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Parti Al-Nour : Les salafistes divisés

May Al-Maghrabi, Mardi, 01 janvier 2013

Une vague de démissions secoue la plus importante formation salafiste. Les démissionnaires autoproclamés « réformateurs » dénoncent une dépendance politique aux Frères au détriment de l’application de la charia.

Parti Al nour
Les divisions au sein du parti d’Al-Nour réduiront les chances des Salafistes aux législatives. (Photo : AP)

150 membres et cadres « réformistes » du parti salafiste Al-Nour (deuxième parti islamiste après celui des Frères musulmans, avec 127 sièges au Parlement dissous), viennent de démissionner suite à une série de crises et de conflits internes.

Les dissidents se disent déçus de l’exercice politique pâle du parti qui était loin d’incarner les objectifs du mouvement salafiste, notamment en ce qui concerne l’incrustation de la charia dans les lois. Parmi les démissionnaires figurent notamment Emad Abdel-Ghafour, président d’Al-Nour, et Yousri Hamad, son vice-président.

D’après plusieurs analystes, ces démissions sont, en fait, le résultat d’une lutte de pouvoir entre, d’un côté, l’aile conservatrice que représente Yasser Borhami, fondateur du parti, et plusieurs cadres de poids de la Daawa salafiya (prédication salafiste), et d’un autre côté, l’aile réformatrice qu’incarne Emad Abdel-Ghafour. Ce dernier a justifié sa démission par l’ingérence de la Daawa salafiste dans les affaires du parti.

Les dissidents entendent créer un nouveau parti baptisé « Al-Watan », de référence islamique et basé sur l’idéologie salafiste, mais qui sera, d’après eux, plus représentatif de ce mouvement.

Selon Yousri Hamad, le futur parti regroupera un nombre de figures de proue du salafisme qui n’ont pas trouvé dans le parti d'Al-Nour une véritable incarnation de leurs idées.

En outre, ce parti en formation cherchera à s’ouvrir à d’autres partis islamistes dans une perspective de concertation en prévision des prochaines élections législatives. De son côté, le porte-parole d’Al-Nour, Nader Bakkar, tient à minimiser l’importance de ces démissions, selon lui, mineures et qui n’affecteront ni la structure, ni la « base populaire » du parti.

En fait, des différends administratifs et idéologiques entre les dirigeants d’Al-Nour sont à l’origine de cette vague de démissions. La crise du parti avait pris une nouvelle dimension depuis deux mois, lorsque le haut comité du parti a décidé de limoger le président Emad Abdel-Ghafour, qui avait qualifié de frauduleuses les élections internes du parti.

Les dissidents reprochent aux dirigeants d’Al-Nour l’exclusion des membres du parti de la prise de décisions. « Les dirigeants sont déterminés à marginaliser le reste des membres pour centraliser la prise de décisions entre leurs mains », s’insurge Hassan Ismaïl Al-Zayet, cadre dissident d’Al-Nour. Il explique que l’enjeu de la création du parti d’Al-Nour a été de pouvoir rassembler sous une seule bannière les symboles et les partisans du mouvement salafiste pour pouvoir concrétiser leur projet islamiste inspiré de l’idéologie salafiste. « Hélas, la performance politique du parti n’a pas été à la hauteur des aspirations de beaucoup de ses fondateurs. A la tête de cet échec figure la volonté de l’aile dominée par le cheikh Yasser Borhami de transformer le parti en une formation subordonnée à celle des Frères musulmans. Et ceci en soutenant à tort et à travers les décisions et les prises de position de ces derniers », critique Al-Zayet. Il rappelle que les querelles intestines sont apparues lors de l’élection présidentielle, lorsqu’une aile du parti d’Al-Nour a penché pour le soutien du candidat des Frères musulmans au lieu de soutenir Abou-Ismaïl, une figure salafiste éminente.

« En plus, l’action au Parlement a été très faible et le parti n’a pas réussi à définir des positions claires et originales vis-à-vis de questions fondamentales », indique Al-Zayet, imputant cette division à la création hâtive du parti sans avoir ni plan défini, ni objectifs déterminés. Mohamad Yousri Salama, un autre dissident, partage la même accusation qualifiant le parti d’Al-Nour d’entité dépendante et dominée à la fois par le mouvement de la Daawa, « qui ne représente pas la majorité des salafistes », et par les Frères musulmans.

Ibrahim Al-Hodeibi, politologue, explique qu’un nombre de partisans d’Al-Nour conteste sa dépendance accrue des Frères musulmans. Une dépendance gratuite qui oblige les salafistes à s’approprier les politiques des Frères « sans rien gagner en échange ».

« C’est dans un esprit de compétition avec les Frères musulmans que les salafistes se sont propulsés au devant de la scène politique au lendemain de la chute de Moubarak. Mais cette rapidité avec laquelle les salafistes sont entrés dans l’arène politique est restée un obstacle en termes structuraux, et surtout intellectuels, nécessaires pour délimiter les frontières entre la prédication et la politique. Cette rapidité a également empêché les salafistes de développer un programme islamiste politiquement cohérent », analyse Al-Hodeibi. Des incohérences qui ne sont pas étrangères à leurs camarades de la confrérie, sauf que ces derniers sont au pouvoir.

Moustapha Zahrane, spécialiste des mouvements islamistes, estime qu’un conflit générationnel et idéologique est au centre de la crise du parti d’Al-Nour. « Les plus jeunes au sein du parti refusent de jouer le jeu politique au détriment de l’application stricte de la charia », estime Zahrane. Il rappelle que ce courant « réformateur » au sein du parti a déjà rejeté des appels de ses dirigeants pour participer à des manifestations organisées par les Frères musulmans. Il poursuit que les dissidents ne voient pas de raison valable pour se soumettre aux Frères musulmans alors que le courant salafiste est bien implanté dans la société et pourra concurrencer les Frères. Les divisions au sein du parti d’Al-Nour, vitrine des salafistes, réduiront les chances de ce courant aux législatives.

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