’article 226 de la Constitution.
Tandis que la deuxième phase des élections législatives doit commencer dans quelques jours, le débat politique s’est installé. Si certains voient que de tels amendements sont nécessaires pour la stabilité de l’Egypte, d’autres redoutent une volonté de reproduire un régime autoritaire en rupture avec l’esprit de la révolution du 25 janvier 2011. Dans ce contexte, ce sont surtout les amendements ayant trait aux mandats présidentiels qui inquiètent l’opposition. Autrefois sans limite, les mandats présidentiels ont été fixés, en vertu de l’article 140 de la Constitution de 2014, à 2 mandats de 4 ans. Les partisans de l’amendement avancent leurs arguments. « Notre but n’est pas de maintenir le régime du président Abdel-Fattah Al-Sissi mais de protéger l’Egypte contre les troubles. Après deux révolutions qui ont déstabilisé le pays sur les plans politique, économique et sécuritaire, la stabilité est impérative pour l’Egypte. Les évolutions rapides et successives ne permettent pas au président de mettre en place une réforme pour redresser la barre et reconstruire les institutions de l’Etat », explique Chadi Aboul-Ela. Il se demande si 4 ans suffisent à un président pour sauver un pays en crise comme l’Egypte. « Tout le monde est d’accord qu’il faut limiter le nombre de mandats présidentiels pour éviter que le président ne reste à vie au pouvoir comme c’était le cas sous Moubarak, mais il faut prolonger la durée des mandats pour permettre au régime de mettre en place des plans de réforme », affirme-t-il.
Réduction des prérogatives
Les modifications proposées portent aussi sur une réduction des prérogatives du parlement. « Le régime semi-présidentiel adopté par la Constitution de 2014 n’est pas compatible avec la situation politique, économique et sécuritaire », affirme Chadi Aboul-Ela. Mais cet argument est battu en brèche par ceux qui s’opposent à l’amendement. Ces derniers trouvent « paradoxal » que des députés appellent à une restriction des prérogatives du parlement, qui permettent un équilibre entre les pouvoirs.
La nouvelle Constitution attribue au parlement de larges prérogatives faisant de cette institution presque l’égale du président. En vertu de la Constitution, le parlement doit approuver le nom du chef du gouvernement proposé par le président de la République, ce qui fait craindre à certains un probable bras de fer entre le président et le parlement. Toujours en vertu de la Constitution, le président n’est autorisé à révoquer le gouvernement ou à opérer un remaniement ministériel qu’avec l’approbation de la majorité des membres du parlement. La Constitution stipule de même que le président exerce ses pouvoirs par l’intermédiaire du premier ministre, sauf dans les domaines de la défense, de la sécurité nationale et des affaires étrangères. En outre, le parlement a le droit de réclamer un référendum à la majorité des deux tiers pour obtenir la destitution du président de la République, prenant cependant le risque d’être dissous si le résultat du référendum est négatif. Le président peut toutefois réclamer un référendum pour dissoudre le parlement sans risquer de démissionner si le référendum est négatif.
Selon Ahmad Al-Fadali, président du Courant de l’indépendance, la réduction des pouvoirs présidentiels est une erreur politique. « La conjoncture politique actuelle ainsi que l’héritage politique en Egypte basé sur la centralisation du pouvoir ne permettent pas un passage subit à un régime semi-présidentiel ou parlementaire. De tels régimes nécessitent la présence de partis politiques forts ayant des bases populaires solides, ce qui n’est pas le cas pour l’instant », estime Al-Fadali, qui a lancé une campagne baptisée « On va amender la Constitution », qui regroupe des partis politiques et des personnalités publiques favorables à l’amendement de la Constitution. « Je crois que ces amendements doivent être une priorité sur l’agenda du prochain parlement », insiste Al-Fadali, qui pense que le régime présidentiel est plus approprié pour l’Egypte. « Pour garantir la stabilité de l’Etat face au terrorisme et aux complots politiques, le président doit garder le pouvoir exécutif, et le parlement ne doit s’occuper que de la législation. Regardez ce qui se passe au Liban. Les conflits successifs entre le parlement et le président ont paralysé la vie politique », ajoute Al-Fadali.
Appels « injustifiés »
Des arguments qui ne tiennent pas, selon Georges Ishaq, activiste politique et membre du Conseil national des droits de l’homme. Il estime que ces appels sont « injustifiés » et constituent un retournement sur les acquis de deux révolutions qui ont revendiqué un régime démocratique basé sur l’alternance au pouvoir. « Quatre ans suffisent amplement pour un mandat présidentiel. Il est absurde qu’après des décennies de règne sans partage sous Moubarak, on appelle aujourd’hui à renforcer les pouvoirs du président et à reproduire l’image du président pharaon. Et ceci au lieu d’oeuvrer en vue d’enrichir la vie politique par plus de liberté et de démocratie », critique Ishaq. Et d’ajouter : « Ceux qui lancent de tels appels pensent rendre service au régime, mais en réalité, ils ne font que nuire à sa réputation, car on soupçonnera le président Sissi de vouloir reproduire le régime despotique de Moubarak. Le peuple ne s’est pas révolté contre ce régime pour le reproduire. Cette Constitution qu’on appelle à amender est le seul acquis concret de la révolution », affirme Ishaq. Même son de cloche pour Hussein Abdel-Razeq, cadre du parti du Rassemblement et du comité des 50 qui a rédigé la Constitution. Il rejette catégoriquement les appels à l’amendement de la Constitution les qualifiant d’un retournement contre la démocratie. « C’est une première qu’un pays appelle à amender une Constitution qui n’est pas encore entrée en vigueur. Le but de la Constitution était de garantir un équilibre entre les pouvoirs et d’éviter la reproduction d’un régime autoritaire », affirme Abdel-Razeq.
Le président Abdel-Fattah Al-Sissi avait déclaré que la Constitution de 2014 a été rédigée « dans une bonne intention » mais que « les bonnes intentions ne suffisent pas pour construire un Etat ». Ces propos avaient été considérés par certains comme un appel implicite à l’amendement de la Constitution. Mais le président a tenu cette semaine, lors d’une interview à la BBC, à souligner que « ses déclarations ont été mal interprétées et qu’il ne cherche pas à étendre ses pouvoirs au détriment du parlement ».
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