Depuis la destitution de Mohamed Morsi, les Frères cherchent à propager le chaos en Egypte. (Photo : AP)
Quelques jours après l’attentat sanglant qui a coûté la vie au procureur général, Hicham Barakat, la tension est montée d’un cran entre les appareils de sécurité et les Frères musulmans. Les Frères, accusés d’avoir planifié l’attentat contre le procureur, avaient appelé les Egyptiens à se révolter contre le pouvoir du président Abdel-Fattah Al-Sissi, à l’occasion du deuxième anniversaire de la révolution du 30 juin. Mais ils ont échoué à mobiliser leurs partisans. Des affrontements violents ont, alors, opposé les forces de l’ordre aux militants de la confrérie à Dar Al-Salam, au sud du Caire, faisant un mort. Des manifestations ont été dispersées par des tirs de gaz lacrymogène et plusieurs dizaines de Frères musulmans ont été arrêtés. En outre, les explosions visant les pylônes d’électricité et les stations de police ont repris. Trois personnes ont été tuées lors de l’explosion de deux engins placés dans leur véhicule, près d’un commissariat de police dans la cité du 6 Octobre à Guiza. Face à cette escalade de la part des Frères, les autorités ont intensifié leur campagne contre la confrérie. Mercredi 1er juillet, neuf membres de la confrérie, dont un haut responsable, ont été tués lorsque la police a assailli l’appartement où ils étaient réunis à la cité du 6 Octobre. Selon des sources sécuritaires, il s’agissait «
d’une cellule regroupant des éléments recherchés qui planifiaient des actes terroristes contre les forces d’ordre ». Parmi les morts figure l’ancien parlementaire, Nasser Al-Houfi, un cadre de la confrérie. Un communiqué du ministère de l’Intérieur précise que les membres de la confrérie tués dans cet assaut «
faisaient l’objet d’un mandat d’arrêt et étaient recherchés pour des actes de sabotage et de violence ». Ils auraient ouvert le feu lorsque la police est venue les arrêter dans leur appartement de la banlieue du Caire. Ils ont été tués quand la police a répliqué. Mais les Frères musulmans ont dénoncé une «
liquidation politique de leurs cadres ». Dimanche, le ministère de l’Intérieur annonçait l’arrestation d’un réseau appartenant aux Frères musulmans formé de 12 personnes et qui préparait des attentats contre l’armée et la police ainsi que contre les installations sécuritaires.
La guerre de la confrérie
Jeudi, la confrérie a durci à son tour le ton, dénonçant « l’assassinat de sang-froid » de ses militants. « Ces tueries auront des conséquences. Il sera impossible de contrôler la colère des opprimés qui sont tués dans leurs propres foyers au beau milieu de leurs familles », peut-on lire dans un communiqué en anglais de la confrérie, publié jeudi. Et si les communiqués en anglais de la confrérie insistent sur une « révolte pacifique » contre le pouvoir, ceux en arabe éludent ce mot.
Plus farouches, les jeunes de la confrérie appellent ouvertement, sur les réseaux sociaux et sur Internet, à « la résistance armée ». Ainsi, dans un communiqué publié le 28 mai, 150 jeunes membres de la confrérie avaient appelé à « se venger des soldats, des officiers et des juges », vengeance qu’ils considèrent comme « un devoir religieux ».
Depuis la destitution de l’ancien président islamiste, Mohamad Morsi, les Frères musulmans sont dans une logique de confrontation avec le pouvoir du président Abdel-Fattah Al-Sissi, dont ils ne reconnaissent pas la légitimité. Ils ont refusé à maintes reprises de se rallier au processus politique. Au cours de la période qui a suivi le 30 juin, des affrontements violents avaient régulièrement eu lieu entre les forces de l’ordre et les militants de la confrérie. Bien qu’ils prétendent rejeter la violence, les Frères sont impliqués dans des actes de violence visant les forces de la police et les installations de l’Etat. Pour sa part, l’Etat est déterminé à aller jusqu’au bout dans sa guerre contre le terrorisme. Gamal Zahran, professeur de sciences politiques à l’Université de Suez, souligne que l’on se dirige vers une escalade, voire une guerre ouverte entre l’Etat et la confrérie. « Le prestige de l’Etat et sa force sont aujourd’hui en jeu. L’Etat ne peut pas céder au chantage des Frères. On l’a vu dans les déclarations du président lors des funérailles du procureur général et dans le durcissement des législations sur le terrorisme », affirme-t-il. Pour lui, la confrérie a commis une erreur stratégique en utilisant la violence comme carte de pression pour amener l’Etat à faire des concessions. « Les Frères musulmans ne réalisent pas jusqu’à présent que leur combat est avec le peuple avant d’être avec le régime, et ce tant qu’ils s’impliqueront dans la violence », estime Zahran. Il indique que, dominés par un esprit de vendetta, les Frères ont « raté plusieurs chances de se rallier au processus politique et ont fait le choix de la radicalisation ». « Aujourd’hui, ils se suicident politiquement menaçant d’une guerre armée contre l’Etat », affirme Zahran.
Les Frères en ligne de mire
Les Frères, fragilisés par l’arrestation de leurs cadres, opteront-ils pour quelle stratégie ? Selon Hicham Al-Naggar, il est probable qu’ils versent davantage dans la violence. « Le dernier communiqué des Frères reconnaît ouvertement qu’ils sont impliqués dans la violence, chose qu’ils niaient depuis le 30 juin. Plus important, c’est la première fois que les Frères déclarent aussi nettement et clairement la guerre contre l’Etat. Dans ce contexte, l’Etat doit s’attendre à une multiplication des actes de violence, surtout que les Frères cherchent à mettre à profit la situation dans le Sinaï pour épuiser les forces de sécurité. En dépit de l’arrestation de leurs cadres, les jeunes Frères vont chercher à former des groupuscules et mener plus d’attaques contre l’Etat », prévoit Al-Naggar. La radicalisation des Frères était très visible depuis quelque temps, notamment dans le discours très provocateur qu’ils tiennent sur les chaînes satellites qu’ils gèrent à partir de l’étranger ou sur Internet. « Aujourd’hui, pratiquement tous les sites de la confrérie appellent au djihad et montrent régulièrement des images d’affrontement avec les forces de l’ordre et de violence. Cette radicalisation est due au fait que les Frères ont perdu tout soutien populaire et aussi le soutien de l’Occident. L’échec de l’expérience politique a convaincu les jeunes de la confrérie que la démocratie et les urnes ne sont pas la bonne voie pour réaliser leur rêve de l’Etat islamique. Cette jeune génération s’est alors inspirée d’autres groupes islamistes radicaux, penchant en faveur de la lutte armée face à l’Etat mécréant », analyse Al-Naggar. C’est ce rapprochement idéologique entre les jeunes des Frères musulmans et les mouvements terroristes qui explique, selon lui, l’apparition de groupuscules violents anonymes comme « La résistance populaire », « La punition révolutionnaire » et « Molotov » qui ont récemment revendiqué des attaques terroristes visant les stations de police.
Un dilemme s’impose
Pour le politologue Sameh Eid, l’Etat doit trouver une formule permettant de s’attaquer à la violence des Frères en évitant une guerre inutile qui ne fera qu’entraver les plans de développement. « La facture politique, économique mais aussi en termes de vies humaines, de cette guerre en cours s’alourdit jour après jour. A court et à moyen terme, les Frères ne parviendront pas à regagner la confiance de la rue et ils ne pourront pas non plus vaincre l’Etat. Ce dernier aurait aussi tort de croire qu’il peut anéantir totalement les Frères. En effet, que fera l’Etat avec ces milliers de Frères musulmans et leurs sympathisants ? », se demande Eid. Les contours de cette guerre contre les Frères et leur violence restent flous.
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