La loi avait été promulguée par le président de la République le 11 juillet. Elle donne au chef de l’Etat le droit de limoger les présidents des organismes de contrôle financier et administratif dans 4 cas, à savoir s’ils portent atteinte à la sécurité et à la stabilité de l’Etat, s’ils ne respectent pas les obligations de leur emploi, s’ils perdent l’une des conditions requises pour l’emploi qu’ils occupent, et enfin, s’ils ne sont plus dignes de confiance. Or, l’article 216 de la Constitution immunise les présidents de ces organismes (l’Organisme de contrôle administratif, l’Organisme central des comptes, la Banque Centrale et l’Organisme de contrôle financier). Cet article stipule que le président de la République nomme les présidents de ces organismes pour 4 ans, et ne peut les limoger qu’avec l’accord du parlement sauf «
dans les circonstances exceptionnelles ».
La nouvelle loi est au centre d’un débat politique et juridique. Pour certains, elle met en cause l’indépendance de ces institutions. C’est notamment l’avis de Abdel-Ghaffar Chokr, président du Parti de la concorde nationale. « Cette loi nous ramène en arrière. Nous devons être un Etat qui respecte la loi et la séparation des pouvoirs. Les présidents des organismes de contrôle doivent achever, en vertu de la Constitution, leur mandat de 4 ans. La Constitution leur accorde une immunité pour qu’ils puissent exercer leurs fonctions loin de toute pression », affirme Chokr. Et de s’interroger : « Pourquoi cette loi maintenant ? ».
Des informations circulent selon lesquelles cette loi viserait à limoger l’actuel chef de l’Organisme central des comptes, Hicham Guéneina. Celui-ci, nommé par l’ancien président islamiste Mohamad Morsi, est soupçonné de faire partie de la confrérie des Frères musulmans. Ce que nie Guéneina. Guéneina avait surtout critiqué les institutions de l’Etat. Il est allé jusqu’à accuser d’implication dans une affaire de corruption le ministre actuel de la Justice, Ahmad Al-Zind, à l’époque où celui-ci était président du Club des juges. Celui-ci a catégoriquement rejeté ces accusations.
Guéneina a d’ailleurs affirmé dans des déclarations à la presse qu’il ne pouvait pas être relevé de ses fonctions, car la loi numéro 20 relative à l’Organisme central des comptes interdit son limogeage. « Or, cette loi, le président ne l’a pas amendée ».
Mais pour d’autres la décision du président est justifiée politiquement. « Tout le monde sait que Guéneina est proche de la confrérie des Frères musulmans qui est aujourd’hui classée organisation terroriste et il était opposé à la révolution du 30 juin. Il aurait dû depuis longtemps présenter sa démission mais il ne l’a pas fait », lance Mahmoud Nafadi du parti Ihna Al-Chaab (nous sommes le peuple). Et d’expliquer que « la loi n’autorise pas au chef de l’Etat de limoger les chefs des organismes de contrôle dans l’absolu, mais lie leur limogeage à certaines conditions et critères ».
Le débat politique est doublé d’un débat juridique sur la constitutionnalité de la loi. « La loi est clairement en contradiction avec les articles 215 et 216 de la Constitution », affirme Ahmad Al-Khatib, juriste. « Le président de la République a le droit de destituer et de nommer de nouveaux présidents en l’absence de parlement, mais seulement dans les circonstances exceptionnelles. Mais nous ne sommes pas dans une telle situation », pense Al-Khatib. Selon lui, les 4 cas de figure mentionnés dans la loi pour le limogeage des présidents des organismes sont « vagues » et ne déterminent pas exactement les raisons du limogeage. « Cette situation ouvre la porte à certaines instances de faire pression sur l’exécutif pour destituer les présidents des organismes de contrôle pour que leur corruption ne soit pas dévoilée », ajoute encore Al-Khatib.
Au contraire, Chawqui Al-Sayed, expert en droit constitutionnel, est d’avis que la loi est constitutionnelle. « La Constitution a donné au président de la République en sa qualité de chef de l’exécutif, le droit de limoger les présidents des organismes de contrôle après approbation du parlement. En l’absence de parlement, le chef de l’Etat assume le pouvoir législatif ». Le débat est loin d’être clos.
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