A quoi riment les rounds de dialogue stratégique entre les Etats-Unis et l’Egypte ? C’est la question que se pose Mostafa Al-Labbad, écrivain et directeur du centre Al-Charq pour les études régionales, à l’occasion du lancement d’un nouveau round cette semaine. La dernière fois où ce round de dialogue a eu lieu, on était en 2009. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Caire depuis.
« Et dans les rivières des Etats-Unis aussi ! A supposé que ce dialogue est vraiment un dialogue stratégique, il est clair que son cadre c’est la volonté de chacune des parties d’éviter que les relations bilatérales ne se détériorent encore davantage, et le moyen d’éviter cela c’est de lancer un dialogue stratégique. Chacune des deux parties veut obtenir des gains temporaires de l’autre au moment où le fossé entre leurs deux visions face aux questions régionales s’élargit. Ce qui veut dire que le qualificatif de stratégique répandu dans les médias ne reflète pas la réalité de ce dialogue ».
L’auteur explique que les Etats-Unis engagent des dialogues stratégiques avec plusieurs pays dont la Chine, l’Inde, le Pakistan et Israël autour de questions comme la coopération sécuritaire, le commerce, la réforme politique ou la situation régionale. « En ce qui concerne l’Egypte, le premier dialogue a eu lieu en 1998 au niveau ministériel, le deuxième en 1999 sous l’ère Clinton avec pour arrière-plan le processus d’Oslo. Puis a eu lieu un round de dialogue en 2006 sous Georges W. Bush qui a coïncidé avec l’attaque israélienne contre le Liban. Barack Obama a opéré un changement qualitatif en se rendant en Egypte, où il a fait son célèbre discours à l’Université du Caire ».
Juste éviter la détérioration
Le dialogue entamé hier est le premier après le « Printemps arabe » qui a changé les équilibres des forces dans la région. Et malgré les larges sourires de John Kerry face aux caméras, il n’en demeure pas moins que les points de vue entre les deux pays sur les questions sujettes à débats ne sont pas seulement contradictoires mais également conflictuels. L’auteur explique que le dialogue s’est appuyé historiquement sur le rôle de l’Egypte dans le processus de paix palestino-israélien, sur la position géographique de l’Egypte et sur les facilités militaires que cette dernière accorde aux Etats-Unis, soit en ouvrant son espace aérien ou le Canal de Suez, ce qui permettait à Washington de procéder à des opérations dans la Corne d’Afrique et dans le Golfe arabe.
« Avec la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran et la révision par Washington de ses priorités il est clair que le poids de la position stratégique de l’Egypte ne pèse plus très lourd. En contrepartie, les limites de la vision stratégique de l’élite égyptienne sont flagrantes. Elle est incapable de comprendre les changements régionaux et leur impact sur l’importance stratégique de l’Egypte. Plusieurs crises et questions cruciales se posent, et l’influence américaine ne peut en être exclue. D’abord, il y a la question des eaux du Nil et des relations américano-éthiopiennes, ensuite il y a les développements en Libye où les Américains s’opposent aux visions égyptiennes, puis il y a la force arabe commune que Washington freine en faisant pression sur les pays arabes pour ne pas y adhérer pleinement et enfin il y a la distribution des richesses gazières en Méditerranée et les parcours des pipe-lines dont Washington tirent les ficelles dans les coulisses via ses méga-compagnies ».
Pour Mostafa Al-Labbad, Washington veut maintenir le statu quo et utilise le dialogue pour éviter la détérioration des relations. Et l’administration du président Al-Sissi table sur le départ d’Obama dans un an et sur la venue d’un nouveau président américain, plus compréhensif.
La phrase de trop du traducteur
Sur un tout autre registre, le portail d’Al-Ahram rapporte les détails d’une affaire qui a fait beaucoup de vagues, surtout au moment où les intellectuels sont engagés dans une bataille contre le ministre de la Culture qui a procédé à plusieurs limogeages de figures connues et aux tendances libérales qui occupaient des postes importants au sein du ministère.
L’affaire en question concerne l’interdiction de parution de la traduction en arabe du livre « L’Egypte de Tahrir, anatomie d’une révolution » de Claude Guibal et Tangui Salün (2011, Edition Seuil). Traduction faite sous l’égide du Centre national de la traduction. « Le livre traduit en arabe a été interdit et retiré des points de vente. Les responsables de l’édition sont mis en examen. Le directeur du Centre national de la traduction, Choukri Mégahed, a déféré les responsables de l’édition au sein du centre devant une commission d’enquête et a indiqué que le texte du livre ne renferme aucune atteinte à l’Etat et que l’expression que le traducteur a malencontreusement utilisée dans son introduction est la cause de la polémique ».
Le portail a rapporté également les propos du traducteur qui aurait fait son mea culpa : « Le traducteur a affirmé que la crise de l’interdiction du livre est due à l’introduction où il a mentionné qu’il y a eu en février 2011 des accrochages entre l’armée et les manifestants suite à quoi cette dernière a publié un communiqué pour s’excuser sous l’intitulé Nos excuses ... et notre crédit auprès de vous le permet. Il a justifié cette phrase qu’il a mise dans son introduction par le fait qu’elle a été écrite dans certaines circonstances en 2012 et ne reflète en rien son opinion sur l’armée et n’a rien à voir avec ce qui se passe maintenant, en insistant sur son total alignement en faveur de l’armée et sur son rôle pour le pays et contre le terrorisme ».
Prêcheurs dans le collimmateur
Le quotidien Al-Charq Al-Awsat rapporte, quant à lui, une information qui risque de provoquer un tollé dans les milieux islamistes, si elle s’avère vraie. « Les autorités égyptiennes ont pris une décision visant la fermeture de 91 instituts de formation des imams et de centres de culture islamiques dépendant d’associations civiles. Cette décision du premier ministre, Ibrahim Mahlab, a soulevé une vague de protestations parmi les chefs du parti salafiste Al-Nour et parmi les Frères musulmans. Ils ont menacé de recourir à la justice en cas d’application de la décision en précisant que ces instituts forment 2 500 prêcheurs chaque année ». Affaire à suivre.
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