Trois principaux regroupements se partagent la scène politique. Le premier est représenté par les forces soutenant le régime du président Sissi, et qui visent à jouer le rôle du «
parti au pouvoir » au sein du futur parlement. Ce courant est représenté par les coalitions du Front égyptien et de Pour l’amour de l’Egypte.
La première comprend le Mouvement nationaliste et l’Egypte mon pays, le parti d’Al-Guil et celui de Misr Al-Hadissa (l’Egypte moderne) sous la houlette de l’ancien candidat à la présidentielle et premier ministre de Moubarak, Ahmad Chafiq.
La seconde coalition est une plate-forme de 17 partis et formations politiques comprenant notamment les partis des Egyptiens libres (parti libéral fondé par l’homme d’affaires Naguib Sawirès), du Néo-Wafd, d’Al-Mohafizine ainsi qu’un certain nombre de personnalités publiques.
Quelques heures après avoir annoncé leur fusion, des divergences ont éclaté entre le Front égyptien et Pour l’amour de l’Egypte sur les quotas attribués aux candidatures. « Nous avons proposé trente noms aux responsables de Pour l’amour de l’Egypte. Mais ils n’ont retenu que deux noms seulement et n’ont pas respecté les règles au sujet desquelles nous nous étions mis d’accord. Ils ont même ignoré les chefs de partis. Cette attitude était inacceptable pour nous. Nous avons donc décidé de ne pas former de coalition avec eux », affirme Nagui Al-Chéhabi, président du parti d’Al-Guil, qui fait partie du Front égyptien. Et d’ajouter : « Les responsables du parti Fi Hob Misr ont demandé à ce que nous soutenions financièrement la coalition. Or, nous avons trouvé cela illogique surtout qu’ils nous proposaient deux sièges seulement ».
La coalition Fi Hob Misr (pour l’amour de l’Egypte) est perçue comme étant soutenue par le régime. Certains pensent qu’elle cherche à occuper l’espace laissé par l’ancien Parti national démocrate de Moubarak, aujourd’hui dissous. Elle se pose aujourd’hui comme la plus grande coalition électorale.
Emad Gad, membre de Fi Hob Misr, rétorque aux critiques de Nagui Al-Chéhabi : « Le financement n’était pas le point essentiel de discorde. La divergence principale était que le Front égyptien voulaient imposer des anciens dirigeants qui sont aujourd’hui impliqués dans des procès, ce qui allait à l’encontre de l’un de nos critères, à savoir que le candidat ait une bonne réputation. L’autre problème est que le Front égyptien voulait plus de sièges, ce qui n’est pas proportionnel à son poids ».
Des informations circulent selon lesquelles Fi Hob Misr aurait rejeté la candidature d’Ahmad Chafiq sur la base que ce dernier cherche à concurrencer le président Sissi. Il y a quelques mois, le quotidien Al-Shorouk avait publié des informations affirmant que les partisans du président voient d’un mauvais oeil les ambitions de Chafiq de jouer un rôle important sur la scène politique.
Les pro-révolution
Outre Fi hob Misr et le Front égyptien, une troisième coalition électorale de taille opère sur la scène à savoir, Sahwet Misr (l’éveil de l’Egypte). Fondée par Abdel-Guélil Moustapha, ancien membre de l’Assemblée constituante, elle est formée de plusieurs formations pro-révolutionnaires. Elle comprend notamment le parti libéral Al-Dostour, le Parti social démocrate (centre gauche) ainsi que le parti Al-Karama (gauche) de l’ancien candidat à la présidence Hamdine Sabahi. Ces partis cherchent à former une force d’opposition capable de concrétiser les aspirations de la révolution, mais surtout de contrarier les feloul au sein du prochain parlement.
Cette coalition est relativement limitée. Elle refuse de s’allier aux anciens cadres du PND. « Nous ne tendrons jamais la main à ceux qui qualifient le 25 janvier de complot ou à ceux qui estiment que le 30 juin est un coup d’Etat. Nous négocions en revanche avec tous les autres partis dans le but de parvenir à la justice sociale, de renforcer les libertés et de relancer l’économie », confirme Ahmad Fawzi, du parti de l’Egyptien démocrate.
La plupart des observateurs sont d’avis que Sahwet Misr a peu de chance face aux feloul lors des prochaines élections. « Ces partis ont souffert au cours de la dernière période d’une campagne dans les médias qui a quelque peu déformé leur image. De plus ils ont des problèmes de financement », affirme le politologue Yousri Al-Azabawi.
Outre les problèmes de financement, certains de ces partis souffrent de divisions internes. C’est le cas notamment du parti Al-Dostour qui a vu la démission de sa présidente Hala Choukrallah et de son porte-parole Khaled Daoud. Des divisions internes existent aussi au sein du Parti social démocrate dont le président, Mohamad Aboul-Ghar, a démissionné cette semaine avant de revenir sur sa décision.
La coalition de gauche
Les partis de gauche (hormis Al-Karama et le parti Nassérien) ont annoncé également la formation d’une coalition électorale, basée sur un programme commun qui s’appuie sur la justice sociale. La coalition regroupe le parti du Rassemblement, celui de la Coalition socialiste populaire, le Parti socialiste révolutionnaire et le Parti communiste égyptien. « Il n’y aura pas de listes communes. Nous allons coordonner seulement au niveau des sièges individuels », annonce la coalition dans un communiqué.
Medhat Al-Zahed, vice-président du parti de la Coalition socialiste ajoute : « La coalition a en tout 40 candidats qui disputeront les sièges individuels. En revanche, chaque parti est libre de se présenter sur les listes qu’il souhaite hors de la coalition ».
La plupart des partis de cette coalition ne possèdent pas de financement important. « Nous ne possédons pas les fonds nécessaires pour lancer une campagne à grande échelle. Nous compterons donc sur les rencontres directes avec les électeurs dans les cafés et d’autres lieux de rassemblement. Notre programme est basé sur la défense des pauvres et des personnes défavorisées », affirme Al-Zahed.
Quelles sont les chances de cette coalition ? Selon Mokhtar Ghobachi, directeur adjoint du Centre arabe des études politiques et stratégiques, « les chances de cette coalition de gauche sont minimes. Et ce, pour plusieurs raisons. Bien que ces partis soient proches sur le plan idéologique, il y a des divergences entre eux. Ils souffrent d’un manque de financement et de popularité. Or, les prochaines élections législatives seront dominées par l’argent politique ».
Les islamistes
Le courant islamiste qui avait raflé une majorité écrasante aux législatives de 2012 (40 % pour les Frères musulmans et 25 % pour les salafistes du parti Al-Nour) est aussi divisé : salafistes, Frères musulmans et soufis.
Toutefois, seul le parti Al-Nour a une chance de faire des résultats corrects aux élections. Face au refus des autres partis de former une coalition avec lui, Al-Nour a décidé de se présenter seul. Il présente des candidats pour 60 % des sièges. Il se présente également sur les 4 listes. « Ce parti est le plus puissant du courant islamiste après le déclin des Frères musulmans. Face à la fragmentation du courant civil, les salafistes feront probablement un bon score aux élections », affirme l’analyste Tareq Fahmi. Les divisions au sein des mouvements civils et séculiers favorisent un tel scénario.
Al-Nour a souvent été accusé par ses détracteurs d’être un prolongement des Frères musulmans. Pour redorer son blason, le parti a présenté la candidature d’une vingtaine de femmes aux élections, dont des coptes.
Au-delà de la composition des coalitions électorales, ce sont l’état de fragmentation et la faiblesse des partis qui sont au centre du débat. « La plupart de ces coalitions sont très fragiles. La raison en est qu’elles n’ont été bâties ni sur une idéologie ni sur des programmes communs, mais plutôt sur les intérêts et la volonté de contrer les islamistes », affirme Mokhtar Ghobashi.
Cette fragmentation de la scène politique fera le jeu des islamistes et des feloul de Moubarak. C’est ce qu’affirme l’analyste Trareq Fahmi. « Il ne faut pas minimiser la force tentaculaire de l’ancien régime qui possède toujours des outils influents comme les médias et les capitaux qui représentent des armes dangereuses », affirme Fahmi. Le mode de scrutin individuel utilisé pour ces élections appuie une telle analyse. Ce mode de scrutin va en effet ouvrir la voie à l’argent politique et aux réseaux d’intérêts.
« On risque alors de voir un parlement à l’instar de ceux de l’ère de Moubarak, basé sur les intérêts et insoucieux des questions de libertés, de la lutte contre la corruption ou de la justice sociale », estime Yousri Al-Azabawi. Il met en garde contre le poids et le danger que représentent les symboles de Moubarak. « Les anciens du PND ont tout pour remporter les élections : les réseaux sociaux, la solidarité tribale dans les zones rurales, l’expérience parlementaire et l’argent nécessaire. Leurs chances de rafler les sièges du parlement aux élections législatives s’accentuent sous ce mode de scrutin, surtout que le courant civil reste fragmenté et n’a pas de bases populaires ».
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